
Raphaël Quenard investit l’année 2025 avec une intensité rare. Il publie Clamser à Tataouine, un premier roman sombre, et co-réalise I Love Peru, film hybride où se mêlent introspection et absurdité. L’acteur devenu écrivain puis metteur en scène incarne une génération d’artistes polymorphes, avides de création et affranchis des formats.
Son roman, publié aux éditions Flammarion, déploie la voix d’un tueur en série obsédé par les inégalités sociales. Il traque ses victimes au hasard des quartiers, dans un geste fou teinté d’une mélancolie sociologique. Cette œuvre, bien que violente, se veut un miroir tendu au lecteur. Selon Quenard, "il ne faut pas attendre de la fiction qu’elle répare, mais qu’elle révèle". Ce refus du didactisme l’ancre dans une tradition littéraire libertaire, proche de Louis-Ferdinand Céline ou Virginie Despentes.

De la chimie au verbe : une trajectoire détonante
Né en 1991 à Échirolles, banlieue populaire de Grenoble, Raphaël Quenard grandit entre les livres et les jeux d’enfant. Né d’un ingénieur et d’une employée en assurance, il choisit d’abord l’excellence scientifique. Cependant, il explore ensuite d’autres horizons. Il intègre l’École nationale supérieure de chimie de Paris, puis part en stage à l’Imperial College de Londres. Là, une dissonance intime le pousse vers le théâtre.
De retour à Paris, il se forme chez Jean-Laurent Cochet, maître de diction et artisan du verbe. Il découvre une nouvelle relation au monde, basée sur l’émotion brute. De plus, il adopte un regard de biais. Enfin, il utilise la langue comme outil de rébellion. Rapidement, il enchaîne les courts métrages, forgeant une présence magnétique, reconnaissable entre toutes.

Un style identifiable, une voix rare
Dans Chien de la casse (2023), il incarne un paumé au grand cœur, secoué de colère contenue. Dans Yannick, de Quentin Dupieux, il impose une densité singulière, décalée mais poignante. Ces performances lui valent deux nominations aux César 2024, dont celui de la révélation masculine qu’il remporte.
Depuis, son nom apparaît sur des affiches de films variés comme Je verrai toujours vos visages. De plus, il figure sur L’amour ouf. Enfin, il est présent sur Les trois fantastiques. Il mêle comédie, drame, ironie politique et humanité à fleur de peau. Son phrasé, truffé d’images mentales, déroute parfois mais captive souvent. Il le définit comme un "trop-plein de pudeur qui s’inverse en logorrhée".

I Love Peru : farce intime et vertige existentiel
En 2025, il co-écrit et co-réalise I Love Peru avec Hugo David. Le film suit un comédien en panne d’amour, de rôles et de repères. Il rêve qu’il est un condor, créature perchée sur les hauteurs andines, détentrice d’une sagesse muette. Ce voyage, entre hallucination et poésie, a été présenté au Festival de Cannes 2025 dans la sélection Un Certain Regard. Il y a reçu une ovation discrète mais sincère.
Le film déroute par sa construction fragmentaire. Certaines scènes frôlent le non-sens, d’autres frappent par leur beauté nue. On pense parfois à Holy Motors de Leos Carax, parfois à La montagne sacrée de Jodorowsky. Mais Quenard y imprime sa marque : un mélange de trivial et de métaphysique, de larmes et de grotesque.

Un rapport charnel à la culture et au langage
Invité récent de La Grande Librairie, Quenard confiait son complexe face aux classiques non lus. Il voit dans l’écriture une manière de réconcilier savoir et instinct. Clamser à Tataouine n’est pas seulement une fiction criminelle. C’est un essai voilé sur la violence systémique, la solitude masculine et les injonctions sociales. L’auteur y ose l’inconfort, tout en laissant filtrer des éclats de tendresse.
Son inspiration vient du bitume, des accents, des détails de comptoir. Il revendique un réalisme charnel, à la manière d’un Kassovitz ou d’un Zadig & Voltaire à l’arrière-goût de poussière. Pour lui, le langage est un refuge autant qu’une arme. Il cherche à dire ce que l’on tait, à nommer ce qui frotte, ce qui coince.
Quenard, emblème d’une génération déclassée et flamboyante
Au-delà de sa trajectoire singulière, Raphaël Quenard incarne une tension contemporaine. Celle d’une génération instruite mais incertaine, ultra-sensible et en quête de sens. Il ne prétend pas être porte-parole. Mais sa voix porte, justement parce qu’elle doute, bifurque, se contredit parfois.
Il inspire de jeunes artistes, souvent issus de milieux modestes, qui voient en lui un modèle possible : libre, curieux, décomplexé. Il s’inscrit dans une lignée d’acteurs-auteurs, aux côtés de Vincent Macaigne, Rabah Naït Oufella ou Adèle Haenel, tous portés par une envie de rupture et d’expérimentation.
Un futur ouvert, entre ancrage populaire et audace poétique
Avec Clamser à Tataouine et I Love Peru, Raphaël Quenard affirme un style, un univers, une vision. Il navigue entre les formes, les médias, les intensités. Il n’a pas de plan de carrière mais une énergie, presque vitale, à inventer.
On attend désormais la suite. Une pièce de théâtre ? Un second roman ? Une série expérimentale ? L’avenir de Quenard se dessine sans clé de lecture. Et c’est justement ce vertige qui le rend si précieux dans un paysage culturel parfois figé.