
Le 13 avril 2024, l’histoire a basculé. L’Iran a réagi à l’attaque de son consulat à Damas. Il a envoyé une salve de drones et missiles vers Israël. Ce tir direct, inédit depuis 1979, a fait trembler les chancelleries. Benjamin Netanyahou a répondu par une promesse glaçante : “Nous frapperons ceux qui osent lever la main contre nous.”
Ce n’est pas un simple épisode. C’est l’aboutissement d’une tension rampante, révélatrice d’un ordre régional en recomposition. Depuis plus de quarante ans, Israël et l’Iran s’opposent. L’un défend son existence face à un arc chiite jugé menaçant. L’autre se projette comme le pôle de résistance contre l’Occident et le sionisme.
Au-delà des missiles, ce sont des visions du monde, des structures de pouvoir et des egos nationaux qui s’affrontent.
Deux faucons israéliens : autorité, guerre et survie nationale
Benjamin Netanyahou : l’homme d’une vision assiégée
Netanyahou veut incarner une Israël obsédée par sa survie, hantée par la mémoire de la Shoah. Formé à Boston, passé par le Mossad et marqué par les attentats palestiniens des années 1970, il pense en stratège paranoïaque. Chaque concession lui semble une menace. Chaque accord, une illusion.

Son leadership repose sur une rhétorique d’urgence. Depuis 2009, il gouverne par coalitions fragiles. Droite nationaliste, ultra-orthodoxes et centristes sécuritaires l’accompagnent, unis par la peur.
Netanyahou multiplie les outrances verbales : il a traité ses opposants de "traîtres à la nation", accusé la Cour suprême d’être un "obstacle au salut du peuple" et n’a pas hésité à faire alliance avec les ultranationalistes religieux les plus radicaux. Il instrumentalise les crises pour régner, entretenant une atmosphère de siège permanent.
Yoav Gallant : le général pragmatique
Ancien commandant du front Sud, Yoav Gallant connaît Gaza, le Hamas et le Hezbollah avec une précision clinique. Pragmatique, il définit la guerre comme un outil à portée opérationnelle. Sa doctrine, dite de "dissuasion par saturation", préconise des frappes massives, brèves et localisées.
Gallant reste discret. Mais dans l’ombre, il impose sa vision militaire. Il entretient des rapports directs avec Tsahal, le Mossad et Aman, souvent sans passer par le politique. Certains le voient comme un contrepoids à Netanyahou. D’autres comme un exécutant sans état d’âme.
L’État profond iranien : entre mystique chiite et stratégie asymétrique
Ali Khamenei : le Guide de l’ombre
Le Guide suprême est à la fois théologien et stratège. Son autorité transcende les institutions. Détaché des urgences politiques, il pense le conflit comme un épisode d’une épopée spirituelle.

Khamenei invoque l’imam caché, tout en maniant les leviers militaires avec rigueur. Il orchestre une guerre par procuration à travers le Hezbollah, les Houthis, les milices irakiennes. Sa patience est sa plus grande force : il conçoit les défaites comme des sacrifices mystiques.
Il s’entoure de généraux des Gardiens de la Révolution. Ceux-ci sont un mélange de mystiques, d’hommes d’affaires et d’agents secrets. Le pouvoir iranien est une nébuleuse où se croisent convictions religieuses et réalisme froid.
Mohammad Mokhber : le survivant administratif
Vice-président devenu chef d’État par accident, Mokhber n’est pas un tribun. C’est un gestionnaire lié aux réseaux de Rafsandjani. Son rôle ? Maintenir la machine économique à flot. Il pilote les circuits parallèles : marché noir, contournement des sanctions, commerce de drones et de pétrole sous embargo.
Moins visible que Raïssi, il est adoubé par les milieux sécuritaires. Son profil rassure les marchés clandestins et les régimes alliés.
Donald Trump et Emmanuel Macron : les deux visages de l’Occident
Donald Trump : le pyromane stratégique
Trump veut une Amérique forte mais repliée. Il alterne menaces et replis tactiques. Sous sa présidence, l’assassinat de Qassem Soleimani a marqué un tournant. En même temps, il a démantelé l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA).

Sa vision du Moyen-Orient est transactionnelle. Son soutien à Netanyahou est total, mais motivé par un calcul électoral. Il rêve d’une posture de "sauveur impitoyable" face aux "forces du chaos".
Emmanuel Macron : entre impuissance et volonté diplomatique
Macron prône le multilatéralisme et la désescalade, mais ses marges de manœuvre sont réduites. Faute d’autonomie stratégique, la France reste un acteur secondaire.

Il tente des dialogues avec l’Iran. Il rappelle l’importance du JCPOA. Mais ses prises de position, souvent perçues comme moralisantes, agacent Tel-Aviv comme Téhéran.
Macron s’entoure de diplomates expérimentés. Il multiplie les appels à la retenue. Mais en coulisses, la diplomatie française redoute une marginalisation de l’Europe.
Une région en tension : reconfigurations, lignes rouges et effets dominos
Le Moyen-Orient redessiné
L’Arabie saoudite freine sa normalisation avec Israël. L’axe Riyad-Téhéran patine. Les Émirats gardent profil bas. La Jordanie craint une poussée réfugiée. Le Liban reste au bord du gouffre.
Le Hezbollah renforce sa rhétorique de "résistance sacrée". La Syrie reste un échiquier morcelé, propice aux confrontations indirectes.
La Russie et la Chine : deux empires en embuscade
Moscou exporte son savoir-faire asymétrique. Il vend des drones, offre des systèmes anti-aériens et forme les services régionaux.
Pékin joue la carte du modérateur discret. En 2023, il a facilité un accord irano-saoudien. Il veut préserver l’accès au pétrole sans s’engluer dans des alliances guerrières. Mais en cas d’escalade nucléaire, même la Chine serait forcée de sortir du bois.
Vers un nouvel ordre instable
Les institutions multilatérales vacillent. L’ONU, l’AIEA, le G7 peinent à faire entendre leur voix. Le Conseil de sécurité reste bloqué par les vetos croisés.
La diplomatie indirecte revient. Le Qatar, la Suisse, Oman réactivent leurs canaux. Le renseignement devient un vecteur de paix autant que de guerre.
Ce conflit dessine une nouvelle carte du monde. Le Moyen-Orient n’est plus une arène locale. Il est le baromètre des fractures globales entre démocraties, théocraties et autoritarismes.
Dans cette épreuve de nerfs, ce ne sont pas les missiles qui comptent le plus. Ce sont les hommes, leurs idées, leurs failles et leur soif de pouvoir.