Redécouvrez la joaillerie avec Anne-Catherine Dufour-Genneson

Anne-Catherine Dufour-Genneson à l'extérieur

Rencontre avec Anne-Catherine Dufour-Genneson, talentueuse joaillière aux créations extrêmement raffinées. Elle a exceptionnellement ouvert les portes de son atelier à Pierre-Antoine Tsady. Elle dévoile les secrets de son métier original et mal connu du grand public, de son parcours académique à ses voyages au bout du monde. Découvrez comment son amour pour les pierres, sa passion et son respect des traditions se conjuguent pour créer des bijoux singuliers et intemporels.

Interview

Pierre-Antoine Tsady : Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes devenue joaillière et ce qui vous a initialement attirée vers ce métier ?

Anne-Catherine Dufour-Genneson : Archéologue et historienne de l’art, j’ai commencé par m’intéresser à l’origine des grands mouvements créatifs et à la genèse des savoir-faire dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Pour moi les deux sujets sont indissociables, car ils s’enrichissent mutuellement. D’où viennent les idées ? Comment nous sont-elles parvenues ? Comment ont évolué les techniques, et ce qu’elles nous apprennent sur ceux qui les ont développées, et sur nous.

L’Homme a toujours voulu maîtriser ces choses qui viennent des entrailles de la terre, mais nous rapprochent des étoiles. La lumière, la chaleur évoquent une forme de transcendance. Cet appel vers l’infiniment grand explique à mon sens à la fois la fascination et l’importance de l’apparat : symbole des rois, des dieux et des prêtres.

Le bijou est à la fois parfaitement superflu et absolument fondamental, indispensable dans toutes les sociétés humaines. On retrouve ce besoin de sublimer les mortels par les bijoux dans toutes les civilisations, et à toutes les époques. Aujourd’hui encore, on ressent ce besoin d’élévation : dans les médailles gravées, les épées des académiciens, ou les parures des stars de cinéma, mais aussi aux doigts des fiancées, au cou des petits baptisés, ou dans un bracelet transmis par une grand-mère, porteur de l’histoire de la famille. Le bijou de qualité est également un élément du patrimoine familial.

P.-A. T. : Pouvez-vous partager un moment décisif de votre carrière qui a renforcé votre passion pour ce métier ?

A.-C. D.-G. : J’ai eu la chance, après le confort de la Sorbonne et de l’École du Louvre, de confronter ce cadre de connaissances à d’autres pays et cultures, en particulier l’Afrique de l’Ouest, l’Amérique Centrale et l’Asie où j’ai travaillé et étudié de longues années. La variété et la diversité des techniques et des styles continuent d’inspirer et d’enrichir mon travail grâce à leur maîtrise et influence. Mais j’y ai aussi découvert de nombreux points communs : dans toutes les civilisations et à toutes les époques, nous retrouvons la même fascination pour la parure. Nous portons tous des bijoux, nous sommes tous émerveillés par les cristaux et le métal, et nous avons tous voulu maîtriser le feu et la matière.

En rentrant en France, j’ai souhaité consolider ces années d’expérience en me concentrant sur le bijou. Pour être capable de maîtriser tous les aspects du métier, j’ai complété ma formation : apprentissage dans les ateliers de fabrication et je suis devenue gemmologue.

Sur les pas de Kessel au mythique marché de Mogok en Birmanie, 2016
Sur les pas de Kessel au mythique marché de Mogok en Birmanie, 2016

P.-A. T. : Comment assurez-vous que chaque pièce reste unique et personnelle pour vos clients ?

A.-C. D.-G. : Je commence toujours, que ce soit pour une expertise, une transformation ou une création, par une longue conversation. Je veux comprendre mon client, ce qui l’anime, ce qu’il souhaite, et cerner sa personnalité. Toute opération autour du bijou se fait en général en lien avec un événement de vie important — en général joyeux, mais pas toujours — et il est primordial d’honorer ce moment, et de permettre au client qui me fait confiance de se sentir respecté, compris et entendu.

P.-A. T. : Comment travaillez-vous pour rendre la joaillerie accessible à un public plus large, au-delà des clichés élitistes souvent associés au secteur ?

A.-C. D.-G. : L’élégance n’est pas une question d’argent, mais une question d’éducation et de style.

La nature nous offre un choix infini de pierres et de ressources pour toutes les bourses et toutes les étapes de la vie. C’est à moi de les transformer pour concrétiser des rêves. J’accorde la même considération et je consacre autant d’énergie à tous mes clients. J’ai des souvenirs très émus de jeunes fiancés au budget “étudiant” émerveillés par leur bague de fiançailles, ou par une cliente qui s’offrait un bijou avec son premier salaire.

Je reprends les propos du grand chef Thierry Marx : "Le luxe n’est pas une insulte à la misère, mais une insulte à la médiocrité. Cette exigence doit être partagée par un grand nombre de personnes. Il faut les aider à revenir vers le luxe pour monter en compétence et dire que tout le monde a sa place dans cet univers".

L’accessoire qui ne me quitte jamais : ma loupe
L’accessoire qui ne me quitte jamais : ma loupe

P.-A. T. : Comment vos créations défient-elles les stéréotypes de genre traditionnellement associés à la joaillerie ?

A.-C. D.-G. : C’est une question que je ne me suis jamais posée, car je ne réalise que des pièces uniques qui reflètent les désirs, la personnalité et l’identité de mes clients sans aucune autre considération.

P.-A. T. : Comment définiriez-vous le concept de quiet luxury dans le cadre de votre travail et pourquoi est-ce important pour vous ?

