Jean-François Kahn, visionnaire de la presse, nous quitte

Jean-François Kahn en plein discours

Jean-François Kahn, disparu ce 22 janvier 2025, s’est imposé comme l’une des figures majeures du journalisme français. Fondateur de deux hebdomadaires célèbres, L’Événement du jeudi et Marianne, il a marqué plusieurs générations par son style incisif, ses idées novatrices et ses prises de position affirmées. Sa carrière, qui s’étend sur plus de 60 ans, a également été ponctuée de controverses, révélant la complexité d’un homme passionné par le débat.

Une trajectoire forgée par l’engagement et l’innovation

Né le 12 juin 1938 à Viroflay, Jean-François Kahn était le fils du philosophe Jean Kahn-Dessertenne. Il grandit dans un milieu intellectuel, profondément marqué par le suicide de son père en 1970. Aîné de deux frères remarquables — le chimiste Olivier Kahn et le généticien Axel Kahn — il se nourrit très tôt d’une culture exigeante, développant un goût prononcé pour l’écriture et la réflexion.

Après des débuts modestes comme manœuvre dans une imprimerie, il s’oriente vers le journalisme à la fin des années 1950. Ses premiers pas se font à Paris Presse, où il couvre la guerre d’Algérie. Rapidement, il rejoint des rédactions prestigieuses telles que Le Monde et L’Express, se spécialisant dans les enquêtes de fond. En 1966, il signe avec Jacques Derogy une investigation retentissante sur l’affaire Ben Barka, constituant ainsi l’un de ses premiers grands coups médiatiques.

Durant les années 1970, Jean-François Kahn se fait également remarquer à la radio et à la télévision. Sur France Inter, il anime notamment Avec tambour et trompette, une émission consacrée à la chanson française et à sa dimension culturelle. Toutefois, c’est dans la presse écrite qu’il laissera l’empreinte la plus durable de son parcours.

Le fondateur de journaux emblématiques

En 1984, Jean-François Kahn crée L’Événement du jeudi, un hebdomadaire au ton avant-gardiste, caractérisé par des couvertures percutantes et un positionnement politique centriste. Le succès est rapidement au rendez-vous, avec un tirage qui atteint 170 000 exemplaires hebdomadaires en 1988. Le journal s’impose alors comme un espace de réflexion critique, ébranlant le conformisme ambiant et s’attaquant souvent aux puissants.

Fort de ce succès, il lance en 1997 Marianne, un autre hebdomadaire dont l’ambition est de stimuler le débat public et de défier les idées convenues. Jean-François Kahn souhaitait en faire un titre « ni de droite ni de gauche », où toutes les opinions puissent se confronter. Vendu à plus de 200 000 exemplaires par semaine, Marianne devient l’un des piliers du paysage médiatique français.

Ces créations illustrent son ingéniosité entrepreneuriale : il parvient à marier journalisme d’investigation, éditoriaux percutants et analyses rigoureuses. Sa force réside dans sa capacité à toucher un lectorat large, tout en conservant un haut niveau d’exigence éditoriale. C’est l’un des héritages majeurs qu’il lègue à la presse.

Les polémiques marquantes de sa carrière

Jean-François Kahn n’a jamais craint les polémiques, tant son goût pour la controverse et la provocation était vif. Parmi les épisodes les plus mémorables figure son commentaire au sujet de l’affaire Dominique Strauss-Kahn en 2011. Sur France Culture, il évoque un « troussage de domestique » pour qualifier les faits imputés à l’ancien directeur du FMI, minimisant de fait la gravité des accusations. Une onde de choc médiatique s’ensuit. Sous le feu des critiques, il présente finalement ses excuses publiques, mais ce dérapage altère profondément son image et l’incite à prendre ses distances avec le journalisme.

D’autres controverses ont jalonné son parcours : ses diatribes contre le « gauchisme soixante-huitard », son appui au « oui » lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005, assorti de critiques acerbes sur le traitement médiatique réservé aux tenants du « non »… Son franc-parler, parfois perçu comme un atout, lui a aussi valu des accusations de dérive.

Un homme de paradoxes et de passions

Malgré ces controverses, Jean-François Kahn reste respecté pour sa capacité à naviguer entre l’intellectuel et le grand public. Grand amateur de musique, il considérait la chanson comme un reflet des aspirations et des luttes sociales. Son insatiable curiosité l’a poussé à aborder une multitude de sujets, de la politique à la culture, en passant par l’histoire des idées.

Son ouvrage M, la maudite illustre bien son tempérament singulier : en 700 pages, il décrypte l’histoire et les symboliques de la lettre M, qu’il voit comme le miroir des ambiguïtés humaines. Ce livre témoigne de son érudition, de sa créativité et de cette audace qui ne l’a jamais quitté.

Clarifications nécessaires : Rachel Khan et Rachel Kahn

Le nom de Jean-François Kahn a souvent été associé, par erreur, à deux personnalités médiatiques partageant un patronyme proche. La productrice Rachel Kahn, réputée pour son travail sur l’émission Ce soir (ou jamais !) présentée par Frédéric Taddeï, et l’écrivaine Rachel Khan, née en 1976 à Tours, ne sont en réalité pas apparentées au journaliste. Cette confusion, bien que récurrente, mérite d’être levée pour préserver l’identité propre de chacune de ces deux femmes.

Un souvenir durable

JFK, comme on le surnommait parfois, a profondément marqué la presse française par son audace, son sens critique et son aptitude à innover. François Bayrou, avec qui il a brièvement collaboré dans le domaine politique, a salué en lui « un géant et un homme rare ». Ses deux créations, L’Événement du jeudi et Marianne, incarnent encore aujourd’hui un certain idéal de liberté d’expression et de contestation de la pensée unique. La célèbre ministre de la Culture Rachida Dati salue « l’homme de presse audacieux et le républicain passionné », rappelant combien « son immense culture et son amour pour Victor Hugo » vont manquer au paysage intellectuel français.

Malgré ses écarts et ses contradictions, Jean-François Kahn demeure l’emblème d’un journalisme engagé, toujours prompt à remettre en question les certitudes établies. Son décès tourne la page d’une époque où la presse écrite occupait le devant de la scène dans les grands débats de société. Il laisse derrière lui une carrière si vaste qu’elle traduit à merveille une vie dédiée à l’investigation et à la liberté d’informer.

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