
Nicusor Dan n’est pas un homme politique comme les autres. Né en 1969 à Făgăraș, en Transylvanie, il se distingue dès l’adolescence par son talent exceptionnel pour les mathématiques. Ainsi, il remporte deux fois la médaille d’or aux Olympiades internationales de mathématiques, en 1987 et 1988, confirmant une vocation précoce. À 18 ans, il rejoint l’université de Bucarest, puis intègre l’École normale supérieure de Paris. Il y côtoie l’élite scientifique européenne, avant d’obtenir un doctorat à Paris-XIII en géométrie algébrique.

Pourtant, il refuse les sirènes de la recherche internationale. En 1998, il choisit de retourner en Roumanie. Ce retour n’est pas anodin. Dans un pays en transition démocratique, rongé par la corruption, il souhaite mettre son savoir au service du bien commun. Il crée l’association Sauvez Bucarest ! dont l’objectif est de défendre le patrimoine architectural. En effet, celui-ci est menacé par des projets immobiliers controversés. Le combat est rude, mais il gagne en visibilité. Il devient la voix d’une nouvelle société civile, résolument engagée contre le clientélisme et la désinvolture urbaine.
De la mairie de Bucarest à la présidence
En 2020, Nicusor Dan accède à la tête de la mairie de Bucarest, capitale embourbée dans des problèmes chroniques : services publics défaillants, chauffages collectifs obsolètes, déficits financiers chroniques. Il bat la candidate sociale-démocrate sortante et entame un mandat axé sur la modernisation des infrastructures. De plus, il se concentre sur le redressement budgétaire tout en affichant une volonté de transparence. Il incarne alors une figure rare : celle de l’ingénieur devenu gestionnaire, dépourvu de rhétorique populiste mais porté par une logique de réparation.

Sa réélection en 2024, avec une marge confortable, le propulse sur le devant de la scène nationale. Et c’est dans un contexte dramatique qu’il se décide à franchir une nouvelle étape. En décembre 2024, le scrutin présidentiel est annulé suite à des révélations d’ingérence russe, provoquant une onde de choc. À 55 ans, Nicusor Dan se lance dans une campagne express. D’abord donné à 20 points derrière son adversaire d’extrême droite George Simion, il comble l’écart grâce à une mobilisation citoyenne sans précédent. Il l’emporte avec 54 % des voix au second tour, porté par les jeunes, les urbains et les classes médias.
Un programme pour une Roumanie européenne et intègre
Dès son élection, Nicusor Dan définit une ligne claire. Il se veut le garant d’une Roumanie européenne, fidèle à ses engagements internationaux. Il réaffirme son soutien à l’Ukraine et renforce les liens avec l’Union européenne. Par ailleurs, il consolide l’ancrage de la Roumanie dans l’OTAN. Son discours du soir du 20 janvier est sans ambiguïté : "Nous faisons partie du monde libre, et nous entendons y rester."
Sur le plan intérieur, il lance le projet "La Roumanie honnête", qui vise à instaurer une administration sans compromission, fondée sur la transparence, la compétence et la probite. Il entend moraliser la vie publique, restaurer la confiance et réduire l’influence des réseaux clientélistes. Ce programme ambitieux inclut une réforme constitutionnelle annoncée pour 2026. En outre, elle est axée sur l’indépendance de la justice et l’encadrement des pouvoirs présidentiels.

Polémiques et zones d’ombre
Malgré son image d’homme neuf, Nicusor Dan n’échappe pas aux critiques. En 2017, il quitte le parti USR, qu’il avait fondé, refusant de trancher sur la question du mariage homosexuel. Cette neutralité, présentée comme une position de principe, divise. En 2000, une tribune jugée homophobe, où il qualifie l’homosexualité publique "d’attaque contre l’identité collective", refait surface. Il affirme depuis avoir évolué, regrettant une formule "inadaptée à la complexité des enjeux sociaux".
En 2024, un document falsifié prétend démontrer sa collaboration avec la Securitate, l’ancien service secret communiste. L’affaire est rapidement démentie. Cependant, elle illustre la fragilité du débat public roumain, encore marqué par les spectres du passé. Son style discret, parfois jugé distant, peut aussi léser. En effet, le paysage médiatique est avide de charisme et d’effets de manche.

Une équation politique encore incertaine
Son élection à la tête de l’État n’a pas réglé les tensions internes. Il doit encore nommer un Premier ministre capable de rassembler, alors que les partis traditionnels restent divisés. La crise économique issue de l’inflation post-pandémie et du conflit ukrainien menace la stabilité sociale. La pénurie médicale, la fuite des cerveaux et les inégalités territoriales persistent. Sa légitimité, encore jeune, devra se consolider par l’action.
Les partisans de George Simion continuent de contester les résultats, parlant d’"opération de l’État profond". Des manifestations sporadiques ont lieu dans plusieurs villes. Mais la majorité des Roumains, attachés à une trajectoire européenne et soucieux d’éviter les dérives autoritaires, ont fait un choix clair. Celui d’un homme sobre, exigeant, qui croit en la raison plus qu’en l’incantation.
Une promesse d’éthique politique
Nicusor Dan incarne peut-être une forme d’éthique politique que la Roumanie n’avait pas connue depuis la chute de Ceaușescu. Son parcours scientifique, son indépendance et sa rigueur intellectuelle font de lui une exception. En effet, il n’a pas de compromissions majeures dans une région souvent dominée par des figures populistes ou corrompues.
Le défi est immense. Mais l’homme semble prêt à s’y confronter. Il est aujourd’hui plus qu’un symbole. Il est une chance, fragile mais réelle, pour une Roumanie moderne, démocratique et fidèle à ses idéaux européens. Une Roumanie qui, dans un monde troublé, cherche encore sa place sans renoncer à ses valeurs.