
Depuis une dizaine d’années, une nouvelle génération de figures masculinistes émerge sur les réseaux sociaux. Leurs discours combinent conseils de vie, rhétorique viriliste et ressentiment antiféministe. Ils s’adressent principalement aux jeunes hommes déstabilisés par les transformations sociales. Ils prônent une virilité offensive et identitaire. En outre, ils opposent l’homme dit "alpha" à un monde perçu comme dévirilisant. Ce monde est également considéré comme dominé par les normes progressistes.
Leur influence s’est accrue avec la généralisation de plateformes comme TikTok, YouTube ou Instagram, favorisant des contenus courts et percutants. De plus, leur rhétorique s’inscrit dans une mécanique algorithmique de viralité. Le Haut Conseil à l’égalité a alerté en janvier 2025 sur une hausse préoccupante des propos sexistes et antiféministes. De plus, ces propos concernent particulièrement les jeunes de 15 à 25 ans. Ils soulignent aussi l’impact culturel profond de ces contenus. Des commissions parlementaires auditionnent désormais certains influenceurs comme AD Laurent ou Nasdas, dont les publications sont jugées anxiogènes, stéréotypées et potentiellement manipulatrices.
En France, les ténors d’un virilisme radicalisé
En France, des personnalités comme Daniel Conversano incarnent un masculinisme ouvertement associé à la droite identitaire. Réfugié en Roumanie, cet essayiste se distingue par des vidéos polémiques. Celles-ci appellent à une réhabilitation des hiérarchies sexuelles et rejettent fermement l’égalitarisme. Son audience, modeste en nombre mais bruyante médiatiquement, contribue à polariser les débats sur l’identité masculine.
AD Laurent, autre figure montante, s’est fait connaître sur des plateformes alternatives telles que Rumble, en réaction à la censure présumée des médias traditionnels. Autoproclamé « rééducateur viril », il propose des formations destinées à restaurer une masculinité supposément menacée. Sa rhétorique repose sur une vision paranoïaque de persécution politique. Elle est renforcée par son passage devant une commission parlementaire en 2024, où il s’est présenté comme victime des institutions. Son audience, jeune et socialement frustrée, adopte ses codes langagiers provocateurs. Ainsi, elle contribue à exacerber les tensions sociétales autour des questions de genre.

ThéoVéran, anciennement connu sous le pseudonyme T-REX, développe quant à lui un discours stratégique mêlant psychologie, conseils sentimentaux et affirmation de soi. Ses chaînes YouTube et Telegram (plus de 100 000 abonnés) contournent habilement les restrictions imposées par les grandes plateformes.
Nasdas, issu des quartiers populaires de Perpignan, représente une version alternative du masculinisme, combinant humour provocateur, défiance des autorités et authenticité revendiquée. Avec plus d’un million d’abonnés sur Snapchat et Instagram, sa popularité auprès d’une jeunesse souvent marginalisée en fait une figure influente mais controversée. Son audition devant les parlementaires a souligné l’ambiguïté de son influence, entre solidarité communautaire et promotion de stéréotypes problématiques.
Certains humoristes comme Greg Toussaint utilisent occasionnellement les codes masculinistes pour provoquer ou choquer. Ses sketches viraux sur TikTok oscillent entre satire du féminisme contemporain et validation subtile de discours antiféministes. Ainsi, ils attirent un large public tout en défiant régulièrement le politiquement correct.
Hugo Posay, quant à lui, assume une posture plus ouvertement conservatrice sur les questions de genre et d’identité. Grâce à son approche analytique et intellectuelle, il diffuse ses idées à travers des débats sur YouTube. Ainsi, il attire une audience universitaire cherchant une validation intellectuelle de ses inquiétudes face aux évolutions sociales.
Andrew Tate, figure de proue d’une masculinité marchande
Ancien champion de kickboxing, Andrew Tate s’est reconverti en gourou de la réussite masculine. Sa trajectoire incarne la jonction entre virilisme numérique, capitalisme digital et fantasmes d’autonomie absolue. Il fonde la Hustlers University, académie virtuelle enseignant finance, séduction et discipline masculine. Avant son bannissement de TikTok, il comptait 12 millions d’abonnés.

Ses affaires judiciaires (trafic d’êtres humains, proxénétisme) révèlent une face sombre de son empire pourtant très lucratif. Aujourd’hui inculpé en Roumanie, il maintient néanmoins un contact régulier avec ses adeptes via Telegram et Rumble.
Jordan Peterson : conservatisme intellectuel et responsabilité individuelle
Professeur de psychologie clinique, Jordan Peterson est connu pour son ouvrage best-seller, 12 Rules for Life. Son approche repose sur la critique des théories du genre et l’exaltation de l’ordre. De plus, il lance un appel à la responsabilité individuelle. Malgré une rhétorique moins extrême que certains de ses homologues, Peterson suscite une controverse persistante en raison de ses prises de position sur les femmes, les transidentités et le mouvement #MeToo.
Un réseau international : Elam, Samuels, Hitchens
Paul Elam, fondateur de A Voice For Men, représente le courant des "droits des hommes" et dénonce la prétendue victimisation masculine dans les institutions sociales et judiciaires. Le Southern Poverty Law Center a classé son site comme groupe de haine en 2014.

Kevin Samuels, figure emblématique de la "red pill" américaine, traitait les relations hommes-femmes avec une froideur analytique. Ses émissions réunissaient parfois plus d’un million de spectateurs hebdomadaires, défendant une vision hiérarchisée des relations amoureuses.

En France, Alex Hitchens utilise quant à lui une approche commerciale, proposant des formations coûteuses visant à "reconquérir sa virilité". Avant sa suppression, sa chaîne TikTok dépassait les 200 000 abonnés.
Une galaxie fragmentée, mais aux effets cohérents
Le masculinisme regroupe diverses communautés : Incels, convaincus d’un célibat imposé par la société ; MGTOW, choisissant l’isolement face à un monde jugé décadent ; ou encore les "pick-up artists" vendant des stratégies de séduction.
Tous se retrouvent dans une critique virulente du féminisme et un sentiment d’exclusion identitaire. Cela nourrit une rhétorique guerrière et revancharde. Le documentaire Mascus, les hommes qui détestent les femmes, réalisé par Pierre Gault, dévoile les coulisses inquiétantes de ces mouvements.
Une réponse institutionnelle inquiète
Face à l’impact grandissant de ces discours, institutions, médias et universités réagissent avec inquiétude. Des auditions parlementaires cherchent à déterminer les responsabilités des influenceurs dans l’amplification des opinions sexistes. Parallèlement, des initiatives éducatives tentent de promouvoir l’esprit critique auprès des jeunes. Le masculinisme révèle une crise profonde de la masculinité contemporaine. Cependant, il offre une réponse dangereusement réactionnaire à des défis sociétaux complexes.