Dans cette interview exclusive avec Ecostylia, Manish Vaid, créateur d’origine indienne et ingénieur mécanique devenu couturier, partage un parcours fascinant où tradition et modernité se conjuguent. De son immersion dans le monde de la mode à Los Angeles aux podiums de la Paris Fashion Week, Vaid révèle ses influences, sa quête de durabilité et sa vision d’un style intemporel et élégant. Pierre-Antoine Tsady, qui était au premier rang de son dernier défilé parisien, l’a rencontré. Il lui a raconté avec finesse les tensions entre authenticité et innovation dans la mode contemporaine, tout en offrant des conseils précieux aux lecteurs avides de raffinement. Une interview qui invite à découvrir un créateur en quête d’une esthétique universelle, alliant l’héritage culturel et les exigences modernes du design.
Interview
Pierre-Antoine Tsady : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans le monde de la mode ? Y a-t-il eu un événement marquant ou une rencontre particulière qui a déclenché cette passion ?
Manish Vaid : Je suis ingénieur mécanique de formation, mais même pendant mes études, j’étais attiré par le domaine de la mode. Je participais aux Fashion Weeks dans ma ville, j’organisais des défilés et j’en faisais même la chorégraphie. Quand j’ai déménagé à Miami en 2012, j’ai ouvert une entreprise d’importation de vêtements, mais c’est mon déménagement à Los Angeles en 2014 qui m’a vraiment inspiré à me lancer dans la création. La scène mode de cette ville était tout simplement féerique.
P.-A. T. : Quels designers ou personnalités ont influencé votre vision de la mode ? Y a-t-il des figures du design ou de la culture orientale qui ont particulièrement marqué votre parcours ?
M. V. : Je ne suis pas vraiment les designers sur les réseaux sociaux, car je pense que si l’on voit quelque chose, on finit par suivre le même chemin et perdre en créativité. Mais j’apprécie beaucoup les collections resort de Roberto Cavalli. Le choix des tissus, les motifs de couleurs, le style ; je pense que leur équipe de design fait un excellent travail.
P.-A. T. : Vous êtes réputé pour votre sens unique du style. Quels conseils d’élégance donneriez-vous à nos lecteurs, en particulier à ceux qui cherchent à allier tradition et modernité ?
M. V. : Étant originaire d’Inde, j’ai vu des collections de créateurs fortement influencées par la tradition et la culture. Comme mes activités allaient se dérouler à l’international et non en Inde, j’ai veillé à ce que mes collections soient conçues de manière à plaire aux acheteurs internationaux, sans être définies comme des collections ethniques indiennes.
Aujourd’hui, mes collections sont présentes dans des boutiques à Santorin, Mykonos, Marbella, Gibraltar, Miami, Los Angeles et dans des destinations balnéaires en Amérique centrale et du Sud. Je pense avoir trouvé le bon équilibre entre tradition et modernité, et les acheteurs internationaux ont apprécié cette singularité.
P.-A. T. : Quels aspects de la mode contemporaine vous déplaisent ou vous semblent en décalage avec l’essence de l’élégance ?
M. V. : Je ne dirais pas qu’ils sont en décalage, car la sensibilité au prix est le facteur dominant dans le monde actuel, bien plus que le style. Je me demande souvent comment cela devait être dans les années 50 et 60, quand tout le monde s’habillait si élégamment au quotidien, et à quel moment nous avons fait cette transition. Malgré ce changement, la mode a évolué et il y a une grande population à satisfaire avec un nombre croissant d’événements sociaux, de récompenses, de festivals et d’autres occasions.
P.-A. T. : Quelles pratiques ou approches dans la mode prônez-vous aujourd’hui, que ce soit en termes de design, de production ou de consommation ?
M. V. : Alors que le monde entier se dirige vers la durabilité, c’est la voie à suivre. La mode ne peut pas émerger au détriment de l’environnement. Pour mes collections, j’évite d’utiliser des matières synthétiques et de la fourrure animale. En même temps, l’utilisation de la technologie doit être mise en œuvre pour améliorer l’efficacité et les résultats. Les conditions de travail doivent s’améliorer. Pour atteindre des objectifs de prix bas, c’est souvent la main-d’œuvre qui en pâtit, travaillant dans des conditions difficiles pendant de longues heures.
P.-A. T. : Selon vous, qu’est-ce qui définit le style et comment peut-on le cultiver dans la vie quotidienne ?
