La pétition contre la loi Duplomb franchit un million de signatures et secoue les politiques

Lors de la conférence des présidents de parlement en 2023, les défis de la démocratie représentative étaient déjà au cœur des discussions.

Jamais depuis la création du dispositif citoyen en 2019, une pétition n’avait autant mobilisé. La loi Duplomb cristallise toutes les tensions politiques, écologiques et démocratiques. Derrière cette mobilisation sans précédent, se dessine la fracture profonde entre citoyens et institutions. Analyse d’un mouvement qui pourrait redessiner les contours de la démocratie française.

C’est quoi la loi Duplomb ?

Comme nous l’avions expliqué dans notre précédent article, la loi Duplomb, adoptée en 2025, rassemble plusieurs mesures destinées à relancer la productivité agricole, au prix d’un net recul des normes environnementales. Parmi elles : extension des zones cultivables, réduction des contraintes sur la rotation des cultures, généralisation des mégabassines, assouplissement sur les intrants chimiques…

Mais la disposition la plus controversée reste la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde réputé pour sa toxicité envers les abeilles et son impact sur la biodiversité.

Un raz-de-marée citoyen et écologique

La loi Duplomb secoue la scène politique française depuis plusieurs semaines.

Le 20 juillet, la pétition initiée par Éléonore Pattery dépasse le million de signatures sur le site officiel de l’Assemblée nationale. Ainsi, cette mobilisation citoyenne atteint un niveau jamais vu depuis la mise en place du dispositif en 2019.

Cette mobilisation reflète une conscience écologique croissante. Malgré son autorisation en Europe, l’opposition à l’acétamipride révèle une sensibilité environnementale particulièrement marquée en France. Un pays connu pour son art de vivre, son exigence culinaire et son attachement à la qualité de son terroir.

À 23 ans, Éléonore Pattery incarne une génération déterminée à peser sans se mettre en avant. Refusant toute récupération, elle choisit l’anonymat militant plutôt que la mise en scène personnelle. Ce retrait volontaire renforce paradoxalement sa légitimité dans un contexte de défiance envers les figures d’autorité.
À 23 ans, Éléonore Pattery incarne une génération déterminée à peser sans se mettre en avant. Refusant toute récupération, elle choisit l’anonymat militant plutôt que la mise en scène personnelle. Ce retrait volontaire renforce paradoxalement sa légitimité dans un contexte de défiance envers les figures d’autorité.

De plus, la méthode employée par l’exécutif pour adopter cette loi a suscité un tollé. Le gouvernement a privilégié une procédure accélérée. Ce choix limite fortement les débats parlementaires. Ainsi, la colère populaire trouve ici un terreau fertile.

Sur les réseaux sociaux, la pétition circule rapidement. Elle reçoit le soutien notable de personnalités politiques telles que Manon Aubry ou Dominique de Villepin.

Selon Éléonore Pattery, initiatrice de cette pétition, il était nécessaire de “donner la parole à celles et ceux qui sont compétents”. Elle désigne ainsi explicitement les scientifiques, juristes, associations et citoyens ordinaires. Cette attitude, refusant toute personnification, renforce l’image d’un mouvement véritablement collectif.

Réponse institutionnelle : ouverture contrôlée, verrouillage assumé

Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet se positionne en garante du cadre institutionnel. Ouverte au débat, mais ferme sur le fond, elle incarne cette ligne de crête entre écoute démocratique et verrouillage parlementaire. Son style mesuré masque une vraie maîtrise du tempo politique.
Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet se positionne en garante du cadre institutionnel. Ouverte au débat, mais ferme sur le fond, elle incarne cette ligne de crête entre écoute démocratique et verrouillage parlementaire. Son style mesuré masque une vraie maîtrise du tempo politique.

Face à cette mobilisation historique, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, affiche une ouverture prudente. Elle propose d’organiser un débat public. Cependant, elle précise clairement que cette discussion “ne remettra en aucun cas en cause la loi adoptée”. Selon elle, cette mesure “est nécessaire pour sauver un certain nombre d’agriculteurs”.

Ce verrouillage assumé provoque une vive réaction dans l’opposition. Le député Ugo Bernalicis (LFI) exige que l’exécutif entende “la voix du peuple opposé au passage en force”. De son côté, Marine Tondelier, leader des Écologistes, demande explicitement une “deuxième délibération”. Cette procédure pourrait être ordonnée directement par le président Emmanuel Macron.

