Jennyfer en liquidation : 999 emplois menacés

Façade d'un magasin Jennyfer en liquidation, affichant des promotions massives sur ses vitrines

Jennyfer, icône du prêt-à-porter adolescent depuis 1984, a été placée en liquidation judiciaire le 30 avril 2025. Cette décision judiciaire survient après une longue période de fragilité économique. Elle met fin à une tentative de redressement commercial initiée en 2023. Ainsi, ce sont près de 1 000 emplois dans la mode qui se retrouvent aujourd’hui menacés, en France comme à l’international, dans un contexte où l’ensemble du secteur textile vit une transformation radicale.

L’annonce a été faite au tribunal de commerce de Bobigny. Toutefois, il a autorisé la poursuite de l’activité jusqu’au 28 mai 2025. Cette période de sursis vise à permettre l’éventuelle présentation d’offres de reprise. Cependant, les syndicats jugent ces probabilités faibles, invoquant un marché du prêt-à-porter saturé et un modèle économique devenu obsolète.

Jean taille haute, crop top : le combo gagnant Jennyfer. La marque surfait sur les tendances TikTok avec des pièces inspirées du streetwear coréen, misant sur une mode
Jean taille haute, crop top : le combo gagnant Jennyfer. La marque surfait sur les tendances TikTok avec des pièces inspirées du streetwear coréen, misant sur une mode « instagrammable » et accessible dès 12 euros.

Des efforts de relance sans succès

En 2024, la direction de l’enseigne avait tenté une relance stratégique. Elle avait délaissé son rebranding controversé sous l’appellation Don’t Call Me Jennyfer, initié en 2019 pour reconquérir les adolescentes post-milléniales. Le retour au nom Jennyfer était accompagné d’un investissement de 15 millions d’euros et de l’entrée au capital d’un actionnaire chinois, Shanghai Pure Fashion Garments Co Ltd, spécialisé dans la production textile à bas coûts.

Un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) avait été mis en œuvre, supprimant 75 postes sans toutefois fermer de points de vente. La stratégie reposait sur une modernisation de l’image de marque. De plus, elle incluait un repositionnement marketing vers les 15-24 ans. Enfin, elle visait à renforcer la présence sur les réseaux sociaux mode. Pourtant, ces initiatives n’ont pas suffi à rétablir une rentabilité structurelle mise à mal depuis plusieurs exercices. La structure de coûts élevés et l’incapacité à renouveler l’offre à un rythme compétitif ont accentué le déclin.

Concurrence agressive et explosion des coûts

La direction pointe plusieurs facteurs structurels. L’inflation durable a fragilisé les marges. En outre, la hausse des coûts de transport et de production textile a eu un impact. De plus, l’effondrement du pouvoir d’achat des jeunes consommateurs a également contribué à cette situation. De plus, la montée en puissance de la concurrence internationale dans le textile, portée par des plateformes comme Shein et Temu, a bouleversé les modèles de distribution traditionnels.

Ces nouveaux acteurs imposent une ultra fast-fashion, basée sur des cycles de production de quelques jours, des prix défiant toute concurrence et un marketing d’influence massive. Face à cette révolution numérique et commerciale, Jennyfer n’a pas réussi à réagir. Elle s’est retrouvée coincée entre un positionnement trop générique et une logistique lente. Ce retard a fini par rendre son modèle économique inadapté aux attentes contemporaines du secteur de la mode.

Les jeans Jennyfer : l’un des best-sellers historiques. Produits en masse depuis les années 90, ils étaient conçus pour suivre la croissance des
Les jeans Jennyfer : l’un des best-sellers historiques. Produits en masse depuis les années 90, ils étaient conçus pour suivre la croissance des

Des salariés précarisés et en colère

La réaction syndicale ne s’est pas fait attendre. La CGT Services a qualifié l’annonce de "violente et brutale". Elle accuse la direction de manque de transparence. De plus, elle reproche à l’État de passivité, malgré des alertes répétées sur les difficultés du groupe. Le syndicat déplore une absence de soutien sectoriel. En outre, le textile en France subit une crise systémique depuis plusieurs années.

Dans les villes moyennes comme Laval, où Jennyfer était implantée depuis plusieurs décennies, le choc est profond. Les clientes fidèles, mères et adolescentes, expriment leur incompréhension. Le magasin était un repère commercial accessible, proposant une mode bon marché, en phase avec les aspirations des jeunes consommateurs.

Un symbole de la fast-fashion en péril

La chute de Jennyfer s’inscrit dans une hécatombe plus large. Camaïeu, Kookaï, San Marina, Pimkie : autant de noms emblématiques du prêt-à-porter populaire aujourd’hui en difficulté ou disparus. Tous confrontés à un même mélange explosif : post-pandémie, inflation galopante, coûts fixes élevés et essor de la consommation circulaire et de la mode écoresponsable.

Fondée au creux des années 80, Jennyfer incarnait une jeunesse insouciante et consommatrice. L’enseigne atteignait encore 250 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel récemment, avec 220 points de vente en France. Mais le poids de la dette, l’érosion de la clientèle adolescente, et la méconnaissance des nouvelles pratiques d’achat en ligne ont ébranlé ses fondations.

À chaque liquidation, c’est un pan de centre-ville qui se vide. Jennyfer était souvent implantée dans des galeries marchandes de villes moyennes, offrant un repère mode aux adolescentes peu desservies par les grandes enseignes.
À chaque liquidation, c’est un pan de centre-ville qui se vide. Jennyfer était souvent implantée dans des galeries marchandes de villes moyennes, offrant un repère mode aux adolescentes peu desservies par les grandes enseignes.

Une faillite révélatrice d’un bouleversement

La liquidation de Jennyfer s’inscrit comme un symptôme majeur du bouleversement du secteur textile et de la fast-fashion. Le modèle de la mode à bas prix basé sur la production de masse atteint ses limites. Face à une génération Z connectée, engagée et mobile, les enseignes doivent revoir leurs fondamentaux. En effet, le marché du prêt-à-porter en mutation exige cette adaptation pour survivre.

Désormais, c’est toute la chaîne de valeur textile qu’il faut réinventer. Cela inclut une logistique agile et une communication authentique. De plus, des engagements écologiques vérifiables sont essentiels. Enfin, une expérience d’achat hybride doit être alignée sur les nouvelles attentes. Faute de quoi, le paysage du prêt-à-porter français continuera de se désagréger.

Une jeunesse à nouveau touchée

Jennyfer s’adressait principalement aux 10-24 ans, une tranche d’âge déjà touchée par la précarité, les difficultés d’accès à l’emploi et la paupérisation du pouvoir d’achat. Sa disparition illustre une forme de désengagement du marché de la mode envers les plus jeunes, souvent perçus comme volatils mais prescripteurs de tendances. Ces derniers, de plus en plus, privilégient la seconde main, les vides-dressing numériques comme Vinted, et les plateformes asiatiques low-cost, jugées plus adaptées à leurs moyens et aspirations.

La fermeture de Jennyfer ne constitue pas un simple épisode de plus dans les chroniques économiques du commerce de détail. Elle incarne une rupture culturelle et économique, une mutation de fond dans les usages vestimentaires, et un signal d’alarme pour les enseignes historiques. Un tournant que le secteur de la mode ne peut plus ignorer s’il veut rester pertinent.