
Une architecture de pouvoir centralisée mais complexe
Depuis sa fondation en 1979, la République islamique d’Iran repose sur une construction institutionnelle singulière. À son sommet trône le Guide suprême, actuellement Ali Khamenei, successeur de l’ayatollah Khomeini. Il incarne à la fois l’autorité religieuse ultime et le véritable chef d’État. Ainsi, son pouvoir dépasse celui du président ou du Parlement. Il contrôle l’armée, la justice, les médias et les grandes orientations diplomatiques.







Les mécanismes de la perpétuation autoritaire
Pour maintenir son pouvoir, le régime iranien mobilise un arsenal varié. La répression politique et sociale reste un levier central. La police des mœurs, les tribunaux révolutionnaires et les services de renseignement neutralisent toute voix dissonante. La censure frappe journalistes, artistes, militants des droits humains, et même certains religieux réformistes.
Le régime s’appuie aussi sur un pacte social implicite : en échange d’une relative stabilité et d’une identité nationale forte, les libertés individuelles sont restreintes. Ce modèle, fragilisé par les crises économiques, est de plus en plus contesté.
La propagande d’État complète ce dispositif. Les médias publics construisent un récit où l’Iran apparaît comme une forteresse assiégée par les ennemis occidentaux. Cette victimisation constante vise à resserrer les rangs derrière le pouvoir.
L’endiguement stratégique : entre diplomatie et milices
Face aux pressions américaines et israéliennes, l’Iran développe une stratégie de dissuasion à plusieurs niveaux. D’abord, il poursuit un programme nucléaire civil. Officiellement pacifique, il inquiète les chancelleries. L’accord de 2015 (JCPOA), puis le retrait américain en 2018, ont ravivé les tensions. Téhéran enrichit son uranium, tout en négociant à la marge pour éviter l’escalade.
Ensuite, l’Iran s’appuie sur un réseau de milices alliées. Le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, les milices chiites en Irak ou en Syrie forment une “profondeur stratégique”. Ces relais renforcent l’influence iranienne. De plus, ils permettent une diplomatie indirecte tout en influençant militairement les conflits régionaux.
Enfin, la cyberdéfense devient un champ de bataille. Des attaques ciblées, notamment contre Israël ou l’Arabie saoudite, témoignent de la capacité croissante de l’Iran à perturber ses adversaires dans le cyberespace. La guerre se joue désormais aussi sur les réseaux et les données.
Une société sous tension, des voix qui s’élèvent
En dépit de la répression, la contestation persiste. En 2022, la mort de Mahsa Amini, jeune femme arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal ajusté, a déclenché une vague de révolte. Slogans féministes, grèves étudiantes, manifestations dans les grandes villes : la société iranienne, majoritairement jeune, exprime son ras-le-bol.
Économie en crise, jeunesse en rupture
L’Iran subit de fortes sanctions internationales, notamment sur le pétrole, ses exportations majeures. L’inflation galopante, le chômage des jeunes, la fuite des cerveaux et la corruption endémique nourrissent une instabilité chronique. Le riyal chute, les pénuries d’eau et d’électricité s’aggravent, les grèves se multiplient dans les secteurs publics.
La jeunesse, souvent diplômée mais sans avenir, regarde vers l’extérieur. Nombreux sont ceux qui tentent de quitter le pays. Le fossé entre le discours officiel et les réalités sociales devient abyssal. Cette fracture générationnelle pourrait être l’un des éléments déclencheurs d’un changement futur.
Figures de la dissidence et de l’exil





Par ailleurs, la diaspora compte aussi des voix littéraires et artistiques qui prolongent cette lutte loin des frontières. Chahdortt Djavann, écrivaine franco-iranienne naturalisée française et autrice du pamphlet Bas les voiles! (2003), dénonce inlassablement l’obscurantisme religieux depuis Paris.
De son côté, l’actrice Golshifteh Farahani, contrainte à l’exil après avoir subi censure et menaces, met sa notoriété internationale au service de la liberté d’expression et des droits des femmes. Elles rejoignent ainsi bien d’autres Iraniennes résistantes — avocates, journalistes, universitaires ou sportives — qui, chacune à leur manière, maintiennent vivante la flamme de la contestation.
Un régime menacé mais résilient
Depuis plus de quarante ans, la République islamique a survécu à des guerres, des sanctions, des révoltes et des crises internationales. Elle maîtrise l’art de la résilience autoritaire. Sa capacité à s’adapter, à réprimer, à négocier, à se victimiser, lui a permis de durer. Mais l’usure est visible.
La centralisation extrême du pouvoir, la personnalisation autour de Khamenei et l’absence de mécanismes de succession transparents laissent planer des incertitudes. Que se passera-t-il après sa mort ? Le régime saura-t-il se réformer de l’intérieur ou s’effondrera-t-il sous ses contradictions ?
L’Iran à la croisée des chemins
Le régime iranien affronte une pression inédite. Les facteurs internes – colère sociale, aspirations démocratiques, crise économique – se conjuguent aux tensions géopolitiques – isolement diplomatique, rivalités régionales, conflit larvé avec Israël.
Face à cela, plusieurs voies s’esquissent : un durcissement autoritaire, une réforme de façade, un effondrement progressif ou une transition démocratique. La figure de Reza Pahlavi, l’action de Mohammadi et la mémoire de Mahsa Amini incarnent les aspirations d’un peuple pluriel, en quête de dignité.
Dans ce théâtre d’ombres, l’avenir de l’Iran reste ouvert. Mais une chose est certaine : la jeunesse iranienne, connectée, cultivée, déterminée, ne renoncera pas à son espoir d’un pays libre.