Catherine Euvrard : entre élégance et espièglerie, la reine des chasseurs de têtes nous reçoit

Catherine Euvrard devant un mur d'ailes d'ange

Catherine Euvrard, sans conteste la reine des chasseurs de têtes en France, nous reçoit dans son élégant bureau à deux pas de l’Arc de Triomphe. Fondatrice et Présidente de sa propre société, elle incarne une élégance rare sur ses talons vertigineux, celle d’une mère et grand-mère à la fois moderne et intemporelle, où se mêlent vitalité et humour pétillant. Son antre, riche en livres et œuvres d’art, regorge d’histoires et de sagesse ; et elle-même s’apprête à en écrire une nouvelle page avec la sortie imminente de son sixième ouvrage qui promet.

Mais c’est une créature en plastique, son facétieux "Béni Oui-Oui", qui capte immédiatement l’attention. "T’es vraiment un nul, toi," lance-t-elle avec malice à son acolyte en résine, qui lui répond sans se laisser démonter, dans un accent américain : "Whatever you think, it’s correct." Une petite scène qui détend à merveille l’atmosphère pour ses clients, ces présidents du CAC 40 qui, entre deux conseils stratégiques, trouvent ici un précieux moment de légèreté. Alors, si vous visez le poste de vos rêves, suivez le guide : ici, l’efficacité se conjugue toujours avec de l’autodérision.

Interview

Pierre-Antoine Tsady : Vous avez travaillé dans plusieurs environnements différents, que ce soit chez Kodak, Procter & Gamble, L’Oréal ou encore au sein du magazine Actuel créé par Jean-François Bizot. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces expériences ?

Catherine Euvrard : Chaque entreprise m’a apporté une expérience unique. Chez Kodak, j’ai appris la vente ; Procter & Gamble m’a inculqué une discipline et une rigueur dans le lancement de produits et le marketing. Mais c’est chez L’Oréal que j’ai vraiment compris ce qu’était "l’école de la vie". Mon passage au magazine Actuel a été marqué par une liberté créative incroyable, notamment avec Jean-François Bizot, qui avait une vision très avant-gardiste. Nous avons vécu des moments complètement fous, comme cette expédition nocturne dans les pires coins de Pigalle pour impressionner nos annonceurs (rires).

P.-A. T. : Quels souvenirs gardez-vous de vos années chez Actuel ?

C. E. : Actuel a été une période de grande inventivité. C’était un environnement libre, où tout était possible. L’équipe était audacieuse et n’hésitait pas à bousculer les conventions. Par exemple, je me souviens avoir décroché un entretien avec Arletty, alors que tout le monde me disait qu’elle était injoignable ou avoir fait des impostures… Ces moments fous resteront gravés dans ma mémoire.

P.-A. T. : Vous avez commencé modestement à Londres, à la grande époque. Racontez-nous.

C. E. : Londres dans les années 60, c’était la liberté absolue. J’y ai travaillé dans une boîte de nuit mythique, Les Enfants Terribles ; et j’y tenais le vestiaire l’après-midi. J’étais jeune… C’était une époque fascinante, marquée par l’essor de la musique, de la mode et des arts. J’y ai croisé des personnages incroyables, des grands d’Espagne aux jeunes talents britanniques et aux "teddy boys". Il y avait aussi une autre boîte légendaire appelée La Poubelle. Ces lieux étaient des melting-pots de créativité et de rencontres improbables. [Les Enfants Terribles et La Poubelle étaient des discothèques emblématiques des années 50 et 60 à Londres, disparues depuis, ndlr.]

Avec des yeux remplis de malice, Catherine Euvrard dévoile les secrets de sa réussite en tant que chasseuse de têtes, mélangeant sagesse et un brin de folie
Avec des yeux remplis de malice, Catherine Euvrard dévoile les secrets de sa réussite en tant que chasseuse de têtes, mélangeant sagesse et un brin de folie

P.-A. T. : Vous avez connu les années Palace. Quels souvenirs en gardez-vous et quelles personnalités vous ont le plus marqué ?

