
Léa Salamé succèdera à Anne‑Sophie Lapix à la présentation du 20 Heures sur France 2 dès la rentrée. Elle quitte ainsi la matinale de France Inter, qu’elle animait depuis 2014 avec Nicolas Demorand. L’annonce, officialisée par Delphine Ernotte le 19 juin 2025, marque un tournant stratégique pour France Télévisions, au moment où l’information publique est appelée à se réinventer.
Cette nomination témoigne d’une volonté de repositionner le journal télévisé comme un espace de rigueur journalistique et de diversité éditoriale, dans un paysage où l’érosion de l’audience linéaire et la prolifération des infox compliquent la mission du service public. Selon les derniers chiffres de Médiamétrie, le 20 Heures de France 2 réunissait en moyenne 4,7 millions de téléspectateurs début 2025, contre plus de 5,5 millions cinq ans plus tôt.

Un virage éditorial attendu
Le choix de Léa Salamé, connue pour ses interviews incisives et son ton sans concession, pourrait marquer un infléchissement de la ligne éditoriale du JT. Des chercheurs en journalisme, tels que Jean-Marie Charon, perçoivent une intention de souligner des sujets plus clivants ou complexes. En effet, cela s’écarte d’un "consensus mou" souvent reproché aux journaux télévisés.
Déjà, lorsqu’elle animait Vous avez la parole ou Élysée 2022, Salamé a illustré une capacité à poser des questions de fond, parfois déstabilisantes, tout en donnant une place à la contradiction. D’après Claire Sécail (CNRS), cela pourrait fortifier la fonction de "contre-pouvoir" du journal. En effet, cette influence est particulièrement notable lors d’une période pré-électorale.
Certains exemples passés illustrent cette inflexion : Salamé n’hésitait pas à interpeller Emmanuel Macron sur le bilan sécuritaire en 2022, ou à questionner Éric Zemmour sur son usage controversé de l’histoire. Son arrivée pourrait réorienter les priorités d’agenda du JT de France 2 vers davantage de politique intérieure. Par ailleurs, cela inclurait plus d’analyse géopolitique et de dossiers sociétaux sensibles.

Un contexte exigeant pour le service public
Cette nomination s’inscrit dans une réflexion stratégique plus large sur l’avenir de l’information publique. En 2023, le rapport Gauron sur l’avenir de l’audiovisuel public insistait sur la nécessité de garantir un pluralisme effectif, de lutter activement contre la désinformation, et de rétablir la confiance entre médias et citoyens.
France Télévisions est aujourd’hui sommé de rendre des comptes, non seulement sur ses contenus, mais aussi sur ses représentations sociales, son accessibilité numérique et sa capacité à parler à toutes les générations. La nomination d’une figure populaire, à la fois sérieuse et médiatique, comme Léa Salamé, participe d’un pari sur l’incarnation de cette mission.

Une journaliste à la croisée des influences
Née au Liban, formée à Sciences Po Paris puis à New York, Léa Salamé incarne une certaine mondialisation culturelle de l’information. Ce profil biculturel la rapproche d’autres grandes figures de l’information comme Christiane Amanpour (CNN International), qui a elle aussi fait du terrain, de l’analyse critique et du refus du consensus les piliers de sa notoriété.
En France, sa nomination au 20 Heures peut être comparée à celle, en son temps, de David Pujadas, qui avait également impulsé un ton plus analytique à la présentation. Mais là où Pujadas incarnait une forme de distance, Salamé revendique une présence charismatique, engagée, parfois dérangeante.

Une figure médiatique clivante mais ancrée
Léa Salamé a connu de nombreuses controverses. Sa relation avec Raphaël Glucksmann, eurodéputé, l’a contrainte à se retirer temporairement des débats politiques. Elle a aussi été critiquée pour son style parfois considéré comme abrupt, voire autoritaire.
Pourtant, son ancrage médiatique reste solide. Selon une étude de l’INA (2024), Salamé figurait parmi les trois journalistes les plus présents à l’antenne sur les sujets de politique nationale. Le baromètre Viavoice la classe régulièrement dans les journalistes les plus crédibles auprès des 18–34 ans, un public que France 2 peine traditionnellement à capter.
Vers une nouvelle ère du 20 Heures ?
Avec le départ d’Anne-Sophie Lapix pour M6, France 2 a perdu une figure reconnue pour son professionnalisme et sa neutralité. En confiant le journal à Léa Salamé, la direction parie sur une forme de singularité éditoriale, capable de redonner du souffle à un format que beaucoup annonçaient comme condamné.
Il reste à voir si la greffe prendra. La journaliste conserve par ailleurs Quelle époque !, dont le ton plus léger pourrait contrebalancer le sérieux du 20 Heures. Un équilibre entre divertissement, culture et politique semble ainsi se dessiner dans son emploi du temps, à l’image d’une stratégie de transversalité voulue par Delphine Ernotte.
En définitive, Léa Salamé ne vient pas simplement remplacer une présentatrice. Elle porte avec elle un projet journalistique, un ton, et une promesse : celle d’un JT réinventé, au service d’un pluralisme exigeant et d’une démocratie médiatique plus active.