Quelques semaines après une émission ensemble à la radio, Alain Némarq m’a reçu chaleureusement dans son élégant bureau à Paris. Les murs sont ornés de tableaux originaux, parmi lesquels on peut admirer un portrait du couple mythique Serge Gainsbourg et Jane Birkin. En tant que PDG et directeur artistique de Mauboussin, Alain Némarq combine un parcours académique en gestion d’entreprise et une expérience d’enseignant. Érudit et passionné par l’artisanat, il a développé l’intelligence de la main en apprenant la joaillerie. Échange avec un dirigeant aussi créatif que visionnaire.
Interview
Pierre-Antoine Tsady : Quand vous avez pris les rênes de Mauboussin en 2002, quelles ont été vos premières impressions et quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
Alain Némarq : Lorsque j’ai commencé à diriger Mauboussin, j’ai immédiatement été frappé par l’élégance et la richesse historique de la Maison. Ses archives impressionnantes témoignaient d’un héritage précieux, mais quelque peu endormi, que j’étais déterminé à revitaliser. Mon objectif était double : premièrement, insuffler une nouvelle vie à cette belle endormie en la modernisant sans qu’elle perde son âme. Deuxièmement, je voulais féminiser l’achat de bijoux de Haute Joaillerie, en rendant cette expérience plus inclusive et accessible pour les femmes, leur permettant de s’offrir des pièces de luxe en toute autonomie.
P.-A. T. : Comment combinez-vous créativité et stratégie commerciale en tant que PDG et directeur artistique de Mauboussin ?
A. N. : Chez Mauboussin, la créativité n’est pas simplement un aspect de notre travail ; elle en est le cœur. En tant que grande Maison de tradition créative, nous croyons que la puissance de la création est la base de la génération de valeur ajoutée. La stratégie commerciale est donc étroitement liée à l’innovation artistique, chaque collection étant conçue pour éveiller l’imaginaire de notre clientèle tout en renforçant la position de la marque sur le marché. Libérons la créativité, le profit est au coin de la rue.
P.-A. T. : Pour démocratiser le luxe, quelle stratégie avez-vous mise en œuvre et quelles réalités inattendues avez-vous découvertes sur le marché ?
A. N. : Mon ambition n’était pas de démocratiser le luxe. J’ai souhaité rendre le bijou de Haute Joaillerie accessible à travers une triple approche : l’accessibilité-produit, l’accessibilité-géographique et l’accessibilité-prix.
P.-A. T. : Comment le web a-t-il aidé à promouvoir Mauboussin avec l’évolution numérique et quels ont été les éléments essentiels de votre stratégie en ligne ?
A. N. : C’est évident que l’avènement des smartphones et le développement du on-line [commerce en ligne, ndlr.] ont transformé notre manière de vendre nos produits. D’une part, ils nous ont permis de mieux présenter les visuels et les vidéos de nos bijoux, de nos montres, et plus généralement de nos nouveautés. D’autre part, nous pouvons désormais nous adresser à des prospects – qui ne sont pas encore clients de Mauboussin – pour les amener vers la marque.
P.-A. T. : Pour vous étendre à l’international, comment ajustez-vous votre stratégie pour conquérir des marchés divers tout en restant fidèle à l’identité de Mauboussin ?
A. N. : À l’international, j’applique exactement la même stratégie que celle que j’ai en France. Néanmoins, j’adapte les méthodes aux spécificités locales sans compromettre l’identité de Mauboussin. Cette approche nous permet de maintenir une cohérence dans notre image de marque tout en respectant les préférences des marchés étrangers.
P.-A. T. : Comment la marque Mauboussin, avec ses nombreux produits, se distingue-t-elle auprès d’un consommateur si sollicité ?
A. N. : Mauboussin se distingue par la justesse et la finesse de ses créations. Nous mettons également un point d’honneur au respect absolu des rapports qualité-prix. Mais le plus important reste d’avoir une attitude toujours tournée vers le client. Nous sommes constamment à leur écoute, nous efforçant de répondre à leurs attentes.
P.-A. T. : Selon Challenges en 2016, 85 % des bijoux Mauboussin étaient fabriqués en Europe, dont 45 % en France. Comment vos pratiques de fabrication ont-elles évolué depuis cette période pré et post pandémie ?
A. N. : Nos pratiques de fabrication ont maintenu leur orientation géographique depuis 2016, avec la majorité de notre production basée en Europe et une grande partie en France. Cette continuité garantit la qualité et le respect des traditions artisanales qui sont au cœur de notre marque.
P.-A. T. : Comment votre formation en gestion et votre expérience dans d’autres maisons ont influencé votre manière de diriger Mauboussin ?
A. N. : Vous savez, l’expérience n’est qu’une lanterne qui éclaire le passé. J’ai simplement appris au cours de toutes ces années à saisir l’air du temps. Celui qui réussit est celui qui réussit à saisir le temps présent.
P.-A. T. : Le tennis que vous pratiquez a-t-il renforcé votre approche du leadership et votre philosophie d’entreprise chez Mauboussin ?
A. N. : Le tennis m’a enseigné qu’il n’y a de succès possible que pour celui qui bouge, reste prêt à se déplacer et à s’adapter rapidement. Cet enseignement est aussi valable en affaires et nous le pratiquons chez Mauboussin. En guise en philosophie, je dirais qu’il faut que tout change pour que rien ne change.
P.-A. T. : Dans un monde où les questions sociétales sont de plus en plus essentialisées, quelles valeurs aimeriez-vous idéalement que Mauboussin reflète ?
A. N. : J’aime que Mauboussin incarne la générosité, l’élégance, la bienveillance et la liberté. Ces quatre valeurs sont fondamentales pour nous.
P.-A. T. : À l’instar de certains concurrents, verra-t-on bientôt la marque Mauboussin s’étendre à la décoration d’intérieur, aux cosmétiques ou au prêt-à-porter ?
A. N. : La marque Mauboussin exprime avant tout un art de vivre, et en tant que tel, rien ne lui est interdit. Que ce soit la décoration d’intérieur, les cosmétiques ou le prêt-à-porter, il n’y a aucune limite aux domaines que nous pourrions explorer.
P.-A. T. : Que peut-on souhaiter à Mauboussin avant 2030 et quels objectifs souhaitez-vous atteindre pour la marque ?
A. N. : D’ici 2030, j’espère que de plus en plus de femmes se sentiront confortables et incarnées en Mauboussin.