C’était Lea Massari, étoile secrète du cinéma européen

Portrait discret et profond de Lea Massari, capturée à Rome lors d’un rare shooting photo pour un magazine italien.

Elle fut cette énigme fascinante du cinéma européen, à la beauté discrète et au talent subtil. De Rome à Paris, son visage a incarné la modernité du septième art, révélée par Antonioni et consacrée par les plus grands. Retour sur le parcours cinématographique, discret, mais intense de Lea Massari qui vient de nous quitter à 91 printemps.

Une jeunesse marquée par l’Europe

Anna Maria Massatani, connue sous le nom de Lea Massari, naît à Rome le 30 juin 1933. Fille d’un ingénieur et d’une mère originaire d’Ombrie, elle grandit dans une ambiance cultivée, mais nomade. Son enfance la promène entre l’Italie, la Suisse, la France et l’Espagne. Cette vie itinérante façonne son identité européenne profonde, enrichissant sa sensibilité artistique.

À son retour à Rome, elle étudie l’architecture. Cependant, le théâtre attire rapidement cette jeune femme ambitieuse et sensible. Devenue mannequin, elle fait son entrée au cinéma grâce au décorateur Piero Gherardi, un proche de sa famille. Elle adopte alors son pseudonyme en hommage à Léo, son fiancé disparu tragiquement juste avant leur mariage.

Les premiers pas vers la notoriété

Le cinéma l’accueille en 1954 dans Du sang dans le soleil de Mario Monicelli. Son interprétation d’une jeune femme sarde est remarquée. Dès lors, elle est sollicitée par des réalisateurs majeurs comme Renato Castellani, Sergio Leone et Mauro Bolognini.

Lea Massari incarna Anna, l’absente au cœur du film d’Antonioni. Sur le plateau, elle lisait des poèmes de Pavese entre deux prises, pour rester dans l’ambiguïté du rôle.
Lea Massari incarna Anna, l’absente au cœur du film d’Antonioni. Sur le plateau, elle lisait des poèmes de Pavese entre deux prises, pour rester dans l’ambiguïté du rôle.

Mais c’est son rôle dans L’avventura (1960) de Michelangelo Antonioni qui la fait entrer dans l’histoire du cinéma. Elle y interprète Anna, personnage mystérieux qui disparaît lors d’une excursion en mer. Son rôle est emblématique, symbolisant une nouvelle ère du cinéma européen. En effet, l’intrigue cède la place à la psychologie. D’ailleurs, l’intériorité des personnages devient primordiale.

L’âge d’or entre Rome et Paris

Dans les années 1960 et 1970, Massari navigue avec aisance entre l’Italie et la France, devenant ainsi une figure transalpine incontournable. En Italie, elle excelle dans Une vie difficile de Dino Risi (1961), satire incisive de la société italienne, ou encore dans Le Professeur de Valerio Zurlini, aux côtés de Alain Delon. Son jeu subtil et profond séduit la critique et les cinéphiles.

En France, elle conquiert les réalisateurs exigeants : Claude Sautet, Louis Malle, Michel Deville et Henri Verneuil lui offrent des rôles marquants. Face à Michel Piccoli dans Les Choses de la vie (1970), elle livre une prestation remarquable qui lui vaut le prix Louis-Delluc. Dans Le Souffle au cœur (1971) de Louis Malle, elle incarne avec audace et finesse une mère complexe. En conséquence, son interprétation déclenche à la fois admiration et débats passionnés.

Une actrice primée et respectée

La consécration vient avec son rôle bouleversant dans Le Christ s’est arrêté à Eboli (1978) de Francesco Rosi, adaptation poignante du roman de Carlo Levi, où elle reçoit le prestigieux Ruban d’argent. Sa filmographie inclut aussi le chef-d’œuvre méconnu La Course du lièvre à travers les champs de René Clément (1973). De plus, ce film a été récompensé par l’Étoile de Cristal.

Élue jurée au Festival de Cannes en 1975, elle déclara préférer les films, où il reste des silences. Ce soir-là, elle portait une broche héritée de sa mère. Par ailleurs, elle refusa toutes les interviews, fidèle à son goût pour la discrétion.
Élue jurée au Festival de Cannes en 1975, elle déclara préférer les films, où il reste des silences. Ce soir-là, elle portait une broche héritée de sa mère. Par ailleurs, elle refusa toutes les interviews, fidèle à son goût pour la discrétion.

Jurée au Festival de Cannes en 1975, Lea Massari incarne une élégance sobre, fuyant volontairement le tapage médiatique pour préserver sa vie privée.

Exploration théâtrale et télévisuelle

Outre le cinéma, elle s’essaie avec succès au théâtre, notamment dans Deux sur la balançoire de William Gibson. La télévision lui permet aussi d’explorer des personnages féminins complexes, comme dans l’adaptation télévisée d’Anna Karenina (1974) et surtout Una donna spezzata (1988), où elle adapte elle-même le texte de Simone de Beauvoir.

Retrait et engagements personnels

Dès les années 1980, Lea Massari se retire progressivement du cinéma. Refusant les sirènes de la célébrité, elle choisit une vie discrète en Sardaigne, aux côtés de son époux Carlo Bianchini, ancien pilote d’Alitalia. Après leur divorce en 2004, elle consacre ses énergies à la protection animale, rompant définitivement avec ses passions antérieures comme la chasse.

Son dernier rôle au cinéma date de 1990 avec Viaggio d’amore, marquant ainsi une fin volontairement discrète d’une carrière riche et variée.

Un départ tout en pudeur

Lea Massari s’éteint à Rome le 23 juin 2025, à l’âge de 91 ans. Ses funérailles se déroulent dans la plus stricte intimité à Sutri. Elle laisse derrière elle une empreinte profonde dans l’histoire du cinéma européen, synonyme d’élégance retenue et d’intelligence artistique.

Elle restera à jamais celle dont l’image flotte entre réalité et fiction, comme dans la célèbre scène d’ouverture de L’avventura, cette femme absente, mais omniprésente, mystérieuse et insaisissable.

Cet article a été rédigé par Pierre-Antoine Tsady.