Qui a peur de Pierre-Édouard Stérin, influenceur invisible ?

Le visage calme de Stérin, image publique discrète mais déterminée, illustre son approche mesurée du pouvoir

Pierre-Édouard Stérin naît le 3 janvier 1974 à Évreux, dans une famille de la petite bourgeoisie provinciale. Son père est expert-comptable, sa mère employée de banque. L’ambition n’est pas un mot utilisé à la légère dans la famille. Cependant, le jeune Pierre-Édouard déroge vite à cette prudence familiale. Dès le collège, il vend des composants informatiques aux camarades plus fortunés. De plus, il écoule sur les marchés des pots de confiture faits maison. Un geste modeste, mais révélateur d’un esprit entrepreneurial précoce.

Après des études supérieures à la Sorbonne, puis à l’EM Lyon, il intègre brièvement la Société générale, une des principales banques françaises. Ce passage dans la banque d’affaires s’apparente à une impasse. Il claque la porte en 1998, lassé par un univers qu’il juge stérile. Il connaît alors une série d’échecs entrepreneuriaux, de tentatives inabouties, de nuits blanches. Pourtant, il n’abandonne pas. Cette résilience marquera toute sa trajectoire future.

Le regard, fixe et sans détour, dit l'assurance d’un homme qui ne cherche ni la lumière ni l’effacement. Il semble mesurer chaque exposition, comme s’il anticipait les jugements sans les redouter. Cette posture, entre contrôle et simplicité affichée, reflète un positionnement public réfléchi, presque stratégique.
Le regard, fixe et sans détour, dit l’assurance d’un homme qui ne cherche ni la lumière ni l’effacement. Il semble mesurer chaque exposition, comme s’il anticipait les jugements sans les redouter. Cette posture, entre contrôle et simplicité affichée, reflète un positionnement public réfléchi, presque stratégique.

Smartbox, la consécration commerciale

Le tournant arrive en 2003. Il rencontre le Belge Philippe Deneef, qui l’initie à une idée venue du Nord : les coffrets cadeaux. Ensemble, ils lancent le concept en France, dans un marché encore vierge. Mais le succès naissant se heurte à l’administration : leur modèle économique est requalifié en activité d’agent de voyages, ce qui nécessiterait une licence.

Le combat judiciaire dure 18 mois. La tension est palpable. Stérin, calme mais déterminé, mène la bataille. Finalement, il est relaxé. Ce verdict fera jurisprudence et ouvrira la voie à une réglementation spécifique sur les produits packagés de loisirs. En coulisses, il gagne déjà du terrain.

Dès 2006, Smartbox conquiert l’Europe. En 2007, il en devient l’actionnaire majoritaire. Le chiffre d’affaires grimpe. Mais Stérin reste prudent. En 2013, il quitte la direction opérationnelle, tout en conservant une part importante du capital. Il installe ensuite le siège social en Irlande, profitant d’une fiscalité plus avantageuse pour les entreprises. Il tente de céder Smartbox à Wonderbox, sans succès. Un épisode révélateur de son exigence : il vendra, mais pas à n’importe qui.

Otium, capital-risque et logique de sens

En 2009, il lance Otium Capital, un family office destiné à réinvestir les fruits de sa réussite. L’ambition n’est plus seulement financière. Il devient un investisseur-propriétaire dans des dizaines de startups françaises à fort potentiel. Parmi elles, LaFourchette, Payfit, Polène, My Jolie Candle. En 2024, Otium gère 1,6 milliard d’euros d’actifs, ce qui le place parmi les acteurs majeurs du capital-investissement indépendant.

Entouré, mais en retrait, il observe plus qu’il ne participe. Derrière ses sourires discrets, une concentration intense. Stérin semble cultiver un art de l’apparition maîtrisée, préférant la périphérie des scènes visibles à leur centre. Un choix révélateur d’une volonté d’influence indirecte.
Entouré, mais en retrait, il observe plus qu’il ne participe. Derrière ses sourires discrets, une concentration intense. Stérin semble cultiver un art de l’apparition maîtrisée, préférant la périphérie des scènes visibles à leur centre. Un choix révélateur d’une volonté d’influence indirecte.

