
Luca de Meo, directeur général du groupe Renault depuis 2020, quittera ses fonctions le 15 juillet 2025. L’annonce, faite un dimanche soir, a surpris tant les observateurs que les salariés du constructeur. Elle rappelle par sa soudaineté le départ précipité de Carlos Tavares de chez Renault en 2013. Mais cette fois, le contexte est différent. Il s’agit d’un passage volontaire vers un univers radicalement opposé : celui du luxe.
Selon une information révélée par Le Figaro, le dirigeant italien rejoindra Kering, fleuron français de l’industrie du luxe fondé par François Pinault et aujourd’hui dirigé par son fils François-Henri Pinault. Le groupe possède des marques emblématiques comme Gucci, Balenciaga, Alexander McQueen et Saint Laurent. Cependant, il cherche à renouveler son élan managérial. En effet, ses performances sont actuellement en berne.
Ce transfert de l’industrie automobile à la mode de luxe illustre une tendance plus large. En effet, les grandes entreprises internationales recrutent des profils transversaux. Ces profils sont capables d’insuffler une culture du produit et une rigueur industrielle dans des secteurs en mutation.

Cinq ans pour transformer Renault
En juillet 2020, Luca de Meo prend les commandes d’un groupe Renault à la dérive. Les pertes de l’année précédente atteignent près de 8 milliards d’euros. L’entreprise sort éreintée de l’ère Carlos Ghosn, marquée par la démesure. De plus, elle a connu des tensions avec Nissan. Enfin, une stratégie d’expansion très coûteuse a aussi laissé des traces.
Rapidement, de Meo lance le plan Renaulution, une feuille de route articulée autour de trois axes : la rentabilité, la valorisation de la marque et la transition vers l’électrique. Des filiales spécifiques sont créées pour différencier les activités thermiques (Horse) et électriques (Ampère).
Les résultats sont là. En 2024, Renault annonce un chiffre d’affaires en hausse de 7,4 % et une marge opérationnelle à 7,6 %, un record historique. La gamme est recentrée sur des modèles iconiques, à forte valeur ajoutée. La nouvelle Renault 5, présentée comme le symbole du renouveau, suscite un véritable engouement. L’image de la marque est revitalisée par un positionnement plus clair. En outre, des lignes plus sobres contribuent à cette transformation. De plus, une politique marketing inspirée joue un rôle essentiel.

Des partenariats industriels sont également noués, notamment avec Geely, le groupe chinois qui co-pilote aujourd’hui la structure Horse. Le réseau de distribution est modernisé, les coûts sont réduits sans licencier massivement, et la gouvernance est stabilisée autour du duo de Meo – Senard.
Des ombres au tableau : l’échec d’Ampère
Malgré ce bilan globalement positif, plusieurs chantiers restent inachevés. Le projet Ampère, conçu pour incarner l’avenir électrique du groupe, déçoit. Sa rentabilité reste incertaine. L’annulation de son introduction en bourse en 2024 est un signal d’alerte. Le désengagement progressif de Nissan et Mitsubishi illustre une perte de confiance au sein de l’alliance historique.
Par ailleurs, certains modèles promis ne verront jamais le jour. Par exemple, la Renault 5 hybride ne sera pas produite. Pourtant, ce produit intermédiaire aurait pu séduire un marché encore attaché aux motorisations mixtes. Le marché européen de l’électrique reste volatile, pénalisé par la hausse des prix et les incertitudes réglementaires.
Un parcours forgé par la diversité industrielle
Né à Milan en 1967, Luca de Meo incarne la figure du dirigeant cosmopolite. Diplômé de l’école Bocconi, il parle cinq langues, a vécu sur trois continents et occupe depuis 30 ans des postes de direction dans le secteur automobile.
Il entame sa carrière chez Renault au début des années 1990 avant de rejoindre successivement Toyota, Fiat, Volkswagen et Seat. Partout, il laisse une empreinte stratégique. Il relance Abarth, repositionne la Fiat 500, pilote l’essor de Cupra, la marque sportive de Seat.
Son style est reconnu : proche des produits, sensible au design, rigoureux dans la gestion, exigeant dans le pilotage. Il combine une vision marketing aiguë avec une compréhension technique des enjeux industriels.
Une décision personnelle et assumée
Le départ de Luca de Meo ne résulte pas d’un conflit. Au contraire, les déclarations de Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault, sont empreintes de respect et de reconnaissance. “Luca de Meo a su transformer Renault en profondeur. Il laisse une entreprise redressée, structurée et ambitieuse.”
Le moment interroge cependant. Son mandat avait été renouvelé pour quatre ans en 2024. Il devait présenter en septembre 2025 le plan stratégique Futurama, censé dessiner les dix prochaines années du groupe. Sa démission soudaine soulève donc des questions sur la gouvernance future.
Kering en quête de reconquête
Chez Kering, la situation est tendue. En 2024, le groupe enregistre une chute de 12 % de son chiffre d’affaires et une baisse de 62 % de son résultat net. Le recul de Gucci, sa marque phare, fragilise l’ensemble de l’édifice. En 2025, l’action Kering a déjà perdu 25 % de sa valeur.
Le choix d’intégrer un profil industriel comme Luca de Meo marque une rupture. Kering, historiquement dirigé par des spécialistes du luxe et de la finance, cherche visiblement à opérer un virage culturel. L’objectif : renouer avec une excellence produit, rationaliser les opérations, et mieux intégrer les technologies.
De Meo n’a jamais dirigé une maison de luxe, mais son flair marketing, sa capacité à repositionner des marques, son goût du design et son leadership opérationnel sont autant d’atouts dans une industrie en pleine reconfiguration.
D’une industrie à l’autre : les nouveaux codes du pouvoir
Le passage de Luca de Meo de Boulogne-Billancourt aux bureaux feutrés de Kering à Paris incarne une nouvelle mobilité. En effet, cela illustre la mobilité des élites dirigeantes. D’anciens dirigeants de la tech, de la finance ou de l’automobile dirigent maintenant des maisons de luxe. En effet, ces leaders expérimentés ont transféré leurs compétences vers ce secteur prestigieux et florissant. Par ailleurs, ils dirigent également des groupes culturels ou de médias.
Ce mouvement traduit une convergence des compétences : dans un monde où les marques sont devenues des plateformes globales, l’expérience produit, la gestion des chaînes de valeur et la maîtrise du narratif sont devenus transversaux.
Le cas de Luca de Meo illustre aussi la porosité entre deux univers que tout semblait opposer. L’ingénierie automobile et la création de mode partagent un même goût pour la forme et la fonctionnalité. De plus, elles valorisent l’usage et l’image, ce qui les rapproche davantage. Plus qu’une reconversion, il s’agit d’une extension de champ.
Une page se tourne, un chapitre commence
Le 15 juillet, Luca de Meo quittera Renault, laissant une entreprise transformée mais encore en quête de stabilité durable. Il rejoindra Kering avec, en main, une feuille blanche et un horizon à réinventer. Le luxe, plus que jamais, devient un terrain d’innovation managériale et stratégique.
Pour Kering, ce pari illustre l’urgence d’un repositionnement profond. Pour l’industrie automobile, il rappelle la fragilité des équilibres.
Et pour le monde de l’entreprise, il confirme une vérité moderne : les compétences se déplacent, les trajectoires se croisent, les filières se réinvente.