
Treize saisons. Une maison rose bonbon inchangée. Des candidats toujours plus lissés que le front d’une Miss Botox. Et cette voix robotique, vestige d’un futur auquel on aurait dû renoncer. Secret Story 13, diffusé sur TF1, n’est pas qu’un divertissement pour cerveaux en jachère : c’est une capsule temporelle sociologique, une vitrine – souvent brisée – de nos aspirations les plus… inquiétantes.
Avec ses 2,3 millions de téléspectateurs hebdo, et ses 125 millions de vues TikTok en deux semaines, la bête impressionne. En effet, elle ne se contente pas d’exister. Elle s’impose, colonise, fascine. Mais fascine qui, et surtout, pour quoi ?
Christophe Beaugrand : le dernier homme debout dans un monde de silicone
Heureusement, il y a Christophe Beaugrand, héraut d’un certain professionnalisme télévisuel, survivant d’un journalisme en voie d’extinction. Son brushing tient plus fermement que les principes moraux de ses colocataires d’émission.
Récemment victime d’un cambriolage aux côtés de son mari Ghislain Gerin et de leur fils Valentin Beaugrand-Gerin, puis cible de violences homophobes numériques d’une bassesse abyssale, Beaugrand n’a pas vacillé. Tandis que les haters éructaient, lui, impassible, annonçait les nominations comme on récite Racine : stoïque et impeccable. On lui aurait volontiers confié une édition spéciale sur LCI à la place d’Arlette Chabot, mais la France a malheureusement ses traditions.
Casting : le meilleur du pire, sélectionné par un algorithme alcoolisé

Bienvenue dans la colocation officielle de la République de TikTok. Cette promotion 2025 semble avoir été conçue par une IA sous anxiolytiques.
- Adrien, l’enfant des retrouvailles familiales émotionnelles.
- Aïmed et Célia, duo de la "transparence", coincés dans une maison pleine de miroirs déformants.
- Anita & Noah, réincarnation ratée de Roméo et Juliette, sauce Reims.
- Constance et Damien, couple aussi crédible qu’une pub pour un déo éthique.
- Dréa, icône K-pop en carton.
- Ethan, petit frère d’un footballeur, capitalisant sur son ADN comme on vend une franchise.
- Mayer, le QI en bandoulière, mais les neurones en RTT.
- Pimprenelle, émotion incarnée et lacrymale sur pattes.
- Romy, influenceuse d’elle-même.
- Théo, avatar de la précarité glamourisée.
- Et enfin Marianne, 11 prénoms, autant de facettes, aucune cohérence.
Tous portent des secrets calibrés pour le buzz, avec confessions sous cellophane et souffrances rentabilisées. De plus, le storytelling est huilé au placement de produit.
Un public qui scrolle plus vite que son ombre (et sa conscience)
D’après un rapport du CSA (2024), 78 % des 15-24 ans consomment la télé-réalité par extraits YouTube et TikTok. Pire : 47 % d’entre eux jugent que toute mise en scène est acceptable si elle mène au succès. Et un sur trois a déjà cité un candidat de télé-réalité comme "modèle de vie".
Un modèle ? Oui, un modèle. En plastique, évidemment.
Ce n’est pas que les jeunes sont naïfs : ils sont juste éduqués à l’émotion rentable. Le fond n’a plus de forme. Seule compte l’intensité perçue, même simulée. Et pourquoi pas ? Puisque même 28 % des lycéens envisagent une carrière influencée par la télé-réalité (INJEP, 2023). La voie royale : de la chambre d’ado à la villa à Dubaï.
L’État sponsorise-t-il la décérébration collective ? Spoiler : un peu, oui
Oui, la France finance (indirectement) cette fresque néo-baroque du vide. Grâce à quelques subtilités techniques, des émissions comme Les Anges ou La Villa ont touché jusqu’à 130 000 € d’aides publiques par saison, via le CNC (Mediapart, 2022). C’est une goutte d’eau dans un budget global, mais une gifle symbolique à l’intelligence collective.
De la larme au like : l’économie du pathos scénarisé
La règle : plus c’est triste, plus ça clique. Un rejet parental ? Jackpot émotionnel. Un handicap ? Twist de prime time. Un accident tragique ? Bienvenu dans l’élite du storytelling. Le "secret" n’est plus secret. Il est produit, découpé, marketé.
Comme le souligne Laure Murat dans La société du spectacle 2.0, cette téléréalité est une "école du mensonge émotionnel". On n’y cache plus son passé : on le monétise.
Politique et télé-réalité : le même miroir, avec plus de costumes
Selon Philippe Riutort, politologue, "la télé-réalité a infiltré les codes politiques". Confessions feintes, buzz calculé, clashs orchestrés : les campagnes électorales sont désormais des émissions de prime time.
En 2022, 53 % des jeunes électeurs ont d’abord connu un candidat via ses contenus viraux. Et certains anciens "candidats" sont aujourd’hui élus, chroniqueurs, youtubeurs… Ou tout cela à la fois. La reconversion est fluide, l’ambition toujours horizontale.
Une loi ? Oui, mais molle comme une gélule protéinée
En mai 2023, une loi encadrant les influenceurs a interdit les arnaques les plus grossières. Mais le cœur nucléaire de la télé-réalité, lui, reste libre comme l’air – ou plutôt, comme une ring light.
Le Conseil d’État a confirmé que ce genre de programme ne relève pas de l’éducation ni de la politique. Donc, liberté totale pour promouvoir la liposuccion 4K ou le collagène en spray.
Méprisée en public, consommée en cachette : la schizophrénie française
67 % des Français disent détester la télé-réalité, selon Harris Interactive (2024). Mais 52 % en regardent "de temps en temps", et 31 % "régulièrement". Voilà.
Hypocrisie nationale ? Plutôt un rite d’auto-flagellation moderne, mi-dérision, mi-dépendance.
Pour Pascal Lardellier, auteur du Grand bêtisier du réel, la télé-réalité est le miroir logique d’une société de l’exposition permanente. C’est une ritournelle du drame accessible, une odyssée sans Homère mais avec des hashtags.
Secret Story 13 : miroir de notre époque ou vortex de vacuité ?
La saison 13 ne dévie pas. Elle exécute avec brio son cahier des charges du néant scénarisé :
- Des secrets sans mystère.
- Des candidats sans mystique.
- Des épreuves ridicules mais jamais ratées côté audience.
- Et un public qui, en se moquant, continue de cliquer.
La télé-réalité, aujourd’hui, n’aspire plus à éduquer ou divertir. Elle absorbe. Elle reflète.
Et peut-être est-ce cela, désormais, la fonction noble de la télévision : ne rien transmettre, ne rien élever, mais caresser la surface jusqu’à l’extinction des lucioles.