
Loïk Le Floch-Prigent, capitaine d’industrie français et ex-PDG d’Elf Aquitaine (aujourd’hui intégrée à TotalEnergies), s’est éteint le 16 juillet 2025 à 81 ans, des suites d’une longue maladie. Ingénieur visionnaire au parcours fulgurant et chaotique, il s’était imposé par son intelligence. Son sens de l’État et son ambition l’ont mené à des réussites éclatantes ; mais aussi à des scandales retentissants. Figure à la fois respectée et controversée, il laisse un héritage brillant et une vie romanesque. Plus qu’un patron, il fut un acteur majeur de la Ve République.
Les racines bretonnes d’un esprit d’exception
Né à Brest en 1943 dans une famille modeste, Loïk Le Floch-Prigent grandit sur la côte nord du Finistère. Ainsi, il reçoit très tôt l’influence d’un environnement où la rigueur, l’effort et le devoir priment sur tout. Cette culture du mérite forge chez lui un tempérament réservé et résolu. Cela le caractérisera toute sa vie.
Il fait ses études à l’École nationale supérieure d’hydraulique et de mécanique de Grenoble, où il obtient son diplôme d’ingénieur. Très tôt, il manifeste une passion pour la technique et les grands enjeux industriels. Cependant, il ne se contente pas d’un parcours classique : il rejoint la Délégation générale à la recherche scientifique et technique où il découvre le monde de la haute administration.
Les débuts d’un jeune prodige dans la haute fonction publique
Son entrée dans la sphère publique se fait sous les auspices de la recherche et de la planification industrielle. Il s’intéresse rapidement à la vie politique et s’engage au Parti socialiste. De plus, il fréquente l’aile gauche du mouvement. Cependant, il tisse des liens transpartisans : il côtoie des personnalités aussi différentes que Raymond Barre ou Pierre Dreyfus.
Il impressionne par son aisance intellectuelle, sa capacité d’analyse et son appétence pour les défis complexes. Ainsi, dès le début des années 1980, il rejoint le cabinet du ministre de l’Industrie Pierre Dreyfus. Il participe activement à la grande vague de nationalisations impulsée par François Mitterrand en 1981, marquant l’industrie française d’un sceau nouveau.
L’ascension spectaculaire à la tête des géants industriels
En 1982, il est propulsé à la direction de Rhône-Poulenc, alors l’un des plus grands groupes chimiques français, qui traverse une crise sévère. Loïk Le Floch-Prigent redresse la barre en modernisant les outils de production et en misant sur l’innovation. Ainsi, sous son impulsion, la société retrouve le chemin de la croissance.

Six ans plus tard, il devient directeur général d’Elf Aquitaine, puis président du directoire en 1989, nommé par Michel Rocard. De plus, il supervise la stratégie internationale du groupe pétrolier. Il engage d’ambitieuses politiques d’expansion, principalement en Afrique, en doublant la production et en renforçant la place d’Elf dans le concert mondial.
Cette trajectoire fulgurante fait de lui une figure incontournable de l’industrie et de l’énergie française. Sa réputation traverse les frontières et il est sollicité par les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite. En 1993, Édouard Balladur le nomme président de Gaz de France pour accompagner l’ouverture du marché à la concurrence européenne.
En 1995, Jacques Chirac l’appelle à la présidence de la SNCF. Il succède à Jean Bergougnoux. Il tente de moderniser la société nationale des chemins de fer français. Ainsi, il anticipe l’arrivée de la concurrence et la montée des enjeux sociaux. Cependant, la période est tendue. Il affronte une forte résistance des syndicats, notamment lors des grèves de 1995 qui paralysent le pays pendant plusieurs semaines.
La consécration d’un grand patron au service de l’État
Le parcours de Loïk Le Floch-Prigent illustre la figure du haut fonctionnaire au service de l’État, capable de naviguer dans les eaux tumultueuses de l’industrie, de la politique et de l’économie. Son entregent, sa culture scientifique et son charisme lui valent le respect de ses pairs. Il incarne un certain idéal du “grand serviteur” républicain, soucieux de l’intérêt général. Il est conscient des réalités du marché mondial.
Il reçoit de nombreuses distinctions, dont la Légion d’honneur. Il est régulièrement invité à intervenir dans les colloques, les conférences et les grandes écoles. Cependant, il reste un homme pudique, discret sur sa vie privée et attaché à ses racines bretonnes.
Le scandale Elf : fortune présumée et disgrâce
La carrière de Loïk Le Floch-Prigent bascule dans les années 1990 avec la révélation de l’affaire Elf Aquitaine. Ce scandale d’État est l’un des plus retentissants de la Ve République. Il met au jour un vaste système de corruption : commissions occultes et détournements de fonds.