Toutefois, la Constitution demeure très claire sur ce point. Une pétition dépassant 500 000 signatures peut conduire à un débat parlementaire, mais n’oblige pas à revoir une loi adoptée. Ce mécanisme préserve ainsi la primauté de la démocratie représentative. Néanmoins, il expose nettement les limites de la démocratie participative.

Les syndicats agricoles reflètent la fracture de la société. Emilie Deligny, représentante de la Confédération paysanne, insiste sur “l’urgence sanitaire et environnementale”.

À l’opposé, Arnaud Rousseau de la FNSEA défend fermement la loi. Il craint que l’agriculture française ne souffre davantage de normes plus restrictives que celles imposées aux pays voisins.

Éléonore Pattery : l’incarnation paradoxale d’un anonymat engagé

Éléonore Pattery, à 23 ans, symbolise une génération politisée mais méfiante envers les institutions médiatiques. Cette étudiante en management des risques et de l’environnement refuse de devenir une figure médiatique. Sur LinkedIn, elle précise : “Je ne souhaite pas communiquer publiquement pour l’instant”. Elle demande également que ses proches ne soient pas sollicités par les médias.

Ainsi, elle refuse explicitement toute récupération politique et médiatique. Selon ses propos : “Je ne suis pas indispensable à ce débat. L’opinion publique me représente déjà parfaitement.”

Cette posture d’anonymat volontaire interroge cependant la durabilité du mouvement. Historiquement, des mobilisations citoyennes telles que L’Affaire du siècle ou Nuit debout ont montré leurs limites. En effet, elles peinent à exister durablement sans un porte-voix clairement identifié.

Fracture démocratique et crise de confiance institutionnelle

Attal, Bergé, Bazin, Braun-Pivet, l’axe du pouvoir face à la fronde citoyenne. Ils incarnent la mécanique institutionnelle qui a porté la loi Duplomb, Attal en stratège rural, Bergé en exécutante loyale, Bazin en technicien du Sénat, Braun-Pivet en garante du cadre. Ensemble, ils symbolisent une République sûre de ses procédures, mais contestée dans sa légitimité démocratique.
Attal, Bergé, Bazin, Braun-Pivet, l’axe du pouvoir face à la fronde citoyenne. Ils incarnent la mécanique institutionnelle qui a porté la loi Duplomb, Attal en stratège rural, Bergé en exécutante loyale, Bazin en technicien du Sénat, Braun-Pivet en garante du cadre. Ensemble, ils symbolisent une République sûre de ses procédures, mais contestée dans sa légitimité démocratique.

Cette affaire révèle un fossé grandissant entre démocratie représentative et démocratie participative. La procédure législative actuelle, bien que respectueuse des règles constitutionnelles, génère un sentiment profond d’impuissance citoyenne. Les pétitionnaires revendiquent ainsi une révision profonde du processus législatif. Ils mettent en question la légitimité démocratique d’une loi adoptée sans réel débat.

La politologue Anne-Charlène Bezzina souligne que “ces mobilisations exercent une pression politique forte sur les élus”. Son collègue Benjamin Morel estime quant à lui que “la démocratie participative peut effectivement influencer la vie politique”. Toutefois, l’absence de réponse institutionnelle claire laisse un doute profond sur l’efficacité réelle de ces initiatives citoyennes.

Vers une réconciliation entre citoyens et institutions ?

Pour sortir de cette crise, plusieurs pistes sont envisagées. Certains préconisent l’extension des dispositifs participatifs, tels que les référendums d’initiative partagée ou les conventions citoyennes. D’autres suggèrent une plus grande implication des experts et des corps intermédiaires. Les exemples suisse ou allemand montrent la pertinence d’une hybridation démocratique réussie.

Ainsi, la controverse sur la loi Duplomb dépasse largement le cadre des pesticides. Elle révèle une question fondamentale pour la démocratie moderne : comment articuler représentation politique et participation citoyenne ? Cette réponse nécessitera une réforme profonde des relations entre citoyens et élus. La société civile joue désormais un rôle clé dans cette transformation nécessaire.

Cet article a été rédigé par Christian Pierre.