Après l’adoption de la loi Duplomb, l’agriculture française entre soulagement paysan et tempête écologique

Vote de la loi Duplomb à l’Assemblée nationale, sous les applaudissements de la majorité et la crispation des opposants

La loi Duplomb vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale, provoquant une onde de choc dans le monde agricole et bien au-delà. Ce texte, entre promesse de simplification pour les agriculteurs et craintes écologiques persistantes, illustre une fracture politique profonde. Il suscite des débats sur le modèle agricole français. De plus, il cristallise autant de passions que de questions. Ainsi, cette loi réveille l’humour grinçant d’une France qui ne croit plus aux miracles législatifs. Cependant, le pays adore commenter les tentatives.

Une adoption mouvementée, symptôme d’une crise agricole majeure

Le 9 juillet 2025, l’Assemblée nationale adopte la loi Duplomb avec 316 voix pour et 223 contre. Le Sénat avait déjà donné son feu vert. Résultat : la majorité gouvernementale, les groupes Les Républicains et Rassemblement national applaudissent. Cependant, la gauche, les écologistes et une partie du centre se pincent le nez. On croirait presque à une nouvelle réforme des retraites, version tracteurs.

La genèse de cette loi tient à un contexte social explosif. L’hiver 2024 a vu défiler des cortèges d’agriculteurs en colère sur les routes françaises. Motif : des normes jugées absurdes, une concurrence étrangère perçue comme déloyale ; et le sentiment d’être les dindons de la farce européenne. Les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville dégainent alors une proposition de loi, à laquelle le gouvernement promet un traitement accéléré. À ce stade, tout le monde promet des « solutions rapides ». La suite, on la connaît : du speed-dating législatif.

Aurélie Trouvé, députée LFI, ancienne présidente d’Attac, s’oppose fermement à la loi Duplomb. Elle y voit un texte taillé pour l’agro-industrie, contraire au principe de précaution.
Aurélie Trouvé, députée LFI, ancienne présidente d’Attac, s’oppose fermement à la loi Duplomb. Elle y voit un texte taillé pour l’agro-industrie, contraire au principe de précaution.

Que change vraiment la loi Duplomb pour nos agriculteurs ?

Premier point chaud : la réintroduction dérogatoire de l’acétamipride. Cet insecticide, membre du club très fermé des néonicotinoïdes bannis en France, mais tolérés ailleurs en Europe, fait son retour. Les producteurs de betteraves, de noisettes ou d’autres cultures orphelines d’alternatives efficaces crient victoire. Mais la victoire est encadrée : utilisation sous surveillance et clause de révision après trois ans, puis chaque année. De plus, il y a une promesse que cela ne concernera « au mieux que 1,7 % des surfaces agricoles ». C’est ce qu’affirme le rapporteur Julien Dive. On sent poindre le compromis à la française, où l’on veut tout… sans fâcher personne (ou alors seulement un peu).

Ensuite, le texte s’attaque à la paperasse, véritable fléau rural. Pour toute extension d’élevage ou construction, l’agriculteur pourra opter pour une réunion publique ou une permanence en mairie. Le seuil d’autorisation environnementale grimpe de 150 à 200 vaches laitières. Les partisans saluent la simplification, estimant qu’elle va doper l’investissement. Les opposants parlent déjà de la revanche des vaches folles : qui surveillera les effets sur l’environnement ?

Annie Genevard, nommée ministre de l’Agriculture en 2024, défend une agriculture productive et enracinée dans le réel. Elle affirmait en février 2025 : je revendique une agriculture qui doit produire.
Annie Genevard, nommée ministre de l’Agriculture en 2024, défend une agriculture productive et enracinée dans le réel. Elle affirmait en février 2025 : je revendique une agriculture qui doit produire.

Troisième sujet explosif : la gestion de l’eau. La loi encourage la construction de “méga-bassines” pour stocker l’eau d’irrigation. Pour les syndicats agricoles, c’est un progrès, quasi biblique : l’eau, c’est la vie, et la méga-bassine, c’est la survie. Pour les écologistes, c’est un outrage et un “Tupperware géant” qui pille les nappes phréatiques. Cela nourrit le mirage d’une agriculture sans limites.

Les enjeux et contradictions d’un texte hybride

La loi Duplomb est-elle une réponse courageuse à la détresse des agriculteurs, ou un abandon en rase campagne des principes écologiques ? La question divise.

Côté pile, les agriculteurs applaudissent des deux mains, voire des deux bottes. Pour eux, cette loi traduit enfin une prise en compte des difficultés du terrain. Les dérogations, la simplification, la gestion de l’eau : tout cela serait autant de bouffées d’oxygène pour une profession à bout de souffle. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, parle d’“aboutissement d’une mobilisation de dix-huit mois”, et la ministre Annie Genevard célèbre “une réponse attendue à la détresse du monde agricole”.

Côté face, les ONG, scientifiques et syndicats minoritaires comme la Confédération paysanne dénoncent un recul environnemental sans précédent. “Nous n’instaurons qu’une dérogation… ” promet la majorité, “tueur d’abeilles !” répondent les apiculteurs. La réintroduction de l’acétamipride serait, selon eux, un signal déplorable pour la biodiversité, la santé publique et l’image de la France. Les recours devant le Conseil constitutionnel se préparent déjà, brandissant le principe de précaution comme un épouvantail.