M. V. : Le style est absolument subjectif. La manière dont vous portez confortablement vos choix amènera les autres à suivre votre style. Nous utilisons une petite palette de couleurs au quotidien, des styles et des coupes similaires, mais la façon dont vous combinez ces quelques ressources pour vous démarquer définit chaque nouveau style. C’est très imaginatif et amusant.
P.-A. T. : Y a-t-il des tendances actuelles que vous trouvez superficielles ou éphémères ? Quel conseil donneriez-vous aux passionnés de mode pour éviter de tomber dans ces pièges ?
M. V. : Les gens qui s’habillent de manière décontractée lors d’événements où une tenue formelle serait plus appropriée est une tendance assez désagréable qui a été acceptée. De plus, se mettre trop en avant pour attirer l’attention n’est peut-être pas la meilleure façon de procéder. Il y a une fine ligne entre être vulgaire et être élégant. Toute personne impliquée dans le domaine de la mode devrait bien réfléchir à son style.
P.-A. T. : Quels sont, selon vous, les essentiels qu’une femme et un homme devraient avoir dans leur garde-robe pour un style intemporel et élégant ?
M. V. : Une bonne collection de blazers et de manteaux pour les hommes, et de vestes courtes pour les femmes, est absolument essentielle.
P.-A. T. : Après plusieurs années dans l’industrie, quel est votre point de vue sur l’évolution de la mode, notamment en Asie ? Y a-t-il des pratiques ou des approches que vous aimeriez voir davantage adoptées dans la mode mondiale ?
M. V. : Au cours des 20 dernières années, j’ai vécu dans les Caraïbes et aux États-Unis et j’ai principalement été exposé à la mode occidentale. Mais j’ai certainement vu une montée en puissance des créateurs asiatiques participant aux Fashion Weeks aux États-Unis et en Europe, et ce style commence à séduire le monde entier.
Même les créateurs en Asie ont compris qu’il peut être difficile de promouvoir des collections ethniques auprès d’un public international, et ont donc repensé leurs collections pour s’adapter aux goûts occidentaux tout en conservant une touche de patrimoine culturel.
Il est certain que la mode asiatique devrait élargir ses horizons et se diffuser à l’échelle mondiale pour diversifier les styles, au lieu de rester cantonnée aux choix classiques.
P.-A. T. : Comment la rapide évolution de la technologie a-t-elle influencé votre processus créatif ? Pensez-vous que les innovations technologiques apportent une nouvelle dimension à la mode ou risquent-elles de dénaturer son essence ?
M. V. : Je suis encore de la vieille école et je dessine toutes mes collections à la main. J’ai essayé d’utiliser l’IA, mais je trouve cela plus satisfaisant lorsque la partie créative reste organique. L’USP de mes collections repose sur le travail de perlage à la main directement sur les vêtements, ce qui limite l’implication de la technologie.
P.-A. T. : Vous avez présenté vos collections lors de nombreux défilés internationaux. Quelle a été la réception la plus marquante de votre travail, et comment les différentes cultures réagissent-elles à vos créations ?
M. V. : Chaque Fashion Week a été passionnante, et je me souviens encore de la réaction lors de ma première participation à la Miami Swim Week en 2018. J’ai marché sous des acclamations et des applaudissements qui ont duré longtemps. Je savais que j’avais ma place sur ces podiums. FashionTV a diffusé mon défilé par la suite, et après quelques mois, il y avait plus de 15 millions de vues. Je me suis dit… wow.
Mais ma dernière participation à la Paris Fashion Week a surpassé toutes les autres. J’ai fait le final dans une cathédrale près d’Alésia. C’était une ambiance différente avec des collections resort, une surprise pour ceux qui s’attendaient à des contemporains et des robes de soirée. Mon dernier look était une longue cape aux couleurs françaises avec un thème olympique, en hommage à la ville de Paris pour avoir accueilli des jeux si incroyables. Le public a adoré le thème et s’est senti émotionnellement connecté en se remémorant cet événement sportif grandiose qui a rassemblé le monde dans la Ville de l’Amour.
Je n’oublierai jamais comment tout le monde dans la salle s’est levé et a attendu que le créateur fasse son entrée sur le podium. C’était une sensation incroyable de marcher au milieu des applaudissements et des acclamations. C’était six mois de dur labeur que j’avais mis sur le podium, et j’étais soulagé de la réponse reçue. Avant même que l’euphorie ne se termine, je planifiais déjà mes prochaines collections dans cet auditorium.