La taxe Zucman : Révolution fiscale ou risque pour l’économie ?

Gabriel Zucman, économiste français, lors du lancement du EU Tax Observatory en 2021, institution qui a inspiré sa célèbre proposition fiscale.

Présentée comme un instrument pour corriger les injustices fiscales, la taxe Zucman divise profondément la classe politique française. Entre ambitions redistributives et craintes économiques, ce projet révèle les lignes de fracture idéologiques d’une France. En effet, elle est en quête d’équilibre entre justice sociale et compétitivité internationale. Décryptage d’une réforme emblématique aux multiples enjeux.

Une mesure pour cibler les grandes fortunes

La taxe Zucman, proposée par les écologistes et soutenue par une partie de la gauche, vise les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Elle concerne précisément 1 800 foyers fiscaux français. Son objectif est d’assurer un minimum d’imposition de 2 % sur ces fortunes. Ainsi, il vise à éviter l’optimisation fiscale souvent pointée par ses défenseurs.

Cette initiative s’appuie sur les recherches du célèbre économiste Gabriel Zucman, spécialiste mondialement reconnu des questions d’évasion fiscale et d’inégalités économiques. Inspirée par les travaux du EU Tax Observatory, la proposition a été adoptée par l’Assemblée nationale en février 2025, puis rejetée par le Sénat en juin suivant.

Assemblée nationale, février 2025 : les députés adoptent la taxe Zucman. Une mesure inspirée par les travaux de l'économiste Gabriel Zucman, visant à instaurer un impôt minimal de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros. Elle a toutefois été rejetée par le Sénat le 12 juin 2025.
Assemblée nationale, février 2025 : les députés adoptent la taxe Zucman. Une mesure inspirée par les travaux de l’économiste Gabriel Zucman, visant à instaurer un impôt minimal de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Elle a toutefois été rejetée par le Sénat le 12 juin 2025.

La rupture avec le libéralisme fiscal

Cette taxe constitue une rupture avec la doctrine fiscale libérale, prévalant depuis plusieurs décennies. Ses défenseurs y voient un retour nécessaire à une fiscalité redistributive, capable de corriger des écarts croissants. L’Institut des politiques publiques souligne que, paradoxalement, les plus riches affichent parfois des taux d’imposition effectifs inférieurs. En effet, ces taux sont souvent plus bas que ceux des classes moyennes.

Toute fois, certains économistes, comme Sylvain Catherine et Gilles Raveaud, remettent en cause la méthodologie de ces études. Ils affirment que le système fiscal français reste largement progressif. En effet, cela est vrai surtout si l’on inclut les transferts sociaux généreux du modèle hexagonal.

Le rejet sénatorial : un clivage idéologique profond

Le rejet par le Sénat, le 12 juin 2025, illustre nettement le clivage gauche-droite. La gauche considère cela comme un levier de justice sociale. Cependant, la droite et le centre craignent un effet négatif sur l’investissement et la compétitivité. Le sénateur Emmanuel Capus critique notamment le caractère idéologique du projet, soulignant qu’il risquerait de pénaliser injustement les entrepreneurs et les start-ups, contraints potentiellement de céder des actifs peu liquides.

Cette inquiétude est d’autant plus vive, car les patrimoines concernés incluent souvent des actions d’entreprises innovantes. De plus, ces valeurs fluctuent fortement sans nécessairement générer les liquidités suffisantes pour payer la taxe.

Gabriel Zucman, économiste français, auteur de La richesse cachée des nations. En 2013, son ouvrage a révélé que 8 % du patrimoine financier mondial est caché dans des paradis fiscaux. Cela représente environ 7 900 milliards d'euros.
Gabriel Zucman, économiste français, auteur de La richesse cachée des nations. En 2013, son ouvrage a révélé que 8 % du patrimoine financier mondial est caché dans des paradis fiscaux. Cela représente environ 7 900 milliards d’euros.

La vision contestée de la richesse : flux ou stock ?

Le débat se cristallise aussi autour de la définition même de la richesse. Pour les opposants à la taxe, elle se base sur une vision erronée de la richesse considérée comme un stock statique. Or, la richesse serait plutôt un flux dynamique : elle se construit, se détruit, se réinvestit constamment. Selon eux, une taxe trop lourde pourrait figer l’économie. De plus, elle dissuaderait les prises de risques nécessaires à la croissance économique.

À l’inverse, les partisans insistent sur le besoin urgent de corriger des inégalités croissantes, menaçant selon eux la cohésion sociale. Ils rappellent les précédents historiques, tels l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par Emmanuel Macron, qui demeurent populaires dans une opinion publique sensible à la justice fiscale.

Un débat politique loin d’être clos

Le gouvernement annonce toutefois travailler sur un projet alternatif, plus modéré, pour répondre aux préoccupations exprimées par les entrepreneurs. Les partis de gauche promettent de relancer la proposition lors d’une prochaine niche parlementaire. Cela témoigne de leur détermination à maintenir la pression sur ce sujet.

De son côté, la société civile s’organise : une pétition de soutien rassemble déjà 60 000 signatures, bénéficiant du soutien de figures comme l’économiste Jean Pisani-Ferry. À travers ces mobilisations, la France pourrait rejoindre une dynamique internationale. Celle-ci vise à instaurer un impôt minimal mondial sur les grandes fortunes. Cela s’inscrit dans l’esprit de la récente taxation internationale des multinationales.

L’enjeu majeur de la transparence patrimoniale

La mise en œuvre effective de cette taxe soulève aussi un défi technique majeur : la capacité administrative à évaluer précisément les patrimoines, notamment financiers et professionnels. À l’heure actuelle, l’Insee et l’administration fiscale ne disposent pas encore d’outils pleinement adaptés. Cela suppose des investissements lourds dans les systèmes d’information et un renforcement significatif des moyens humains et techniques.

Ce défi opérationnel nourrit des doutes supplémentaires chez les détracteurs de la taxe. En effet, ils craignent une intrusion excessive de l’administration dans les affaires privées des citoyens.

Justice fiscale ou symbole politique ?

Finalement, la taxe Zucman est devenue bien plus qu’un simple dispositif fiscal : elle incarne un affrontement idéologique profond sur le modèle économique français et européen. Entre redistribution équitable et préservation de l’entrepreneuriat et de l’attractivité économique, le débat reste vif et complexe. Une chose demeure certaine : la fiscalité des ultra-riches continuera de marquer durablement l’agenda politique français.

Cet article a été rédigé par Pierre-Antoine Tsady.