
À l’Assemblée nationale, le 16 octobre 2025, deux motions de censure contre le gouvernement, l’une déposée par La France insoumise, l’autre par le Rassemblement national/UDR, sont rejetées (271 voix pour la première, 144 pour la seconde). Sébastien Lecornu reste à Matignon, annonce des débats sans 49.3 et la suspension sécurisée de la réforme des retraites. Le PS accorde un sursis. Reste une question : quelle majorité de fait pour adopter, article par article, un budget 2026 crédible ?
Une survie au prix d’un contrat implicite
Deux motions de censure contre le gouvernement rejetées en une matinée, le 16 octobre 2025, et un Premier ministre, Sébastien Lecornu, qui proclame être « au travail » et promet des débats article par article, sans 49.3 et avec la suspension de la réforme des retraites. La photographie parlementaire est nette : la chute a été évitée de 18 voix (271 contre 289) lors de la motion déposée par LFI, tandis que l’initiative RN/UDR n’a rassemblé que 144 suffrages. Entre ces deux bornes, se dessine la zone étroite où pourra se jouer le budget 2026.
Ce répit tient pour beaucoup à une pièce maîtresse : le Parti socialiste. Olivier Faure, premier secrétaire, n’a pas voulu faire tomber le gouvernement. Il a néanmoins fixé un sursis conditionnel. Un vote sans complaisance, mais une ouverture en échange d’engagements écrits sur la justice sociale et le pouvoir d’achat. Surtout, une suspension juridiquement sécurisée de la réforme des retraites. Sept députés frondeurs socialistes ont pourtant choisi la censure, rappelant combien la majorité de fait reste fragile.
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, orchestre cette séquence avec une prudence de funambule. Elle sait que la Chambre entrera dans des négociations serrées. Chaque article deviendra monnaie d’échange, et chaque vote un test de solidité.
Les blocs en présence : socle présidentiel, arbitres socialistes, droites éclatées

Le socle présidentiel (Renaissance et alliés) tient, mais il ne suffit plus. Les socialistes endossent un rôle d’arbitre, à la fois faiseurs de majorité et gardiens d’un cahier de charges social. Les droites se divisent. Une partie des LR cherche à peser sur le contenu budgétaire sans se confondre avec le RN. D’autres, minoritaires, ont appuyé la censure d’extrême droite. LFI pousse à l’escalade institutionnelle et annonce une motion de destitution visant le chef de l’État. Le RN, lui, poursuit une stratégie de mise en échec budgétaire et de capitalisation électorale en vue de 2027.
Schématiquement, trois chiffres gouvernent la suite : 289 voix pour censurer, 271 obtenues par LFI, 144 pour le RN. Entre ces repères se construit la géométrie variable d’une majorité négociée.
Budgets 2026 : la réalité froide des chiffres
Derrière le théâtre, l’arithmétique budgétaire. Le Conseil d’analyse économique (CAE) évalue à 112 milliards d’euros l’effort total à fournir, étalé sur plusieurs années, pour stabiliser la dette. À court terme, l’ordre de grandeur pour 2026 s’établit autour d’un ajustement d’environ 0,8 à 0,9 point de PIB. Cela représente près de 27 milliards d’euros. Le ton est donné : il faudra choisir, trier, hiérarchiser.
Où trouver ces 27 milliards ? Quelques gisements s’esquissent.
Le gouvernement pourrait d’abord freiner la hausse des dépenses qui ne relèvent pas des priorités. Ces priorités sont l’école, la santé et la transition. Cela peut se faire en améliorant le ciblage des aides. De plus, il est possible de réexaminer les niches de dépense. Du côté des recettes, il lui reviendrait d’étudier une contribution sur certaines rentes et sur les plus grands patrimoines. Cette contribution pourrait être temporaire ou pérenne. Par ailleurs, il est essentiel d’intensifier la lutte contre la fraude. De plus, il convient d’ajuster les dispositifs fiscaux considérés comme peu efficaces. Enfin, l’investissement consacré à la transition écologique et à l’éducation devrait être préservé, quitte à étaler d’autres projets.
C’est là que le contrat implicite avec le PS sera éprouvé : comment concilier l’exigence sociale affichée et la consolidation requise ? La réponse jouera pour beaucoup la survie du gouvernement et le profil du budget final.
PS–Lecornu : viabilité d’un pacte de circonstance

Le compromis est clair : pas de 49.3. En outre, il faut privilégier la négociation en commission et en séance. De plus, la suspension de la réforme des retraites doit se faire dans un véhicule juridique sécurisé. Ce véhicule doit être sans zones grises d’application. En contrepartie, les socialistes s’engagent à ne pas faire chuter l’exécutif à la première alerte. Ce pacte de circonstance peut-il tenir ?
Trois fragilités sautent aux yeux :
- L’éclatement interne : les 7 frondeurs socialistes ont marqué une ligne rouge. La direction devra prouver, texte à l’appui, que la suspension des retraites est intégrale et opposable.
- La contrainte chiffrée : on n’additionne pas justice sociale et 112 milliards d’effort sans arbitrages douloureux. Toute mesure perçue comme inéquitable ou régressive rallumera la braise.
- Le temps politique : les concessions d’octobre devront survivre à l’épreuve des amendements de novembre et décembre. Un rien peut rompre la confiance fragile acquise.
Dans ce jeu, Olivier Faure apparaît en faiseur de majorité plus qu’en faiseur de rois. Il sait que l’opinion, usée par la crise des retraites, attend des signaux tangibles : revalorisations ciblées, filets anti-inflation, services publics qui tiennent.
LFI, RN : deux dramaturgies concurrentes

