
À Paris, le 7 décembre 2024, Emmanuel Macron réunit Volodymyr Zelensky et Donald Trump à l’Élysée. L’objectif est de relancer un soutien concerté à l’Ukraine et d’esquisser une paix « juste ». Tandis qu’à Bruxelles, les Vingt-Sept testent un prêt d’environ 140 Md€ adossé aux avoirs russes gelés, la Belgique réclame la mutualisation du risque. Paris s’érige en médiateur pour maintenir l’alignement transatlantique et arrimer le droit à l’efficacité.
Trilatérale à l’Élysée : Paris retisse le fil transatlantique et l’aide de l’UE à l’Ukraine
Le 7 décembre 2024, l’air de Paris vibrait d’une attente presque cérémonielle. À l’Élysée, sous les dorures familières, un tapis rouge s’étirait comme une promesse et un rappel. Emmanuel Macron se plaça au point d’équilibre, visage ouvert, main sûre. À sa droite, Volodymyr Zelensky, manteau sombre et regard vif, portait l’exigence d’un pays sous le feu. À sa gauche, Donald Trump, président élu des États-Unis, retrouvait la scène mondiale à la veille de la réouverture de Notre-Dame. Quelques mots, des apartés, des sourires brefs. L’essentiel se déroula lors d’un entretien bref, d’environ vingt minutes. Cela est rapporté par des dépêches de presse publiées le 7 décembre 2024. Cet échange scella une volonté commune : poursuivre l’aide et le financement de l’Ukraine. De plus, il permit de tracer les contours d’une paix dite « juste », selon Paris et Kiev. Cependant, chacun garde sa définition intime de cette paix.
Macron avait ménagé ce pas de trois. Paris, ville-pont, se voulait l’interprète de l’alignement transatlantique au moment où les lignes semblent glisser. L’instant ne valait pas traité, il valait symbole. Mais le symbole engage, surtout lorsqu’il convoque le fracas d’une guerre qui n’en finit pas de durer.
Paris entre Zelensky et Trump : vers une paix juste
La promesse d’un compromis « juste » est un fil tendu entre exigences contradictoires. Zelensky répète la nécessité d’un soutien ferme et de garanties de sécurité. De plus, il insiste sur une paix qui ne récompense pas l’agression. Trump, qui doit prêter serment en janvier 2025, met l’accent sur la charge supportée par les alliés européens. Par ailleurs, il insiste sur l’idée d’un règlement négocié. Macron tente d’assembler ces voix. Il propose une méthode : maintenir la cohésion du camp occidental et l’aide de l’UE à l’Ukraine. Par ailleurs, il s’agit d’arrimer Washington et Kiev à une même boussole pour éviter l’usure des volontés.
Derrière les prises de parole, des lignes rouges. Pour Kiev, l’intégrité territoriale et la justice pour les crimes commis. Pour Washington, la maîtrise des coûts et l’absence d’engrenage. Pour Paris, la survie d’un ordre européen où la force ne dicte pas le droit. Le mot « juste » devient l’interface entre ces impératifs. Il autorise le dialogue sans masquer les écarts. Il ouvre une porte, mais pas n’importe laquelle.
Au-delà des images, Paris a cherché un rôle. Non pas celui du grand prêtre, mais celui de l’intercesseur. Le président français parie sur sa capacité à parler à tous, à Ursula von der Leyen à Bruxelles, à Washington, à Kiev et, parfois, à Moscou. Dans ce rôle, il brouille l’alternative trop simple entre vaillance et prudence. Il assume une puissance d’équilibre, quitte à se voir reprocher l’ambiguïté. L’enjeu est d’éviter que l’Ukraine soit confinée à un tête-à-tête inégal avec la Russie. De plus, il faut préserver l’attention américaine quand le regard se tourne ailleurs.