C. E. : Le Palace était bien plus qu’une boîte de nuit, c’était un véritable théâtre de la nuit, un lieu mythique où l’extraordinaire côtoyait le quotidien. Je me souviens particulièrement de Fabrice Emaer, le visionnaire derrière ce temple nocturne. J’y allais sans cesse, c’était l’endroit où il fallait être, le point de rencontre des esprits libres, des créatifs et des audacieux. Parmi les nombreuses figures qui ont marqué ce lieu, je me souviens de Grace Jones et Amanda Lear, qui ont contribué à façonner la légende du Palace dès son inauguration. Grace Jones, avec ses jambes sculpturales, a fait une entrée inoubliable en descendant du ciel sur un trapèze, une apparition à couper le souffle qui résume à elle seule l’esprit spectaculaire du lieu. Amanda Lear, avec son charisme magnétique et son sens de l’excentricité, a laissé une empreinte tout aussi indélébile sur ces nuits endiablées.

Sous les lumières tamisées, le décor somptueux mêlait velours, dorures et miroirs scintillants, créant une ambiance à la fois chic et déjantée. Les danseurs, parés de tenues audacieuses et extravagantes, évoluaient au rythme envoûtant d’un cocktail sonore mêlant disco, funk et house. C’était le lieu où créateurs, artistes et icônes de la mode se croisaient, chacun apportant sa touche singulière à une nuit empreinte de glamour, de liberté et d’extravagance, où tout devenait possible, même l’imprévisible.

Il y avait aussi Karl Lagerfeld, toujours élégant, avec un regard vif sur tout ce qui se passait autour de lui. C’était une époque où l’art, la mode et la musique se mélangeaient de manière fluide et le Palace en était l’épicentre.

P.-A. T. : Vous qui aimez le jazz, quels sont pour vous les plus grands jazzmen de tous les temps ?

C. E. : Le jazz transcende la simple musique, c’est une forme profonde qui touche à l’âme. Parmi ses plus grands maîtres : Errol Garner, Kenny Clark, le Blue Note [club de jazz, ndlr], Maxime Saury (La Huchette), Les 3 Maillets… Mais aussi, Miles Davis et John Coltrane, dominent. Miles Davis, par son génie innovateur, a constamment repoussé les frontières du genre, réinventant le jazz à chaque époque, notamment avec l’album légendaire Kind of Blue, devenu une référence incontournable. Coltrane, quant à lui, apportait une spiritualité intense à son jeu, atteignant des sommets émotionnels et techniques.

J’ai en mémoire, également, avoir passé des soirées endiablées avec Stéphane Grappelly, un violoniste extraordinaire, aux 3 Maillets.

Il est aussi impossible d’oublier Billie Holiday, dont la voix transportait une émotion brute et authentique qui a marqué non seulement la musique, mais aussi l’histoire sociale et politique. Ces artistes n’ont pas seulement façonné le jazz : ils l’ont élevé au rang d’art intemporel, influençant encore aujourd’hui des générations de musiciens et d’auditeurs à travers le monde.

P.-A. T. : Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer Catherine Euvrard Consultants en 1990 ?

C. E. : Ma double compétence dans la rigueur façon Procter et la folie façon Actuel m’ont appris à aimer l’autre, à ne pas avoir peur de parler à des inconnus et à jouer franc-jeu, loin des approches rigides que j’observais dans de nombreux cabinets. En 1990, forte de cette conviction, j’ai fondé Catherine Euvrard Consultants avec un objectif clair : dénicher les talents là où personne ne pense à les chercher, explorer des horizons inattendus. Mon premier client, Noël Goutard, alors président de Valeo [équipementier automobile, ndlr.], m’a confié une mission avec une phrase qui résonne encore : “Si tu es nulle, il n’y en aura jamais deux”. Il y en a eu plus de 200, chez Valéo. Ce défi a marqué le début d’une collaboration fructueuse et durable, bâtie sur la confiance et la réussite, avec ce groupe et beaucoup d’autres.

Derrière un sourire malicieux et un esprit espiègle, Catherine Euvrard, chasseuse de têtes dont la réputation n’est plus à faire, ne manque jamais d'humour et de créativité dans sa quête des talents d'exception
Derrière un sourire malicieux et un esprit espiègle, Catherine Euvrard, chasseuse de têtes dont la réputation n’est plus à faire, ne manque jamais d’humour et de créativité dans sa quête des talents d’exception

P.-A. T. : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans la recherche de la "perle rare" dans le monde du recrutement ?

