
À l’ATP Shanghai (Masters 1000), le 10 octobre 2025, Arthur Rinderknech, 54e mondial au départ, a dompté Félix Auger-Aliassime 6-3, 6-4 pour s’offrir la première demi-finale au Shanghai Masters 1000 de sa carrière. Porté par un service souverain et une gestion froide des points clés, le Français signe un troisième succès de la semaine contre un Top 20, tandis que son cousin Valentin Vacherot prolonge, lui aussi, son improbable cavalcade.
Le match qui change un visage
Sous la lumière lactée du soir chinois, Arthur Rinderknech a refermé le poing comme on scelle un pacte avec soi-même. Le 10 octobre 2025, sur le court princier de l’ATP Masters de Shanghai, il a maîtrisé Félix Auger-Aliassime : 6-3, 6-4. Une ligne claire, presque sèche, qui dit l’essentiel. Un unique break a suffi pour dicter le premier set, un break d’entrée pour cadrer le second, puis trois balles de débreak écartées à 2-1 pour repousser le retour canadien. La balle de match a filé sur un ace, gant de velours et claque de granit. Voilà la première demi-finale au Shanghai Masters 1000 d’une carrière patiemment charpentée.
Rinderknech, 30 ans, 1,96 m, silhouette droite et regard calme, s’est contenté d’avancer à pas sûrs. Son tennis parle peu, mais parle juste : un service posé, une volée taillée, des amortis comme une politesse. À Shanghai, l’économie du geste devient splendeur.
Les jalons d’une semaine singulière
Tout avait commencé par un souffle. D’abord Alex Michelsen maîtrisé, puis Alexander Zverev, numéro 3 mondial, renversé une seconde fois en trois mois, écho vibrant du gazon londonien. En huitièmes, Jiří Lehečka, n° 19, s’est heurté à une défense sans fioritures. En quarts, Auger-Aliassime, n° 13, a fini par céder devant l’entêtement poli du Français. Trois victoires sur des Top 20 en une seule semaine : les palmarès aiment ces séries nettes, les joueurs savent combien elles sont rares.
Côté résultats du Shanghai Masters, les chiffres restent modestes, presque puritains. Peu de doubles fautes, beaucoup de premières, des secondes mieux apprivoisées. Le grand mérite, ici, tient à la gestion du vent contraire. Ces trois balles de débreak sauvées ont le cuir d’une saison entière. Shanghai, c’est du tact autant que du souffle.

Une aventure double : l’ombre bienveillante du cousin
Il y a, dans cette histoire, une cousinerie qui donne son sel. Valentin Vacherot, Monégasque, n° 204, a accroché la veille sa propre demi-finale après avoir renversé Holger Rune. Les clameurs se répondent d’un court à l’autre : ici la précision d’Arthur, là la fougue de Valentin. Ils portent le même sang, pas le même maillot, un équilibre qui fait sourire Shanghai. Dans les travées, on murmure cet air : deux garçons sur un même fil, chacun sa lumière, même vertige.
Pour le tennis français, l’image frappe, nette : pendant que Rinderknech s’ouvre un premier grand balcon, Vacherot, « Petit Poucet » magnétique, avance dans le sillage d’une semaine invraisemblable. On ne sait jamais à qui appartient une épopée : à celui qui la vit, à celui qui la regarde, ou à ceux qui en héritent.
Tableau du Shanghai Masters : prochain seuil, Medvedev ou De Minaur
Le pinceau hésite entre deux portraits. Daniil Medvedev, n° 16, laboratoire vivant, angles mal polis et fil de fer, ou Alex De Minaur, n° 7, perfectionnisme à voix basse, pas d’appui et nerf à fleur de ligne. Rinderknech a déjà croisé le second, à Pékin, sans y trouver la clef. Le premier, lui, vous oblige à penser au bord de la table. Qu’importe le rival du dernier carré : l’épreuve sera d’abord mentale.
Dans la géographie du tournoi de Shanghai, une demi-finale du Masters 1000 de Shanghai ne se visite pas, elle se conquiert. Il faudra tenir la longue diagonale et accepter les échanges suspendus. De plus, servir en premier quand cela brûle est crucial. Par ailleurs, il est important de varier le point de chute. De plus, dissuader l’adversaire de s’installer dans la répétition est essentiel. Shanghai récompense ceux qui modulent l’allure.
L’école des fondamentaux
On se demande ce qui, chez Arthur Rinderknech, a mûri à ce point. Les réponses, comme souvent, se trouvent loin des projecteurs. Il y a le socle universitaire américain, Texas A&M, cette science de la répétition et du collectif, une terre où l’on apprend à s’économiser pour mieux franchir les soirs abrupts. Il y a ce goût pour la volée bien préparée, héritage d’un tennis français enfin sans réticences. De plus, il y a surtout une gestion clinique des points clés, savoir-faire discret rendant les lundis féconds. Par ailleurs, ce même savoir-faire rend les vendredis décisifs.
La balle part vite et ne revient pas toujours. La première balle de Rinderknech refuse le bruit, trace sa ligne, creuse son sillon. Shanghai n’a pas vu un déluge d’aces. Cependant, il y a eu une suite de services bien placés et opportuns. À l’heure où tant de matches s’emballent sur une volée d’exubérance, le Français a choisi la sobriété efficace. Les grandes semaines ressemblent à cela : peu de démonstrations, beaucoup d’applications.