Prêt de l’UE adossé aux avoirs russes : financer l’Ukraine
À Bruxelles, autre scène, autre dramaturgie. Les Vingt-Sept explorent depuis l’automne 2025 un instrument financier inédit. C’est un prêt d’environ 140 milliards d’euros pour Kiev, adossé aux revenus des avoirs russes gelés. Ceux-ci sont valorisés à environ 210 milliards d’euros dans l’Union, sans confiscation. La différence est décisive. La confiscation rompt la propriété. L’adossement mobilise des flux. Le capital demeure intact, mais ses produits financiers serviraient de gage et, à terme, de remboursement. Cette architecture, défendue par la Commission européenne, s’inspire d’un principe simple : faire contribuer le patrimoine souverain russe sans saper la sécurité juridique européenne.
Dans sa pédagogie, Bruxelles insiste sur les garde-fous. Les droits de propriété seraient préservés. Les profits exceptionnels qu’engendrent ces sommes immobilisées, déjà ponctionnés en partie au titre d’une contribution extraordinaire, alimentent depuis 2024–2025 le soutien à l’Ukraine. Le pas suivant consisterait à adosser un crédit massif à ces revenus futurs. Un mécanisme de sauvegarde serait prévu si les flux s’interrompaient. Ce projet suppose toutefois la création d’un backstop crédible, une mutualisation du risque entre États membres, afin d’éviter que le coût d’un éventuel défaut ne se concentre sur un seul. Sans confiscation du capital, l’Union a validé au printemps 2024 une ligne directrice. Celle-ci concerne l’usage des revenus extraordinaires tirés des avoirs immobilisés.
Le débat semble technique. Il engage en réalité la cohérence d’un continent qui veut aider sans renier le droit. Les juristes soulignent les risques de contentieux. En particulier, ils mentionnent l’immunité des banques centrales. De plus, ils insistent sur la protection de la propriété. Les économistes mesurent l’effet sur l’attractivité de la place européenne. Les diplomates évaluent la réaction de Moscou, prompte à menacer de rétorsions. C’est l’équation européenne par excellence : concilier principe et efficacité, dans un monde qui, lui, ne concilie rien.
Euroclear au cœur du dossier : la Belgique veut mutualiser
Au cœur de cette mécanique, un acteur discret devient central : la Belgique. Par le truchement d’Euroclear, dépositaire de premier plan, c’est sur son territoire que sont immobilisés une part déterminante des avoirs de la Banque de Russie. Bart De Wever, nommé Premier ministre en 2025, ne se contente pas d’acquiescer. Il demande des garanties. Il souligne le risque asymétrique : juridique, financier, sécuritaire. À quoi bon une grande idée européenne si la facture des aléas retombe sur Bruxelles seule ?
La Belgique réclame donc une mutualisation explicite. Elle désire un cadre qui puisse amortir le choc d’un recours judiciaire. En outre, il doit gérer une contre-attaque russe. De plus, il doit s’adapter à une variation soudaine des taux. Elle souligne que l’UE s’est engagée à utiliser les revenus exceptionnels de ces actifs pour soutenir l’Ukraine. Cependant, cette voie risque de se heurter à une riposte sur les intérêts occidentaux en Russie. Dans ce dialogue, la prudence belge n’est pas un frein idéologique, elle est un rappel des conséquences concrètes.
Euroclear, institution technique soudain projetée sous les feux, symbolise cette délicatesse. Sa mission consiste à garder, régler, assurer la bonne fin des titres. Elle n’est ni chancellerie ni ministère. Et pourtant, c’est là que se joue une partie du bras de fer. En effet, c’est là que dorment les actifs. La politique se fait parfois dans des salles de règlement-livraison, avec des chiffres qui s’accumulent comme des congères.
France, puissance d’équilibre : dividendes et risques
Ce rôle de puissance d’équilibre donne à la France des dividendes diplomatiques. Paris parle le langage de la sécurité européenne et celui du réalisme. Il peut se prévaloir d’avoir maintenu la corde transatlantique. De plus, il a accueilli la rencontre trilatérale. Enfin, il a promu une solution qui combine droit et fermeté. Cette position vaut influence dans les capitales européennes et crédibilité à Kiev. Elle permet de tenir une promesse intérieure : aider sans s’aventurer dans l’impensé.

