La tragédie de Valeria Márquez, influenceuse abattue sous les yeux de son public

Valeria Márquez, capturée dans l’instant avant le drame, sourit face à son audience numérique, inconsciente de ce qui allait survenir

Valeria Márquez est morte à 23 ans, tuée en direct sur TikTok, dans son propre salon de beauté à Zapopan, une ville huppée et sous tension située à l’ouest du Mexique. Ce jour-là, elle animait un live devant plusieurs milliers de spectateurs. Un homme est entré dans l’établissement, l’a regardée calmement, puis lui a demandé : "Es-tu Valeria ?" Elle a acquiescé. Il a ouvert le feu. Trois balles ont suffi. La jeune femme s’est effondrée, hors champ. Le live a continué quelques secondes, avant d’être interrompu.

Valeria sourit à l’écran, confiante, se surexposant. Comme beaucoup de jeunes, elle transformait sa vie en décor numérique, sans imaginer que l’écran pouvait devenir un piège. La quête de visibilité laisse souvent dans l’ombre la vulnérabilité réelle.
Valeria sourit à l’écran, confiante, se surexposant. Comme beaucoup de jeunes, elle transformait sa vie en décor numérique, sans imaginer que l’écran pouvait devenir un piège. La quête de visibilité laisse souvent dans l’ombre la vulnérabilité réelle.

La scène, d’une violence brutale, a été captée dans son intégralité. Sur les images, l’homme ne montre aucune panique. Quelques instants avant sa mort, Valeria tenait un cochon en peluche rose et plaisantait avec ses abonnés. Puis, à demi-mot, elle avait laissé échapper cette phrase : “Peut-être qu’ils allaient me tuer.” Une prophétie glaçante.

Une figure montante des réseaux sociaux ciblée sans avertissement

Valeria Márquez comptait plus de 100 000 abonnés sur TikTok et 115 000 sur Instagram. Elle partageait des vidéos mêlant tutoriels de beauté, moments de vie et affichage d’un mode de vie fastueux : voitures de luxe, yachts, jets privés. Son salon Blossom, ouvert en août 2024, incarnait l’aboutissement de plusieurs années de présence numérique. Elle n’avait jamais évoqué de menaces publiques. Selon Juan José Frangie, maire de Zapopan, aucun signalement ne laissait présager ce drame.

Le luxe affiché masque parfois une fragilité silencieuse. Pour une partie de la jeunesse connectée, l’ostentation devient une armure sociale. Mais cette mise en scène de la réussite attise aussi l’envie, le ressentiment, parfois la violence.
Le luxe affiché masque parfois une fragilité silencieuse. Pour une partie de la jeunesse connectée, l’ostentation devient une armure sociale. Mais cette mise en scène de la réussite attise aussi l’envie, le ressentiment, parfois la violence.

Le quartier, habituellement calme, est resté muet. Les voisins décrivent une jeune femme discrète, peu encline aux soirées tapageuses. Les enquêteurs poursuivent les auditions de l’entourage et des clients présents ce jour-là. Aucun suspect n’a encore été interpellé, mais plusieurs pistes sont explorées.

Féminicide, jalousie ou règlement de comptes ?

Le parquet de l’État de Jalisco a ouvert une enquête pour féminicide, un terme juridique employé au Mexique pour désigner les meurtres de femmes en raison de leur genre. Mais d’autres hypothèses émergent. Certains médias locaux évoquent la piste d’un ancien compagnon lié au cartel Jalisco nueva generación (CJNG). D’autres pointent du doigt une assistante visible sur la vidéo.

Le CJNG est l’un des groupes criminels les plus puissants du pays. Il contrôle une grande partie du territoire de l’État de Jalisco et est connu pour infiltrer les sphères sociales et économiques. Trois jours avant l’assassinat de Valeria, une candidate politique, Yesenia Lara Gutiérrez, avait été abattue lors d’un meeting filmé en direct. Ce climat de terreur alimente les spéculations et complique le travail des enquêteurs.

Le Mexique, terrain miné pour les femmes

Le Mexique figure parmi les pays les plus dangereux au monde pour les femmes. Selon les statistiques officielles, dix féminicides sont recensés chaque jour. Depuis 2001, plus de 50 000 femmes ont été tuées, dans un contexte où moins de 5 % des crimes aboutissent à une condamnation.

Pour Paulina Garía-Del Moral, professeure de sociologie à l’Université d’Ottawa, cette situation résulte d’un machisme profondément enraciné, doublé d’un système judiciaire défaillant. "Des hommes se sentent en droit de disposer du corps des femmes", explique-t-elle dans un entretien accordé au New York Times. Cette culture de l’impunité trouve un écho tragique dans la mort de Valeria Márquez.

Les réseaux sociaux, nouveaux territoires du risque

Les influenceurs sont devenus des cibles. Leur exposition, souvent calculée pour générer de l’audience, attire aussi l’attention de groupes criminels. Selon David Saucedo, spécialiste des questions de sécurité au Mexique, les réseaux sociaux sont devenus “une pièce de l’engrenage du crime organisé”.

Le compte TikTok de Valeria a été supprimé dès le lendemain du drame. Des centaines de messages de condoléances ont afflué, accompagnés de témoignages de fans choqués. La police examine toujours les images de vidéosurveillance autour du salon et les données numériques de la jeune femme. Il reste à déterminer si le tueur savait que la scène était diffusée en direct. Ou bien, s’il a agi intentionnellement dans une mise en scène destinée à faire passer un message.

Une jeunesse exposée à une violence décomplexée

Le meurtre de Valeria Márquez illustre une tendance inquiétante : celle de la banalisation de la violence filmée. En mars 2025, une streameuse japonaise a été poignardée en pleine rue à Tokyo alors qu’elle diffusait un live à ses abonnés. Les vidéos deviennent des armes, les écrans des scènes de crime.

Une image figée d’éternité, éclatante et fragile. Chez de nombreux jeunes influenceurs, la construction d’une identité publique prend le pas sur la réalité intime. Cette dissonance, entre l'image parfaite et l’insécurité réelle, peut devenir tragique.
Une image figée d’éternité, éclatante et fragile. Chez de nombreux jeunes influenceurs, la construction d’une identité publique prend le pas sur la réalité intime. Cette dissonance, entre l’image parfaite et l’insécurité réelle, peut devenir tragique.

Ce phénomène soulève des interrogations sur la sécurité des jeunes femmes très visibles sur les plateformes. Leur notoriété, loin de les protéger, peut les exposer davantage à la jalousie, aux menaces ou à la vengeance.

Une icône malgré elle

En l’espace de quelques heures, Valeria Márquez est passée du statut d’influenceuse montante à celui de symbole national d’une jeunesse broyée par la violence. Elle ne représente pas un glamour vide. Mais, elle est le reflet cruel de la brutalité invisible qui frappe les femmes au Mexique.

Sa mort, survenue en pleine lumière numérique, met en accusation une société où l’impunité est encore la règle. Et rappelle que, parfois, derrière l’écran, le réel surgit sans prévenir, dans toute sa violence la plus crue.