Le cinéma français est en deuil. Niels Arestrup, figure incontournable des écrans et des planches, s’est éteint à 75 ans le 1er décembre 2024. Triple lauréat des César, cet acteur intense et imprévisible laisse derrière lui une carrière marquée par des rôles mémorables, des collaborations mythiques et des zones d’ombre fascinantes.
Les racines d’un destin singulier
Né le 8 février 1949 à Montreuil, Niels Arestrup grandit dans une famille modeste, entre une mère bretonne et un père danois. Ce métissage culturel forge en lui une identité complexe, qu’il exprimera avec force dans ses interprétations. Adolescent rebelle, il abandonne ses études à 17 ans, porté par une quête d’absolu qu’il trouvera presque par hasard dans le théâtre.
C’est sous l’égide de Tania Balachova, figure majeure du théâtre français, puis d’Andréas Voutsinas, disciple de Lee Strasberg, qu’il affine son art. L’approche méthodique et viscérale de ses mentors façonne un comédien à fleur de peau, capable de se fondre dans les méandres de l’âme humaine. Dès les années 1970, il se fait un nom sur scène, notamment avec Peter Brook, dont La Cerisaie marque un tournant dans sa carrière.
La consécration au cinéma : un maître de la tension
Si le théâtre demeure son premier amour, c’est sur grand écran que Niels Arestrup inscrit son nom parmi les grands. Ses débuts au cinéma, modestes mais prometteurs, se dessinent avec des rôles secondaires comme dans Stavisky (1974) d’Alain Resnais. Pourtant, ce n’est qu’à partir des années 2000 que son talent éclate véritablement au grand jour.
En 2005, il livre une performance glaçante dans De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard, où il incarne un père violent, complexe et ambigu. Ce rôle lui vaut son premier César. Quatre ans plus tard, il retrouve Audiard pour Un prophète et offre une composition magistrale en chef mafieux corse, brutal et vulnérable à la fois, qui lui vaut un deuxième César. En 2013, il brise son image d’homme sombre avec Quai d’Orsay, où son interprétation subtile et burlesque du directeur de cabinet d’un ministre lui rapporte un troisième César.
Au-delà des trophées, Arestrup est salué pour sa capacité à habiter ses rôles. Catherine Deneuve, admirative, le décrivait comme un acteur capable de capturer l’essence même de ses personnages. Isabelle Adjani, en revanche, gardera un souvenir plus amer de lui : en 1983, sur le plateau de Mademoiselle Julie, leurs tensions atteignent un point de rupture, poussant l’actrice à quitter le tournage.
Les coulisses : un homme d’ombres et de paradoxes
Arestrup, acteur habité, est aussi un homme imprévisible. Les anecdotes de tournage témoignent de sa fougue. Lors de La Dérobade (1979), une gifle trop réelle à Miou-Miou conduit à une blessure grave. Pourtant, ses partenaires de jeu, comme Rachida Brakni, rencontrée sur Baron noir, décrivent un homme généreux, attentif et profondément humain.
Loin des caméras, Arestrup mène une vie discrète. Père tardif, il accueille des jumeaux à 63 ans avec la dramaturge Isabelle Le Nouvel. Ce rôle bouleverse cet homme de passions tumultueuses, qui s’investit avec une tendresse insoupçonnée dans sa vie familiale.
Un héritage artistique protéiforme
En cinquante ans de carrière, Arestrup a traversé tous les registres. Des fresques historiques comme Au revoir là-haut (2017) à des thrillers psychologiques comme Villa Caprice (2021), il a incarné des figures aussi bien sombres que lumineuses. Son autobiographie, Tous mes incendies (2001), éclaire son parcours : un homme hanté par une violence intérieure, mais toujours guidé par une quête de vérité artistique.
Arestrup ne se contentait pas de jouer : il transmettait. Pendant une décennie, il enseigne l’art dramatique, partageant l’héritage de Balachova et Voutsinas. Pour lui, être acteur signifiait explorer les failles de l’humanité, sans fard ni concession.
Un monument en clair-obscur
La disparition de Niels Arestrup marque la fin d’une génération. Ses performances, imprégnées d’une tension rare et d’une profondeur bouleversante, continueront d’inspirer. Acteur de l’extrême, il a su explorer les recoins les plus sombres de l’âme humaine tout en émouvant par sa vérité.
Fauve sacré du théâtre et du cinéma, il reste une figure contrastée, entre génie et excès, lumière et ombre. Un héritage précieux et indélébile.