2025, année chahutée, trajectoire redressée
L’année lui a laissé des dettes. Des tournées où les tableaux s’ouvraient mal des secondes tours comme des plafonds râpeux. Puis il y eut le choc de Wimbledon, déjà Zverev, déjà la sensation d’un plafond brisé. À Shanghai, la continuité se dessine : même prise de risque contrôlé, même lucidité dans les moments tièdes. La confiance, mot galvaudé tant de fois, reprend ici ses droits. Elle ne fait pas gagner les points, elle les autorise.
Au classement, la récompense suivra. Selon les résultats ATP Shanghai, les projections annoncent un bond vers son meilleur rang. Il se rapproche des portes du Top 40, ce qui promet des entrées dans les tableaux majeurs sans solliciter le hasard. Le plus difficile commence souvent là : faire durer ce qui a surgi.
Scènes de match : le détail qui décide
On revoit ce premier set discipliné, la seule balle de break convertie comme on referme une serrure. Puis ce break d’entrée au second, presque un manifeste : il s’agissait de prendre l’espace, de poser le décor. À 2-1, trois balles de débreak ont accusé la lumière. Le public du Shanghai Masters tennis, bon enfant, a retenu son souffle. Rinderknech a servi au corps, a étiré la zone extérieure, a avancé derrière la balle comme on avance en montagne, par paliers, sans dramatiser l’altitude. Quand la dernière balle s’est éteinte, le Français n’a pas crié. Il a salué, simplement.
Il n’y a pas eu d’ouragan. Juste une pression continue qui use et qui asphyxie les rebellions. Sur les rares balles longues, il a varié, glissé une amortie, cherché la volée contrôlée. Ce n’est pas spectaculaire à chaque point. C’est professionnel à chaque instant.
Le regard de Shanghai
La ville bruissait ce soir-là, comme une mécanique heureuse. On sortait des bureaux, on ralliait les tribunes, on se rappelait qu’un Masters 1000 est un théâtre à ciel ouvert. Les téléphones s’allumaient quand Vacherot apparaissait en écran géant, ramenant le tournoi à une sorte de roman familial. L’idée qu’un cousin de Monaco et un cousin de France se rencontrent amuse la foule. En effet, cette rencontre a lieu le temps d’un week-end. De plus, cela aiguise les curiosités en les voyant ensemble dans le même dernier carré. On n’écrit pas cela souvent.
Il y a, dans cette parenthèse, quelque chose qui réconcilie. Le tennis français, si prompt à douter de ses héritiers, s’offre ici un récit à hauteur d’homme. Rinderknech ne promet rien, il continue. Vacherot n’explique pas, il joue. Le reste, c’est nous qui le projetons.

D’où vient un tel calme ?
Il y a d’abord l’expérience tardive. Rinderknech n’a pas forci en adolescent prodige. Il a appris la patience, affûté la discipline, résisté aux classements mouvants. Son jeu n’est pas un cri, c’est une phrase tenue. Dans l’aire de repos entre deux points, le visage ne dit pas plus de choses que le bras. Shanghai récompense cette laconicité.
Il y a ensuite le choix des filières. En entamant sa route par l’université américaine, Arthur Rinderknech a privilégié la longévité à la fulgurance. De cette école, il a gardé l’art du travail fractionné, la culture de l’entraînement utile. Ces qualités façonnent une semaine comme celle-ci : on tranche, on respire, on recommence. Rien n’est laissé au hasard, tout est remis à demain.
Ce que raconte une demi-finale
Une demi-finale ne se vit pas en majesté, elle se négocie. Medvedev pousse à la déconstruction, De Minaur à la vitesse. Face au Russe, il faudra casser la géométrie oblique, accepter l’échange de patience, gravir les points par gradins. Face à l’Australien, il faudra raccourcir, tenir son temps de frappe, ne pas céder le centre. Dans chaque cas, le service reste le fondement, la première parole et parfois la dernière. L’ace final contre Auger-Aliassime en est la signature.
Au-delà du tableau, l’enjeu est ailleurs : installer durablement une crédibilité de haut niveau. Les jeunes loups montent, les vénérables s’agrippent. Une place se gagne à l’usure. Shanghai propose une rampe. Rinderknech s’y engage sans promesse mais avec sérieux.
Un nom, une saison, une mesure
Comme souvent, les grandes victoires n’éclairent qu’à moitié. Elles disent une forme, laissent dans l’ombre les matins de musculation, les séances de retour de service, les voyages. La victoire contre Zverev à Londres a ouvert une porte. Celle de Shanghai dit qu’il sait l’emprunter. Les matches gagnés contre Lehečka puis Auger-Aliassime tissent le fil d’un discours cohérent. Une saison prend de temps en temps sens en cinq jours.
Il y a enfin ce plaisir simple de voir un joueur français imposer un style épuré et efficace. Le public s’y reconnaît. Les amateurs de détails aussi : la prise de balle en avant, la main de volée, l’économie de gestes. Cela ne fait pas là une des clips, mais cela change un match.
Le temps gagné sur soi
Dans le vacarme discret d’un stade bien élevé, Arthur Rinderknech a repris une conversation engagée depuis des années avec son propre jeu. Elle a pris, en Chine, un accent plus grave. On entend la promesse d’un joueur majeur, non par l’éclat mais par la constance. Demain, la marche sera plus haute. Peu importe le nom sur l’affiche : Shanghai, déjà, a livré sa vérité. Un Français peut y gagner un temps sur lui-même. C’est parfois tout ce qu’il faut pour changer un destin.