LFI a posé une logique d’affrontement : dénonciation d’un budget « récessif », annonce d’une motion de destitution, pari sur un front social à l’automne. Cette stratégie vise deux horizons : décomposer la majorité relative et recomposer le champ politique. Mathilde Panot, figure de proue, théâtralise l’urgence démocratique et cherche à polariser.
Le RN déroule un autre récit : année « noire », « budget punitif », litanie des prix et des prélèvements. Trois députés LR ont apporté leurs voix à la motion RN/UDR, signe d’un continuum sur certains thèmes. Mais l’extrême droite bute sur une cohérence budgétaire exposée au feu nourri des chiffres : promettre moins d’impôts et plus de dépenses finit par se heurter aux équations.
Au centre de ces dramaturgies, Yaël Braun-Pivet fixe la règle : débat plutôt que passage en force. Les joutes à venir diront si l’énergie polémique se transforme en travail législatif.
LR : l’éternel dilemme « stabilité vs identité »

Les Républicains se partagent entre deux tentations : l’une identitaire et l’autre gestionnaire. D’une part, ils souhaitent se démarquer par un vote de sanction. D’autre part, ils veulent peser dans le texte sans faire tomber. Paradoxalement, leur influence se mesure moins à l’outrance qu’à leur capacité. En effet, ils doivent documenter des amendements crédibles et chiffrés. De plus, ces amendements doivent être compatibles avec l’effort global. S’ils monnayent intelligemment leur vote sur quelques chapitres, ils deviendront indispensables. S’ils surenchérissent, ils se marginaliseront.
La mécanique parlementaire : un calendrier sous tension

La feuille de route s’écrit en deux temps : le PLF (budget de l’État) et le PLFSS (Sécurité sociale). Le gouvernement a promis un amendement de suspension des retraites dès novembre dans le PLFSS. Ensuite viendra la négociation article par article : commissions techniques, retours en hémicycle, navette avec le Sénat, possible CMP. Chaque étape est l’occasion d’un accrochage, d’un compromis, parfois d’un renoncement.
Cette procédure ordinaire pourrait paradoxalement être la vraie rupture avec la période précédente : la discussion remplace l’injonction, la recherche de majorité supplante l’autorité solitaire. À condition de tenir parole : sans cela, le spectre du 49.3 réapparaîtra au détour d’un amendement.
La Galerie des prétendants

Sous les lambris de la Chambre, une ronde d’ambitions. Marine Le Pen, présidente du groupe RN, cherche à renforcer son image. En outre, elle comprend que 2027 se gagne par la crédibilité tout autant que par la colère. Gabriel Attal poursuit une partition de jeunesse, fin stratège des messages, oscillant entre loyauté et projection présidentielle. Édouard Philippe, réassurance tranquille, parle à la Ve République plus qu’il ne la bouscule. Marine Tondelier incarne une écologie de gouvernement, attentive aux chiffres autant qu’aux symboles. Mathilde Panot revendique la rupture et inscrit son nom dans le registre de la tribune. Yaël Braun-Pivet cultive l’art discret de l’équilibre, tandis qu’Olivier Faure tente la couture impossible entre exigence sociale et discipline budgétaire.
Dans ce théâtre, Sébastien Lecornu joue le premier rôle, mais il n’en est pas l’unique auteur. Sa survie tient à une direction d’orchestre : laisser respirer la partition, soutenir les solistes, contenir les cuivres, éviter la cacophonie.
Arbitrages et lignes rouges : où placer le curseur ?

Le CAE propose une trajectoire où l’effort est progressif mais ciblé. Traduction politique : ne pas abîmer la croissance, ne pas asphyxier l’investissement public, mais reprioriser. Côté PS, trois priorités reviennent : filets sociaux, école, santé. Côté majorité, l’obsession est la crédibilité française en Europe et sur les marchés. Côté écologistes, on exigera un calendrier chiffré d’investissements verts. Côté LR, des coupes structurelles, des contreparties aux hausses d’impôts, et des gestes en faveur des classes moyennes.
La majorité de fait se joue ici : si chacun obtient un marqueur, le texte passera. Si l’un veut tout, le texte tombera.
Ce qui se joue maintenant

L’équation est simple à énoncer mais difficile à résoudre : tenir la promesse d’un débat parlementaire loyal. En outre, il faut stabiliser la dette sans casser la croissance. De plus, il s’agit de protéger les plus vulnérables sans creuser les déficits. La survie du gouvernement n’est qu’un prélude : le budget 2026 dira si la méthode Lecornu compromis avec les socialistes, ouverture vers les centristes et LR, respect de la Chambre peut installer une majorité de fait.
Il faudra, pour convaincre, produire des chiffrages sincères et adosser chaque geste social à un gage de financement. Par ailleurs, il est nécessaire d’accepter des renoncements pour sauver l’essentiel. La politique, ici, redevient un art de la mesure. Si le texte aboutit, 2026 s’ouvrira sur une respiration. S’il échoue, l’horizon se peuplera de motions de censure, de recompositions et de défiance.
La Galerie des prétendants pourra bien poursuivre ses jeux d’ombre. Pour l’heure, tout se décide en commission, au détour d’un amendement, à voix basse dans un couloir. La majorité ne se décrète pas : elle se fabrique.