C. E. : La difficulté réside dans le fait que les vrais talents ne cherchent pas, il faut les chasser là où ils sont, parfois bien en poste et satisfaits. LinkedIn et les bases de données, à eux seuls, ne suffisent pas. C’est un métier d’investigation, presque de police secrète et il faut avoir une bonne intuition pour trouver la personne idéale pour chaque entreprise. Par ailleurs, réussir à faire changer d’avis les dirigeants sur le choix d’un candidat idéal est un challenge qui m’amuse.

P.-A. T. : Quels sont vos plus beaux et vos pires souvenirs dans le recrutement ?

C. E. : Mon plus beau souvenir reste sans doute ma première mission pour LVMH, où j’ai réussi à recruter un dirigeant clé "un peu outsider" qui a brillamment réussi dans ce groupe. En revanche, mon pire souvenir est probablement une mission où, après avoir recruté un dirigeant, ce dernier n’est pas venu ayant fait jouer le dumping et la surenchère par rapport à une autre société.

P.-A. T. : Vous avez un look qui sort de l’ordinaire, osant des couleurs et des accessoires originaux ; vous qui collectionnez les chapeaux. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent avoir un style unique ?

C. E. : Jouer avec les couleurs et les accessoires est pour moi une véritable source de plaisir et d’expression. Mon conseil, en tant que passionnée de style, est simple : osez être authentique. Assumez pleinement vos choix vestimentaires et n’ayez pas peur de sortir des sentiers battus. Le style n’est pas une simple question de tendance, c’est une manière de refléter qui vous êtes, au fond. Pour moi, les chapeaux ne sont pas qu’un accessoire, ils sont un élément signature. Le secret, c’est de se sentir bien dans ce que l’on porte. Lorsque vous êtes en harmonie avec vos vêtements, cela se voit à l’extérieur et cette confiance devient votre meilleur atout. Ma devise : "le ridicule n’a jamais tué personne, si on l’assume".

Toujours fidèle à son style singulier, Catherine Euvrard nous prouve que l’élégance se conjugue au quotidien, avec cette touche unique qui la distingue dans l'univers du recrutement
Toujours fidèle à son style singulier, Catherine Euvrard nous prouve que l’élégance se conjugue au quotidien, avec cette touche unique qui la distingue dans l’univers du recrutement

P.-A. T. : Comment voyez-vous l’évolution de votre métier à l’heure de LinkedIn et de l’omniprésence du digital ?

C. E. : LinkedIn et le digital ont certes facilité l’accès aux informations professionnelles, mais je pense que cela ne remplacera jamais le contact humain, l’intuition et la compréhension de la culture d’entreprise d’une société. C’est au cœur de notre métier. Il faut savoir creuser la personnalité, la mettre en danger et voir comment elle réagit. Le digital est un outil, mais pas une fin en soi. Il est difficile de convaincre, via internet.

P.-A. T. : Vous avez également une vie familiale riche, avec des enfants aux carrières variées. Comment avez-vous réussi à concilier votre vie personnelle et professionnelle ?

C. E. : Ce n’est pas toujours facile, mais j’ai la chance d’avoir des enfants qui sont très autonomes et qui ont suivi des chemins divers, de la finance à la réalisation de films et au digital. J’ai toujours essayé de garder un bon équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, même si, comme pour tout le monde, il y a eu des moments plus difficiles à gérer. Mais la famille reste une priorité pour moi.

P.-A. T. : Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?

C. E. : Garder un optimisme démesuré qui permet de passer la vague par gros temps, et surtout avoir beaucoup d’humour dans les affaires.

Livres de Catherine Euvrard

Entre ciel et terre, Catherine Euvrard déploie ses ailes d'inspiration et d'élégance, incarnant l'ange gardien des grandes carrières avec une approche toujours audacieuse et inspirante
Entre ciel et terre, Catherine Euvrard déploie ses ailes d’inspiration et d’élégance, incarnant l’ange gardien des grandes carrières avec une approche toujours audacieuse et inspirante

Procurez-vous les livres de Catherine Euvrard en cliquant sur les liens ci-dessous :

En avoir ou non…, JC Lattès, 2004

On marche sur la tête !, Eyrolles, 2007

Méfiez-vous des femmes !, Eyrolles, 2012

Mon Fouquet’s, Eyrolles, 2015

Faites n’importe quoi, mais faites-le bien !, KIWI, 2021