Mais l’influence a un coût. Le budget est sollicité, directement ou par les mécanismes de garantie. Les entreprises françaises exposées en Russie craignent des représailles. Le pays s’expose à la dissonance d’une guerre longue, aux questions qui remontent lorsque la fatigue gagne les opinions. Surtout, la promesse d’une paix « juste » engage. Elle oblige à refuser les accommodements faciles. Elle contraint à maintenir l’effort, y compris lorsque la scène internationale sature d’autres crises.
La diplomatie française a longtemps voulu conjuguer défense de l’Ukraine et canal de dialogue vers Moscou. Le temps a fait son œuvre. Le canal n’a pas disparu, mais il n’absorbe plus les illusions d’hier. L’Élysée se tient maintenant à cette ligne : soutenir l’Ukraine, isoler l’agression, préparer le jour où la négociation ne sera pas un marché de dupes. Ce choix expose. Il clarifie aussi.
Washington face aux promesses : marges du Congrès et signaux
L’Amérique de Donald Trump aime les images fortes. Tout d’abord, son retour à Paris en tant qu’hôte de marque s’inscrit dans cette grammaire. En outre, cela se passe à la veille de Notre-Dame rendue aux fidèles. Mais l’image ne dit pas tout. Le Congrès, les marges de l’administration, la dynamique intérieure feront la différence entre les déclarations et les engagements. Les républicains comptent leurs voix et leurs priorités budgétaires. Les démocrates défendent un soutien de long terme. L’exécutif cherchera une trajectoire où l’Europe assumera davantage de charge visible, tandis que Washington conservera les leviers militaires essentiels.

Les signaux envoyés à Moscou et à Kiev se lisent à plusieurs étages. À la Russie, l’idée que l’Occident ne confisque pas, mais ne cède pas non plus. À l’Ukraine, l’assurance que les flux continueront, même si les modalités changent. Aux Européens, l’avertissement que l’ère des implicites est close. Chacun devra écrire noir sur blanc sa part d’effort.
Il y a, dans l’attitude américaine, une part de bargaining. Un marchandage sur le fardeau, sur les tarifs commerciaux, sur les dossiers stratégiques. Paris, en s’avançant comme médiateur, consent à jouer sur une corde raide. C’est un pari de long terme : si les Européens organisent leur propre capacité, l’Amérique restera, par intérêt bien compris, mais elle ne tirera plus seule.
Hiver diplomatique : le givre Washington–Moscou
Le froid tombe vite sur les diplomaties. On pense qu’il est chassé par un sourire capté sur un perron. Cependant, il réapparaît au détour d’un sommet à Bruxelles. De plus, on le retrouve lors d’une déclaration à Washington. Enfin, il refait surface lors d’un vote à Strasbourg. Entre Washington et Moscou, un givre ancien s’est déposé, que rien n’efface vraiment. Les gestes d’apaisement sont des torches éphémères dans un paysage glacé. L’important n’est pas de croire que l’hiver va cesser. L’important est d’avoir du bois sec et des cartes, de surveiller les boussoles et les feux.
Dans ce climat, Paris a choisi de tenir. Il faut parler à l’Ukraine sans relâche pour maintenir un dialogue constant. De plus, il est essentiel de contenir la Russie par le droit et l’aide. Enfin, on doit maintenir le fil avec les États-Unis afin que le soutien ne se délite pas. Le pari européen, lui, consiste à inventer un montage financier qui associe principe et énergie, prudence et audace. S’il aboutit, le prêt adossé aux avoirs gelés ne résoudra ni la guerre ni la paix. Il dira simplement que l’Europe sait transformer ses règles en instruments. Ce n’est pas rien.
Les mois qui viennent en décideront. Octobre 2025 a livré une confirmation politique : le cap est d’explorer cette voie. La main belge réclame des assurances. La Commission cherche la formule. Les capitales se parlent, cherchent le dosage. Pendant ce temps, à Kiev, l’horloge de la guerre ne ralentit pas. Les négociations ne se font pas sur des tapis rouges, elles se font à l’ombre des abris. La paix « juste » ne sera pas une formule. Elle naîtra d’un équilibre patiemment construit entre soutien, dissuasion et droit.