
Le 14 octobre 2025, Orange, Bouygues Telecom et Iliad (Free) ont proposé près de 17 milliards d’euros pour la majeure partie de SFR, propriété d’Altice France. Le 15 octobre, la maison mère a opposé un refus net, jugeant la valorisation insuffisante. Au cœur de l’actualité SFR : la consolidation des télécoms en France, des investissements promis et le sort des abonnés, sous l’œil aiguisé des régulateurs.
Marché mobile à trois : il se dessine, puis se dérobe
Le scénario s’est noué en deux journées nettes. Le 14 octobre 2025, un communiqué commun signale qu’Orange, Bouygues Telecom et Iliad (Free) déposent une offre conjointe non engageante pour racheter la majeure partie des actifs télécoms d’Altice France, maison mère de SFR, numéro deux du marché. Montant affiché : 17 milliards d’euros en valeur d’entreprise, la dette restant à part. Le lendemain, 15 octobre 2025, Altice France, dirigée par Arthur Dreyfuss, fait savoir en interne qu’elle rejette immédiatement la proposition. Ce double temps révèle la tension d’un secteur mature. Les marges s’obtiennent grâce à de lourds investissements. De plus, la patience devient rare.
Ce que proposaient les trois concurrents-rivaux

L’architecture esquissée ressemble à une cartographie minutieuse des actifs. Le périmètre exclu d’emblée : Intelcia, UltraEdge, XP Fibre, Altice Technical Services, ainsi que les activités ultramarines. Au cœur, les activités métropolitaines de SFR. La répartition indicative se veut équilibrée tout en assumant un déséquilibre fonctionnel : Bouygues récupérerait 43 % de l’ensemble, Iliad 30 %, Orange 27 %. Dans le B2B télécom, l’essentiel irait à Bouygues et Iliad, côté grand public et infrastructures, un partage serait organisé. Le montage nécessite une société commune transitoire pour exploiter ce qui ne peut changer immédiatement. Ainsi, une migration progressive des clients est envisagée. Les ambitions ne se dissimulent pas : passer d’un marché à quatre à un paysage à trois, tout en promettant de préserver la continuité de service.
Pourquoi Altice a dit non
Le rejet immédiat est attribué, d’après les courriels internes cités par la presse, à une valorisation jugée trop basse par l’actionnaire de contrôle, Patrick Drahi, actionnaire de contrôle d’Altice. La réduction de dette réalisée à l’été 2025 a certes desserré l’étau financier. Cependant, elle n’a pas éliminé la volonté de maîtriser le calendrier et l’équation de prix. Altice France indique à ses salariés qu’elle ne souhaite pas engager de discussions sur cette base. L’affaire se joue aussi à la table des créanciers désormais copropriétaires d’une part significative du capital économique. Le message est simple : la maison est moins pressée de vendre qu’on ne le croyait. De plus, elle veut mieux valoriser ce qui reste son principal actif.
La dette d’Altice France en toile de fond
Derrière la dramaturgie des offres et des contre-offres, un bilan. Altice France a annoncé au premier semestre une restructuration ramenant sa dette nette à environ 15,5 milliards d’euros, avec 8,6 milliards de dettes effacés ou refinancés, et des échéances étirées à 2028/2033. Ce réglage ne résout pas tout, mais il prolonge la piste et stabilise l’exploitation. C’est le socle sur lequel Patrick Drahi, actionnaire de contrôle d’Altice entend négocier. Pour acquérir SFR, il faudra payer non seulement pour ses clients et ses fréquences. Mais aussi, il faudra dédommager le renoncement à un périmètre cohérent.

Régulation télécom : le droit de la concurrence comme juge de paix
Si le dossier devait ressortir des cartons, il emprunterait un chemin balisé : audit approfondi, accord du vendeur, consultation des représentants du personnel, puis contrôle par l’Autorité de la concurrence et l’ARCEP, possiblement au niveau européen si l’opération, par ses effets de marché, l’exige. Au fil des ans, le régulateur français a affiné ses outils, il examine la concentration au prisme des marchés pertinents : mobile, fixe, gros, détail, entreprises, infrastructures passives. La Commission européenne a, de son côté, envoyé des signaux plus souples sur certaines opérations récentes, sans renoncer à poser des remèdes : cessions d’actifs, MVNO renforcés, accès wholesale. En un mot : la porte peut s’ouvrir, mais seulement au prix de conditions substantielles. Dans le quotidien des abonnés, la priorité reste la continuité de service et la clarté des offres.

Un chantier social à ciel ouvert
Les équipes de SFR sont la matière vive de l’opérateur. Toute cession par appartements affole les organisations. Les syndicats demanderont des garanties sur les emplois, la mobilité interne, la continuité des sites régionaux. Les acheteurs, eux, vanteront des synergies qui, au-delà des mots, recouvrent des réorganisations potentiellement douleurs. La consultation des instances représentatives du personnel constituerait une étape décisive. Rien ne garantit un alignement rapide des cultures d’entreprise. Dans les entrailles des réseaux, les équipes d’ingénierie savent la difficulté d’un swap d’équipements, d’un refarming de fréquences, d’une convergence SI. Ce sont des mois de travaux invisibles pour l’abonné et éprouvants pour les salariés.

Calendrier : après le refus, que reste-t-il ?
Le refus d’Altice ne ferme pas l’horizon. Les trois opérateurs peuvent revenir avec une offre révisée, documentée par une due diligence, et ajustée sur les remèdes anticipés. Le prix n’est pas l’unique variable : la simplicité d’exécution, la clarté du découpage, la robustesse des engagements envers les clients et les salariés compteront autant. Un processus complet s’étirerait sur des trimestres, voire années, avec des paliers réglementaires. Le temps politique s’y mêle : l’État observe, soucieux de cohésion territoriale et de souveraineté numérique. Les régulateurs transcrivent ces priorités par des obligations de couverture, de qualité, d’accès et de transparence tarifaire.
Lignes de force, sans emphase
Le 14 octobre 2025, une offre a tenté de redessiner le paysage des télécoms français. Le 15 octobre, elle a buté sur un non. Entre ces deux dates, un programme : réduire le nombre d’opérateurs, libérer des capacités d’investissement, sécuriser la continuité pour des millions d’abonnés. Entre les lignes, un prix ne convainc pas le vendeur. De plus, des régulateurs sont prêts à interroger la promesse d’un marché plus efficace. Rien n’interdit que le dossier réapparaisse, recomposé. Cependant, l’épisode rappelle une vérité simple : une consolidation n’est crédible qu’à la croisée d’un prix juste. De plus, elle nécessite un projet industriel lisible et un contrat social capable de tenir.