Thomas Gibert, maraîcher en Haute-Vienne et porte-parole de la Confédération paysanne depuis 2025, alerte sur la dérive industrielle du modèle agricole. Il milite pour des fermes à taille humaine.
Thomas Gibert, maraîcher en Haute-Vienne et porte-parole de la Confédération paysanne depuis 2025, alerte sur la dérive industrielle du modèle agricole. Il milite pour des fermes à taille humaine.

Plus profondément, les opposants s’inquiètent de l’industrialisation galopante de l’agriculture. “Un modèle sans paysans”, où l’on parlerait de “fermes usines” et non plus d’exploitations familiales. Thomas Gibert, porte-parole de la Confédération paysanne, résume l’amertume : “Cette proposition de loi ne répond en rien à notre revendication principale qui est de vivre dignement de notre métier pour l’ensemble des paysans et des paysannes.”

Souveraineté alimentaire ou recul écologique : la France au pied du mur

Faut-il choisir entre souveraineté alimentaire et défense de l’environnement ? Pour les défenseurs de la loi, il ne s’agit pas d’un choix, mais d’une nécessité. Ils estiment que, sans ces ajustements, la France risquerait d’importer davantage, perdant son indépendance et laissant mourir sa ruralité. On invoque le spectre de la “ferme France” dépecée par la mondialisation. Un vieux classique qui fait mouche, surtout à la veille des élections.

Les adversaires, eux, voient plutôt un dangereux précédent. La “loi anti-écologique” dénoncée par Aurélie Trouvé (LFI) incarne, à leurs yeux, la privatisation de l’eau. De plus, elle symbolise la fuite en avant vers toujours plus d’intensification agricole. “On va finir par arroser du maïs au champagne, à ce rythme !”, ironise un militant écologiste sur les réseaux sociaux. L’humour ne fait pas baisser la tension.

Une politique agricole sous tension permanente

La loi Duplomb offre un miroir sans fard des contradictions françaises. Produire plus, mais polluer moins. Simplifier, mais ne rien sacrifier à l’environnement. Rendre les agriculteurs heureux, sans provoquer d’urticaire chez les apiculteurs ni les associations. On retrouve ici la grande tradition du compromis à la française, où chacun repart avec un lot de consolation. Cependant, cela laisse aussi un vague goût d’inachevé.

Mais, soyons honnêtes, qui a déjà vu un texte sur l’agriculture faire consensus en France ? Le débat public est ici à la hauteur des enjeux : viscéral, nourri d’images rurales, de mémoire collective et de peurs très contemporaines. Cette loi, quoi qu’on en pense, a eu le mérite de remettre la question agricole au centre. Bien qu’elle ne résolve pas tout, elle souligne que l’agriculture demeure un pilier de notre identité. De plus, elle constitue une mine inépuisable de débats passionnés.

Perspectives : quels lendemains pour la loi Duplomb ?

À court terme, la balle est dans le camp du Conseil constitutionnel. Les recours promettent de belles passes d’armes juridiques. À moyen terme, la France devra rendre des comptes à l’Europe, qui n’aime guère les dérogations nationales à ses règlements. Enfin, le test sera celui du terrain : les agriculteurs verront-ils vraiment leur quotidien simplifié ? Les écologistes constateront-ils une dégradation ou un statu quo ?

À l’heure où la sécheresse s’intensifie, où les prix agricoles dégringolent et où les jeunes désertent les campagnes, l’enjeu dépasse largement la loi Duplomb. Le vrai défi : inventer une agriculture résiliente, rentable et durable. Rien de moins. On peut toujours en rire… ou en pleurer, selon l’humeur du jour et la météo du mois d’août.

Un débat qui ne fait que commencer

La loi Duplomb n’aura sans doute ni sauvé ni condamné le monde agricole. Mais elle force chacun à prendre position, à sortir des discours tout faits. Peut-être est-ce là, finalement, sa plus grande utilité : rappeler que la terre, en France, reste l’affaire de tous. En attendant la prochaine “grande loi” agricole, gageons que la France saura, au moins, continuer à débattre avec passion… et parfois une pointe d’humour noir.

Mise à jour du 19 juillet 2025 — pétition citoyenne

La pétition « Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », hébergée sur la plateforme officielle de l’Assemblée nationale, a atteint près de 440 000 signatures. Elle figure ainsi parmi les initiatives citoyennes les plus suivies depuis l’ouverture du dispositif parlementaire en 2020. Comme toute pétition ayant franchi la barre des 100 000 soutiens, elle est déjà examinée par la commission compétente. Si elle atteint 500 000 signatures issues d’au moins 30 départements, la Conférence des présidents pourra décider d’inscrire la question à l’ordre du jour pour un débat public en séance plénière. Ce débat n’entraînerait aucun vote contraignant, mais offrirait une visibilité parlementaire accrue au dossier. La pétition est disponible à l’adresse : https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-3014

Cet article a été rédigé par Pierre-Antoine Tsady.