En 1996, la juge d’instruction Eva Joly le met en examen. Ainsi, il est soupçonné d’avoir organisé, puis couvert des opérations financières illicites au sein d’Elf, impliquant des personnalités politiques, des dirigeants d’entreprise et des réseaux d’influence internationaux. La somme évoquée dépasse 300 millions d’euros, répartis entre comptes offshore, valises de billets et sociétés écrans.
L’homme d’affaires est incarcéré plusieurs mois en détention préventive. En outre, il doit affronter une exposition médiatique intense, devenant malgré lui le symbole des dérives du capitalisme français ; voire des abus d’une certaine élite… Toutefois, il se défend, dénonçant la complexité du système, la perméabilité entre intérêt public et privé. En 2003, il est condamné à cinq ans de prison pour abus de biens sociaux. Il est libéré pour raisons de santé en 2004, mais reste sous le coup d’autres procédures.
Il connaîtra d’autres condamnations, notamment en 2007, dans une affaire d’emplois fictifs en Suisse. De plus, il sera cité dans d’autres procédures judiciaires, dont certaines liées à son rôle de consultant international onéreux. Cependant, il n’a jamais renoncé à donner sa version. Il évoque régulièrement les pressions et les jeux de pouvoir. Par ailleurs, il mentionne la part d’ombre des relations entre l’État et l’industrie.
Un exil africain et une carrière internationale
Après ses ennuis judiciaires, l’ex-PDG choisit l’exil, loin de la scène médiatique française. Il travaille comme consultant indépendant, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient. Ainsi, il apporte son expertise à des sociétés minières, énergétiques ou pétrolières, surtout dans des pays émergents.
En 2012, il est à nouveau rattrapé par la justice, cette fois en Afrique de l’Ouest. Il est arrêté en Côte d’Ivoire à la demande du Togo. Ce pays l’accuse d’escroquerie dans une affaire d’investissement. Il passe cinq mois en détention provisoire à Lomé. Il dénonce un complot et bénéficie du soutien actif d’un comité français. Ce comité est composé d’intellectuels, d’anciens collègues et de responsables politiques. Il rentre en France en 2013.
Le retour au débat public et les prises de position
Malgré les épreuves, Le Floch-Prigent reste un acteur du débat public. Il multiplie les publications, les conférences et les interventions dans la presse. Il publie plusieurs livres sur l’industrie, la géopolitique de l’énergie et la place de la France dans le monde : Le mouton noir, La bataille de l’industrie, Sans foi ni loi, Énergie, une mission de service public.
Il prend la parole sur les grands enjeux énergétiques, dénonçant parfois la “démonisation du nucléaire” ou les “illusions” autour des énergies renouvelables. De plus, il se montre critique envers certaines orientations du GIEC. Il alerte sur les risques de désindustrialisation de la France. Et intervient régulièrement dans des médias spécialisés, mais aussi sur les plateaux de télévision.
Engagement politique tardif et controverses
À la fin de sa vie, Loïk Le Floch-Prigent se rapproche du mouvement Reconquête ! fondé par Éric Zemmour. Il intervient lors de l’université d’été du parti en septembre 2024. Participant à une table ronde sur le “déclin français” aux côtés de personnalités issues de la droite souverainiste. De plus, il rejoint le comité stratégique du média d’extrême droite Frontières, ce qui suscite de vives réactions.
Néanmoins, il revendique ses engagements comme une forme de fidélité à ses convictions. Notamment sur la souveraineté énergétique, l’indépendance industrielle et la critique de la mondialisation. Il affirme vouloir servir le débat public, sans céder à l’air du temps.
Héritage, postérité et empreinte culturelle

La vie du capitaine d’industrie a inspiré le cinéma et la télévision. Il sert de modèle à des personnages dans le film L’Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol – où Isabelle Huppert interprète une juge inspirée d’Eva Joly – et dans le téléfilm Les Prédateurs de Lucas Belvaux. Sa trajectoire nourrit le débat public sur la responsabilité de nos élites et les ambiguïtés du rapport État-industrie.
Jusqu’à la fin, Loïk Le Floch-Prigent est resté attaché à la défense de la cause industrielle française. Selon son épouse, Marlène Le Floch-Prigent, il n’a jamais cessé de plaider pour l’innovation, la souveraineté et la transmission du savoir. En effet, il venait juste de créer le Cercle Entreprises & Libertés pour débattre des contraintes idéologiques pesant sur les entreprises.