
Le 9 juin 2025, Sylvester Stewart, plus connu sous le nom légendaire de Sly Stone, s’est éteint à l’âge de 82 ans, laissant derrière lui un héritage musical immense et complexe. Visionnaire, révolutionnaire, provocateur, Sly Stone a su fusionner avec génie la soul, le funk, le rock psychédélique et le gospel, ouvrant la voie à des générations d’artistes, de Prince à Kendrick Lamar.
Né le 15 mars 1943 à Denton, au Texas, Sylvester Stewart grandit à Vallejo, près de San Francisco, dans une famille profondément religieuse où la musique gospel constitue ses premières influences. Prodige précoce, il maîtrise rapidement plusieurs instruments : piano, guitare, basse et batterie, se distinguant dès l’adolescence au sein des Viscaynes, un groupe multiracial de doo-wop, préfigurant l’utopie musicale qu’il allait incarner avec Sly and the Family Stone.

Un innovateur musical aux messages intemporels
En 1966, Sly Stone fonde Sly and the Family Stone, premier groupe d’envergure mêlant hommes et femmes, blancs et noirs. En quelques années, ils imposent une vision audacieuse de la musique et du monde. Avec des titres emblématiques tels que "Everyday People", véritable hymne à la diversité, et "Dance to the Music", Sly Stone atteint une notoriété mondiale, culminant lors de leur performance historique au festival de Woodstock en 1969.
L’album Stand ! (1969), l’un des chefs-d’œuvre du funk et du rock psychédélique, consacre le groupe comme icône culturelle. Sly Stone y exprime une conscience sociale aiguë, notamment dans "Don’t Call Me Nigger, Whitey", dénonçant avec force les préjugés raciaux. Miles Davis lui-même avouera avoir été profondément influencé par l’énergie novatrice du groupe.
Une trilogie fondatrice du funk moderne
Mais c’est avec There’s a Riot Goin’ On (1971) que Sly Stone touche au génie absolu. L’album, sombre et expérimental, reflète la complexité de l’Amérique des années 70. Son titre répond directement au "What’s Going On ?" de Marvin Gaye, symbolisant l’émergence d’une conscience noire plus militante et désabusée. "Family Affair", morceau-phare de l’album, reste un chef-d’œuvre intemporel, capturant à merveille l’ambivalence des relations humaines.
Le disque suivant, Fresh (1973), confirme encore l’immense talent de Sly Stone, combinant sophistication musicale et groove brut. Le succès planétaire "If You Want Me to Stay" marque l’apogée artistique du musicien et demeure l’un des standards incontournables du funk.
Descente aux enfers et isolement médiatique
Hélas, le génie s’abîme progressivement dans les excès de la célébrité. La consommation excessive de drogues, particulièrement la cocaïne, déstabilise profondément le groupe, menant à des tensions internes et à l’éclatement progressif de la Family Stone dès le milieu des années 1970. Malgré quelques tentatives de retour sur scène, Sly Stone sombre dans une existence chaotique, perdant peu à peu le contrôle de son œuvre, de sa fortune, et finalement de lui-même.
Dans les années 2000, son déclin personnel se confirme. Dépouillé de ses royalties et vivant de l’aide sociale, Sly Stone loge dans des hôtels miteux, voire dans un camping-car. Son histoire devient alors une illustration poignante des revers de l’industrie musicale et des ravages de la toxicomanie.

Un héritage musical indélébile et une influence majeure
Pourtant, son influence reste immense. Sly Stone a profondément inspiré la musique populaire, du funk au hip-hop, en passant par le rock alternatif. Des artistes tels que Prince, George Clinton et Michael Jackson reconnaissent ouvertement leur dette envers lui. En outre, Michael Jackson racheta ses droits d’édition. De nombreux producteurs et musiciens modernes puisent dans son catalogue. Ainsi, ils créent de nouvelles sonorités et renforcent l’importance intemporelle de sa discographie.
La famille Stone a annoncé que, malgré ses années difficiles, Sly avait récemment terminé un scénario adapté de son autobiographie parue en 2024, preuve d’un désir intact de raconter son histoire jusqu’au bout. Le public pourra bientôt découvrir cette œuvre posthume, témoignage ultime d’un esprit créatif resté vif jusqu’à ses derniers instants.
La disparition de Sly Stone rappelle cruellement que, même aux États-Unis, les rêves les plus lumineux peuvent sombrer dans l’obscurité. Pourtant, les sons, les rythmes et l’audace visionnaire de sa musique résonneront encore longtemps. Ils rappellent une époque où tout semblait possible et un homme rêvant d’un monde cosmopolite. Au-delà des couleurs de peau, il n’en reste qu’une : celle de notre humanité.