
Dans une chambre d’ado des Yvelines, Adrien, 16 ans, tente d’accéder à PornHub. Rien. Écran noir. Un message : "Vérifiez votre âge via FranceConnect+." Dans le même temps, un technicien d’Orange applique une injonction de l’Arcom en bloquant l’adresse IP de XVideos. De YouPorn à Jacquie et Michel, le scénario se répète. Ce filtrage s’inscrit dans une croisade numérique portée par l’État au nom de la protection des mineurs. Mais en toile de fond, c’est une nouvelle forme de surveillance algorithmique qui se dessine.

Protéger les mineurs… ou filtrer les adultes ?
Depuis la loi de juillet 2020, durcie par la récente loi SREN (Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique, 2024), les plateformes pornographiques doivent instaurer un système strict de vérification d’âge. L’Arcom a désormais le pouvoir de bloquer un site comme Brazzers ou BangBros sans décision judiciaire. Officiellement, il s’agit d’interdire l’accès aux 2,3 millions de mineurs qui consultent chaque mois ces contenus.
Pour la sénatrice Marie Mercier (Les Républicains), "chaque barrière est un progrès". Mais derrière cette rhétorique, le débat sur les libertés numériques fondamentales est escamoté. Empêcher l’accès à OnlyFans, par exemple, revient-il à protéger ou à censurer ?
Des jeunes plus rusés que le système
Le système de filtrage repose sur le blocage IP, le filtrage DNS et le déréférencement. En apparence, il est dissuasif. En réalité, il est contourné. Il suffit d’un VPN gratuit comme ProtonVPN, Windscribe ou TunnelBear pour que le tour soit joué. En quelques clics, l’utilisateur se connecte via une adresse IP étrangère et accède de nouveau à Abella Danger, Manuel Ferrara, ou Angela White sans encombre.

Ironie du sort : ce filtrage éducatif initie les adolescents aux outils d’anonymisation numérique. Le 4 juin 2025, jour du blocage massif de RedTube, James Deen et Mia Malkova étaient toujours accessibles pour ceux qui avaient anticipé. Et Google enregistrait une flambée des recherches : “VPN gratuit”.
Le vernis du double anonymat
L’Arcom préconise un système de "double anonymat", via un tiers vérificateur d’âge indépendant. Ce modèle, encore expérimental, soulève des critiques. La Quadrature du Net y voit un tournant technologique vers le crédit moral numérique, une surveillance douce mais omniprésente.

Pour Antonio Casilli, sociologue du numérique, le dispositif préfigure une société de notation comportementale. Demain, l’État saura peut-être que vous avez regardé Lana Rhoades un mercredi à 21 h 47, et que vous avez mis la vidéo en pause à 22 h 13. Ces métadonnées, croisées à FranceConnect+, ouvrent la voie à un profilage moral automatisé.
Une morale numérique floue et instable
Mais qui décide de ce qu’il est “bon” de regarder ? Le flou juridique sur les critères de blocage pose problème. L’État républicain ? Des groupes religieux ? Des lobbies féministes ? Pour Annick Billon, co-rapporteure d’un rapport sénatorial sur l’industrie du X, "il faut mettre fin à l’impunité des plateformes". Pourtant, X (anciennement Twitter) diffuse encore des vidéos pornographiques sans vérification d’âge, avec des millions de vues.
Dans le camp féministe, la fracture est réelle. Certaines souhaitent affaiblir le porno capitaliste, vecteur de domination masculine. D’autres, comme Pauline Arrighi, dénoncent une pudeur patriarcale déguisée, une volonté d’infantiliser les citoyens au lieu de miser sur l’éducation sexuelle et le consentement.
L’adolescence, l’écran et la liberté
Le blocage des sites X révèle une tension plus profonde : qui contrôle l’espace numérique ? Le Minitel rose a laissé place à une jungle digitale. Jordi El Niño Polla n’est plus seulement une star du X, il est aussi un point d’entrée vers un débat sur la liberté individuelle. En filtrant, l’État prétend éduquer. Mais n’apprend-on pas mieux en confrontant que par la censure ?

Le paradoxe est cruel : des jeunes de 15 ans contournent un filtrage étatique. Pendant ce temps, l’internaute moyen endure un encadrement de plus en plus rigide. L’espace numérique, censé être un lieu d’émancipation, devient un théâtre d’une bataille idéologique. Chacun — État, parents, activistes, industries — cherche à imposer sa norme.
Vers un crédit social à la française ?
Ce qui se joue ici dépasse la seule question de l’accès à Ava Addams ou Danny D.. Ce sont les fondements de la citoyenneté numérique qui sont en jeu. FranceConnect+ pourrait demain devenir un passeport numérique unique, lié à vos achats, à vos consultations médicales… ou à vos habitudes de consommation de contenu pour adulte.
Jusqu’où ira-t-on ? Vers une note de bonne conduite numérique conditionnant l’accès aux services publics ? Vers une suspension automatique de compte après usage excessif de sites classés “érotiques” ? La protection des mineurs est un enjeu majeur. Mais elle ne doit pas justifier une ingénierie sociale sans garde-fous.
Entre censure et émancipation, une frontière fragile
Peut-on éduquer sans censurer ? Protéger sans infantiliser ? Le blocage des sites pornographiques n’est pas une simple mesure technique, c’est un acte politique aux conséquences systémiques. Il pose une question vertigineuse : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour préserver nos enfants… sans renoncer à notre liberté d’adultes ?