Carlos Tavares défie 2035 : prix des voitures électriques, classe moyenne et riposte à l’offensive chinoise

Assouplir 2035 : autoriser des thermiques < 100 g CO₂/km pour remplacer un parc > 300 g. Objectif : voiture abordable pour la classe moyenne.

De Paris à Londres, Carlos Tavares, ex-patron de Stellantis, multiplie interviews et prises de parole entre le 25 et le 28 octobre 2025. En effet, il plaide pour ajuster le cap 2035 de l’UE sur les voitures : maintenir l’exigence climatique, mais autoriser des thermiques < 100 g CO₂/km après l’échéance. Objectif affiché : protéger la classe moyenne et l’emploi industriel, alors que la concurrence chinoise se renforce.

Les faits : ce que Carlos Tavares met sur la table

L’ancien patron de Stellantis, Carlos Tavares, prône une approche simple. Il propose de maintenir une contrainte CO₂ stricte. Toutefois, il souhaite assouplir l’interdiction des ventes thermiques en 2035 fixée par l’Union européenne pour les voitures neuves « zéro émission ». Sa proposition est d’autoriser, après 2035, la vente de thermiques neufs plafonnés sous 100 g CO₂/km. Cela permettrait d’accélérer le remplacement d’un vieux parc au-delà de 300 g. Objectif annoncé : offrir une voiture abordable à la classe moyenne sans renoncer au cap climatique.

Argumentaire : la technologie 100 % électrique reste ~50 % plus chère à produire que le thermique, ce qui renchérit les prix pour des ménages déjà fragilisés. L’offre existe, dit-il, mais le prix décourage. La neutralité technologique automobile signifie garder plusieurs voies comme l’électrique, les hybrides et les carburants synthétiques. Cela est possible à condition de respecter un seuil d’émissions identifiable et de progresser sur l’autonomie des voitures électriques.

Une tournée médiatique millimétrée (25–28 octobre 2025)

En quelques jours, 25–28 octobre 2025, Carlos Tavares a occupé les antennes et colonnes françaises et internationales. Entre studios parisiens et entretiens anglo-saxons, il raconte son départ, précise son projet et assume des formules tranchantes : « l’électrique est trop chère », « le dogme ouvre un boulevard aux Chinois ». Dans la narration, il répète que les prix des voitures électriques restent élevés. Au passage, il promeut son récit autobiographique, Un pilote au cœur de la tempête (Plon), écrit comme un carnet de bord de dirigeant, pris entre discipline et vitesse.

‘L’électrique est trop chère’, répète Tavares : destination intacte, trajectoire à revoir, neutralité technologique, pas de dogme bruxellois.
‘L’électrique est trop chère’, répète Tavares : destination intacte, trajectoire à revoir, neutralité technologique, pas de dogme bruxellois.

01 décembre 2024 : un départ en plein vent contraire

01 décembre 2024 : l’onde de choc tombe. Le conseil d’administration de Stellantis accepte la démission du dirigeant, avec effet immédiat. En toile de fond : un différend stratégique sur le tempo de l’électrification, l’état des marchés et la capacité du groupe à absorber l’effort industriel. Lors de ses entretiens d’automne 2025, l’intéressé évoque une « perte de confiance ». En outre, il affirme qu’on lui reprochait d’« aller trop vite » vers la « voiture propre ». Il maintient pourtant que, au moment de partir, Stellantis était « prêt » pour les exigences européennes.

L’horizon européen : objectif zéro émission 2035 et clauses

Le cadre légal est clair : l’UE vise une 100 % de réduction des émissions à l’échappement des voitures neuves en 2035. Cela s’inscrit dans le cadre du paquet Fit for 55 et du règlement (UE) 2019/631. Des jalons existent (2025, 2030), ainsi qu’une clause de revoyure. À la marge, un dispositif spécifique sur les e-carburants a ouvert depuis 2023 un possible sillon réglementaire. Dans ce paysage, la fenêtre Tavares consisterait à restaurer une petite place pour des thermiques contraints (< 100 g CO₂/km), sans détricoter l’objectif.

Une thèse : réparer par le milieu

Le cœur de son raisonnement tient en trois points :

  1. Pouvoir d’achat : la voiture électrique est plus coûteuse à produire (+40 % à +50 % selon les cas), et donc plus chère à l’achat. Quitte à ralentir le renouvellement du parc, ce qui retarde les gains climatiques.
  2. Remplacement ciblé : permettre des thermiques sobres < 100 g pousserait des ménages à sortir des anciens diesels/essences > 300 g, avec bénéfice immédiat pour les émissions.
  3. Neutralité technologique automobile : l’Europe fixe l’objectif, mais n’impose pas la voie. Par ailleurs, l’outil électrique demeure central, mais pas exclusif si un seuil mesurable est respecté.

Constructeurs chinois en Europe : menace, planche de salut… ou les deux

BYD, Geely, Leapmotor … L’ancien dirigeant voit dans les constructeurs chinois les gagnants d’un écosystème européen qu’il juge trop dogmatique. Selon lui, ces acteurs « sauveront » des usines en Europe et pourraient atteindre ~10 % de part de marché. Cela pourrait se faire à brève échéance, en rachetant ou en remplissant des sites sous-utilisés. Le message oscille entre alerte et provocation : l’arrivée des Chinois serait une bouée pour l’emploi. Cependant, elle représenterait une défaite industrielle si l’UE s’enferme dans un monopole technologique.