Mais Stérin ne veut pas être un capitaliste comme les autres. En 2018, il crée le Fonds du bien commun, financé sur ses fonds propres. Son objectif est clair : utiliser sa fortune pour « transformer positivement la société ». Il soutient des écoles, des projets patrimoniaux, des initiatives d’inclusion comme Café Joyeux. Surtout, il annonce vouloir léguer 100 % de son patrimoine à ce fonds, un choix radical dans le monde des affaires. Ses cinq enfants n’en hériteront pas. Ce geste nourrit sa légende et pose les fondements d’un philanthro-capitalisme militant.

L’exil belge et les contours d’une foi militante

En 2012, Pierre-Édouard Stérin s’installe à Lasne, dans la banlieue chic de Bruxelles. Il affirme que ce déménagement est une réponse à la fiscalité confiscatoire française sur les plus-values. Cependant, il jure reverser les économies fiscales à des œuvres françaises. Le paradoxe n’échappe à personne, notamment dans le débat sur les exilés fiscaux français.

En parallèle, il assume des convictions profondes. Il se définit comme libertarien, “anarchiste de droite”, fervent catholique traditionaliste. Il parle de sainteté comme d’un objectif personnel. Sa foi se manifeste à travers des projets concrets. Par exemple, l’Académie Saint-Louis est un pensionnat non mixte et hors contrat prévu en Sologne. L’établissement, dont l’ouverture est annoncée pour 2026, ambitionne de former une nouvelle élite masculine. Il rêve d’en faire un modèle éducatif alternatif, reproductible sur tout le territoire.

Dîners confidentiels et ambitions politiques souterraines

Depuis 2021, Stérin franchit un nouveau cap. Il organise des rencontres discrètes avec des élus, des intellectuels, des figures montantes de la droite française. Il ne prend jamais la parole en public lors de ces dîners, mais pose des questions incisives. Son rôle : celui d’un catalyseur. Il affirme ne pas vouloir se présenter aux élections, préférant « préparer ceux qui gouverneront demain ».

Un visage perçu comme rigoureux mais aussi une forme de dépouillement assumé. Pas de posture conquérante, mais une présence droite, presque ascétique. Une image sans artifice renvoie à une tension intérieure entre pouvoir matériel et quête de transcendance.
Un visage perçu comme rigoureux mais aussi une forme de dépouillement assumé. Pas de posture conquérante, mais une présence droite, presque ascétique. Une image sans artifice renvoie à une tension intérieure entre pouvoir matériel et quête de transcendance.

En 2024, il dévoile Périclès, un plan doté de 150 millions d’euros sur dix ans. Son but est d’infuser les idées conservatrices dans le tissu culturel et politique. Le projet prévoit la création de médias, d’écoles, de formations pour cadres politiques. Cette offensive idéologique suscite des remous. Une commission d’enquête parlementaire sur le financement de la vie politique tente de l’auditionner. Il refuse de comparaître, mais accepte de répondre dans les médias. L’affront est remarqué.

Médias, influence et lignes rouges

Stérin sait que l’opinion publique se gagne aussi sur les écrans. Il prend des participations dans Neo, Le Crayon, Factuel, médias numériques ciblant une audience jeune et politisée. Il explore des rachats plus ambitieux : Editis, Marianne, Valeurs actuelles. À chaque tentative, les équipes internes s’alarment. Certains dénoncent une mainmise de l’ombre. D’autres saluent un contre-pouvoir face aux groupes médiatiques dominants.

Il refuse toute étiquette d’extrême droite. Il se dit conservateur, attaché à la famille traditionnelle et opposé à l’IVG, mais favorable à une démocratie apaisée. Pourtant, ses adversaires voient en lui un financier de la droite identitaire, influent mais insaisissable. Il entretient l’ambiguïté. Et cela lui permet d’avancer, sans être directement attaquable.

Une stratégie assumée, entre philanthropie et politique

Pierre-Édouard Stérin ne se cache plus. Il assume son influence croissante, qu’il veut discrète mais structurée. Il a compris que le mécénat politique se situe à la croisée du don et de l’idéologie. Ainsi, il pourrait devenir un levier de transformation sociale. Il parle de bien commun, mais pose aussi une question centrale à notre démocratie : jusqu’où un homme peut-il peser sur les affaires publiques sans être élu ?

Sa trajectoire, entre capitalisme engagé, foi catholique et réseaux d’influence, en fait un acteur singulier dans le paysage français. La réponse à cette question, peut-être, est encore à écrire. En attendant, il trace sa voie. Hors des sentiers battus. Et sans jamais lever la voix.