
L’écrivain Kamel Daoud) traverse une période tourmentée. Le mercredi 7 mai, le ministère français des Affaires étrangères a confirmé cette information. En effet, la justice algérienne avait émis deux mandats d’arrêt internationaux contre lui. Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay, a insisté sur l’importance que la France accorde à la liberté d’expression, rappelant que Daoud est "un auteur reconnu et respecté".
Ce nouvel épisode judiciaire intervient après que l’écrivain a remporté en novembre 2024 le Prix Goncourt pour Houris. Ce roman bouleversant a été salué par la critique. En effet, il plonge dans les souvenirs douloureux de la guerre civile algérienne, surnommée la "décennie noire". La distinction littéraire a accru la notoriété de Kamel Daoud. Cependant, elle a ravivé les tensions autour de sa liberté de parole.

Origines de l’affaire et accusations portées
L’affaire trouve sa source dans une plainte déposée par Saâda Arbane, survivante d’un massacre islamiste survenu en 1997 dans la région de Blida. En effet, elle accuse Kamel Daoud et son épouse, la psychiatre Aïcha Dahdouh, d’avoir utilisé sans consentement ses confidences personnelles pour composer le personnage principal d’Houris.
Ainsi, dès février 2025, Saâda Arbane assignait l’écrivain devant le tribunal judiciaire de Paris pour atteinte à la vie privée et à la dignité humaine, réclamant 200 000 euros de dommages et intérêts. Elle affirme que plusieurs passages du roman reprennent fidèlement des récits qu’elle avait partagés sous anonymat.
De plus, l’Organisation nationale des victimes du terrorisme en Algérie a également saisi la justice. Cette structure officielle a été créée au début des années 2000. Elle dénonce l’utilisation abusive de récits personnels liés aux traumatismes de la guerre. De plus, elle souligne l’urgence de protéger la mémoire collective des victimes.
Une dimension politique assumée
Selon l’avocate de l’écrivain, Jacqueline Laffont, ces procédures judiciaires s’inscrivent dans "un ensemble de manœuvres pour réduire au silence un écrivain libre et critique". Elle affirme que Houris dévoile des épisodes sensibles de l’histoire algérienne, notamment des crimes de masse attribués aussi bien aux groupes islamistes armés qu’aux forces de sécurité.
Ainsi, Kamel Daoud s’inscrit dans une tradition littéraire engagée, rappelant les prises de position courageuses d’écrivains comme Boualem Sansal ou Rachid Boudjedra. L’affaire survient dans un contexte dégradé entre Alger et Paris, marqué par l’incarcération en mars 2025 de Boualem Sansal, 80 ans, poursuivi pour "atteinte à l’unité nationale".
Le climat politique actuel en Algérie interdit toute critique du passé. Ainsi, toute exploration littéraire du conflit devient hautement inflammable. La loi sur la concorde civile de 2005 impose un devoir de silence sur les violences des années 1990. En effet, cela se fait au nom de la réconciliation nationale.
La défense de l’écrivain face aux accusations
Dès décembre 2024, Kamel Daoud affirmait publiquement sur France Inter que Houris est une œuvre de fiction. Elle est nourrie d’un ensemble de témoignages, d’archives et de recherches historiques. Il précisait sur Europe 1 que "le roman ne raconte pas la vie" de Saâda Arbane, malgré certaines analogies.
De plus, il rappelle que la tragédie d’une époque ne saurait appartenir à un seul individu. Elle est marquée par 60 000 à 150 000 morts entre 1992 et 2002 selon les estimations. Il dénonce une "campagne orchestrée" contre lui, notamment via des médias étroitement liés au pouvoir algérien.
Enfin, ses avocats ont déposé une requête auprès d’Interpol afin de contester la diffusion des mandats d’arrêt. Ils arguent de leur "caractère manifestement abusif et politique". L’organisation internationale n’a pas encore publié de notification rouge à ce jour.
Un procès aux implications majeures
La première audience de procédure à Paris est fixée pour septembre 2025. Elle devra poser les bases d’une démarcation fine entre le respect de la vie privée et la liberté artistique. En effet, il est crucial de trouver un équilibre entre ces deux droits fondamentaux. Le tribunal devra notamment déterminer si l’utilisation d’éléments biographiques, même transfigurés par la fiction, peut constituer une faute civile.
Dans ce contexte tendu, Kamel Daoud reste fidèle à son engagement littéraire. Ainsi, malgré les risques judiciaires et politiques, il revendique son droit à explorer par la fiction. Il souhaite aborder les douleurs enfouies de son pays natal. En effet, il rappelait récemment lors d’une conférence à Sciences Po Paris : "L’écriture est une liberté ou elle n’est rien".