Après 2035, seuil inférieur à 100 g CO₂/km et contrôles stricts : remplacer d’abord les pires émetteurs, en attendant la baisse des coûts des batteries.
Après 2035, seuil inférieur à 100 g CO₂/km et contrôles stricts : remplacer d’abord les pires émetteurs, en attendant la baisse des coûts des batteries.

Le fil romanesque : Estoril, studios feutrés et salles de conseil

Le récit s’ouvre à Estoril. Un appel un après-midi de décembre : « je n’ai plus confiance ». La scène, restituée par Carlos Tavares, condense vitesse et contrôle, deux obsessions de pilote : anticiper, couper la trajectoire, ne pas survirer. Suit une odysée discrète : studios de radio à Paris, plateaux TV, salles de conseil où l’on compte milliards, grammes et emplois. Dans la vallée du Douro, les vignes dessinent des lignes idéales, sur les comptes, les lignes divergent. L’homme accélère l’électrique tout en combattant le dogme, il défend l’industrie tout en bousculant ses propres équipes. Paradoxe assumé, et mystère entretenu.

Contradictions apparentes, cohérence revendiquée

Carlos Tavares aime les paradoxes : il veut accélérer l’électrification des gammes tout en alertant sur son coût social. De plus, il vante l’efficience industrielle tout en prêchant la prudence réglementaire. Par ailleurs, il ouvre la porte aux investissements chinois tout en martelant la souveraineté européenne. Cohérence, plaide-t-il : « neutralité », « abordabilité », « vitesse ». La mécanique serait la même qu’en course : viser l’optimal, pas l’absolu.

Ce que disent Bruxelles et les partisans du cap 2035

Côté Commission, le cap 2035 répond à deux impératifs : climat et compétitivité. Visibilité pour l’investissement, effets d’échelle sur les batteries, réseaux de recharge, emploi dans de nouvelles filières. Les ONG pro-électrique et une partie de la filière soulignent que baisser la contrainte retarderait les baisses de coûts et entretiendrait la dépendance aux importations fossiles. Elles rappellent que la clause de réexamen existe et des marges techniques sont déjà prévues. De plus, ces marges incluent les e-carburants, les utilitaires et les niches de petites séries. Le débat porte moins sur la destination que sur la trajectoire et le rythme.

Qui paie, qui gagne : la question sociale au centre

La classe moyenne supporte l’essentiel du coût de transition si les prix d’achat restent élevés. D’où la bataille autour de petites voitures électriques < 25 000 € et de locations à loyers plafonnés. Par ailleurs, cette bataille concerne aussi des incitations ciblées et des règles d’origine européennes. Carlos Tavares pousse l’idée d’un mix transitoire capable de faire baisser vite les émissions réelles en remplaçant d’abord les pire émetteurs. Les partisans d’un cap tout-électrique répondent que la courbe d’apprentissage et la baisse des batteries rendront la VE rapidement compétitive, surtout si l’on intègre le TCO des VE (coût total de possession), le coût de recharge à la maison, les coûts d’usage et d’entretien.

Alerte industrie : BYD, Geely, Leapmotor peuvent sauver des sites mais viser ~10 % du marché, selon lui, si l’Europe se ferme à toute autre voie.
Alerte industrie : BYD, Geely, Leapmotor peuvent sauver des sites mais viser ~10 % du marché, selon lui, si l’Europe se ferme à toute autre voie.

Une ligne rouge : ne pas céder sur la mesure

Au-delà des slogans, un consensus émerge : mesurer précisément. Seuils vérifiables, traçabilité des carburants dits neutres, contrôle des émissions en usage. La seule manière d’éviter le greenwashing serait de lier toute dérogation (par exemple < 100 g) à des protocoles stricts, contrôlables et sanctionnables. Là se jouera la crédibilité du compromis.

Portrait d’un « pilote » : travail, discipline, vitesse

À 66 ans, Carlos Tavares revendique une éthique : travail, discipline, vitesse d’exécution. Son livre Un pilote au cœur de la tempête décrit des rituels d’endurance. De plus, il aborde une obsession de l’efficience et des convictions forgées de Renault à PSA, jusqu’à Stellantis. L’homme a redressé, fusionné, compressé. Il sait aussi choquer par ses courtes phrases. De ce personnage naît le mystère : pragmatisme ou provocation ? Vision à long terme ou ajustement défensif ?

Ce que l’on suivra maintenant

  • La revue européenne de l’architecture 2035 et ses modalités concrètes (e-carburants, hybrides, utilitaires, petites séries).
  • Le niveau de prix des petites VE et la montée d’une offre < 25 000 €.
  • L’implantation d’acteurs chinois en Europe (rachat de sites, co-entreprises, sourcing), et les garde-fous commerciaux.
  • Les choix industriels des groupes européens : plateformes multi-énergie ou full BEV.

Un compromis à l’européenne

Le mystère Tavares n’est peut-être qu’une méthode : forcer le débat sur le comment sans bousculer le pourquoi. 2035 reste l’étoile polaire. Mais assouplir l’itinéraire via un seuil mesuré pourrait accélérer le renouvellement réel du parc et soulager la classe moyenne. Reste à prouver que ce réglage fin n’ouvrira ni brèche dans l’ambition climatique, ni autoroute aux stratégies de contournement. À Bruxelles comme dans les usines, c’est désormais l’heure des chiffres et des essais chronométrés.

Cet article a été rédigé par Christian Pierre.