[Le quiet luxury — luxe discret en français — véhicule un luxe et des produits discrets, souvent sans logo. On ne voit pas nécessairement que ce sont des produits de luxe, ndlr.]

A.-C. D.-G. : J’ai découvert que je faisais du quiet luxury depuis plus de 35 ans ! Pour mes clients, cela témoigne d’une exigence de qualité, d’originalité et d’intemporalité : vouloir se démarquer sans la marque. Pour moi, cela signifie d’être particulièrement attentive à chaque étape de création, à chaque détail du processus de fabrication.

Une création originale de la maison, alliant jade ancien et esthétique contemporaine
Une création originale de la maison, alliant jade ancien et esthétique contemporaine

J’ai pu, depuis mes débuts, créer un réseau de prestataires d’excellence. Mes dessinateurs, mes lapidaires, mes fabricants, mes enfileuses de perles… sont des artisans d’art indépendants et d’exception, exclusivement installés en France, et qui travaillent dans le respect des techniques de haute joaillerie à partir des matières les plus nobles. C’est parfois un choix exigeant, quand il serait si facile de faire un peu moins bien et beaucoup moins cher en délocalisant, mais j’en suis très fière. À en juger par la fidélité de mes clients, c’était un très bon choix ; je fais maintenant des bagues de fiançailles pour les enfants de mes premiers fiancés !

Au fil des années, mes méthodes et mon exigence ont attiré à moi une clientèle au goût certain, cherchant l’originalité et la qualité — gage d’intemporalité — plutôt que la mode. Ainsi, j’ai la chance d’avoir une clientèle variée, cultivée, en recherche d’excellence et de savoir-faire plutôt que de reconnaissance.

P.-A. T. : Quelle a été la réalisation dont vous êtes la plus fière dans votre carrière, et comment cela a-t-il influencé votre vision de la joaillerie ?

A.-C. D.-G. : Avoir sauvé avec mes équipes un bijou de famille très ancien et très abîmé, qui avait été considéré comme impossible à restaurer. Nous avons pu lui redonner vie pour les générations à venir. À l’inverse des tendances, notre métier est un métier de transmission et de temps long.

P.-A. T. : Pouvez-vous partager une expérience particulière où la création d’un bijou vous a apporté une satisfaction personnelle, indépendamment de sa valeur marchande ?

A.-C. D.-G. : J’ai restauré, pour une dame très âgée, la gourmette de son fils disparu pour qu’elle puisse la porter. Je n’oublierai jamais son visage quand je l’ai glissée à son poignet… elle portait son fils avec elle. J’ai été heureuse de la lui offrir.

P.-A. T. : Quel est le plus d’une joaillière indépendante ?

A.-C. D.-G. : Je ne suis pas contrainte par les diktats de la mode : je peux aussi bien redonner du caractère à une bague ancienne avec une pierre décalée que créer une pièce unique qui ne ressemble à aucune autre avec un choix de formes et de couleurs presque infini.

P.-A. T. : Quelle est votre pierre préférée ?

A.-C. D.-G. : C’est une excellente question pour une gemmologue. Évidemment les pierres précieuses sont une source d’émerveillement constant, mais les pierres fines — tourmaline, spinelle, jade, etc. — ont longtemps souffert de la terminologie "pierres semi-précieuses" alors que certaines par leur beauté et leur rareté peuvent se valoriser plus que le diamant. En fait, je les aime toutes, la vie que j’observe à l’intérieur grâce à mes instruments d’analyse me passionne, j’y retrouve l’histoire de la terre.

Une analyse microscopique révèle les secrets d’une pierre d’exception
Une analyse microscopique révèle les secrets d’une pierre d’exception

P.-A. T. : Comment gérez-vous les questions d’éthique et de responsabilité, comme la provenance des pierres et l’utilisation de diamants synthétiques, dans votre création de bijoux ?

A.-C. D.-G. : Je m’attache depuis toujours à livrer à mes clients des pièces intemporelles et de la plus haute qualité. On ne peut faire cela qu’avec des matières premières de qualité, travaillées par des artisans — et non des usines — respectés et respectueux.

Toute la profession et la société savante géologique et gemmologique s’est intéressée à la question des pierres de synthèses, qui est loin d’être nouvelle.

L’histoire nous montre qu’à chaque révolution de fabrication de ce type de pierres, ce sont les acheteurs qui ont souffert, car ces pierres n’ont pas de valeur de revente, ce qui va à l’encontre de mon critère d’intemporalité. Par ailleurs, leur fabrication est terriblement énergivore et au lourd bilan carbone.

Les matières avec lesquelles nous travaillons sont sourcées avec le plus grand soin, dans le respect des hommes et de la planète, à la fois à travers mon réseau de partenaires triés sur le volet et surtout grâce à mes fréquents déplacements sur les mines du monde entier. Je travaille également beaucoup avec des pierres anciennes, que j’acquiers moi-même ou que mes clients me proposent.

P.-A. T. : Quels sont vos projets ou ambitions pour l’avenir de votre atelier ?

A.-C. D.-G. : J’espère aider à pérenniser et à transmettre les savoir-faire des métiers d’art qui composent la joaillerie en faisant monter la nouvelle génération de talents.

Le bijou est le trait d’union entre le passé et le futur : il porte en lui le souvenir de ses propriétaires, et la promesse de perpétuer la tradition familiale pour ceux qui le porteront. Quand j’expertise un bijou dans le cadre d’une succession, ou que je dessine une bague de fiançailles, mes clients me confient une partie de leur histoire qu’ils cherchent à préserver. Bien plus qu’un symbole de richesse ou de réussite, le bijou tel l’autel chez les anciens représente les victoires et la transmission.

La technologie au service de l’expert
La technologie au service de l’expert

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