
La disparition puis la découverte du corps sans vie d’Agathe Hilairet, 28 ans, dans un sous-bois de la Vienne soulèvent de vives interrogations. Ainsi, au-delà du drame individuel, la question de la sécurité des femmes dans l’espace public ressurgit avec force.
Partie pour un simple jogging, Agathe n’est jamais revenue. Pourtant, elle connaissait bien les sentiers boisés de Vivonne, qu’elle arpentait régulièrement. Cependant, même dans des lieux familiers, les risques demeurent omniprésents pour les femmes. Selon le ministère de l’Intérieur, près de 80 % des femmes déclarent avoir subi harcèlement ou agression dans des lieux publics. Cette statistique effrayante met en lumière une réalité quotidienne trop souvent banalisée.

L’ampleur du phénomène en France
Les dernières données nationales, notamment celles du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), confirment une insécurité persistante. De plus, en 2023, le HCE rappelait que 58 % des femmes modifient leurs trajets pour éviter certains espaces à risque. Ce phénomène, connu sous le nom d’"autocontrôle spatial", réduit considérablement la liberté de mouvement et d’expression des femmes.
Héloïse Morel, sociologue au CNRS, souligne : "La rue n’est pas neutre. Elle est traversée par des rapports de domination." Ainsi, dès leur plus jeune âge, les femmes intègrent des stratégies d’évitement, renonçant à certaines libertés fondamentales. Dans les faits, cet apprentissage contraint façonne leur rapport à l’espace public, limitant leurs choix et renforçant des inégalités invisibles mais puissantes.
L’insécurité ressentie n’est pas uniforme. Elle varie selon les territoires, les âges et les contextes socio-économiques. Cependant, une constante demeure : les femmes doivent souvent s’adapter, se cacher ou renoncer.
Des politiques publiques encore insuffisantes
Depuis 2018, plusieurs plans gouvernementaux tentent d’améliorer la sécurité des femmes dans l’espace public. Ainsi, la loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a instauré des amendes pour harcèlement de rue, une innovation saluée mais dont l’application reste inégale.
Cependant, les spécialistes pointent des failles structurelles. Élodie Lemoine, criminologue et membre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, indique : "Les campagnes de sensibilisation sont nécessaires, mais elles ne remplacent pas une réelle présence humaine sur le terrain." De plus, elle souligne que l’efficacité de telles mesures dépend d’une volonté politique continue. En outre, une articulation forte entre prévention, répression et éducation est nécessaire.
Dans certaines villes pilotes, des expérimentations voient le jour : boutons d’alerte dans les transports, éclairages renforcés, unités mobiles de police dédiées. Cependant, ces initiatives restent dispersées, sans stratégie nationale cohérente.
La parole des associations de terrain
De nombreuses associations, comme Osez le Féminisme ou Nous Toutes, tirent la sonnette d’alarme. Ainsi, elles critiquent une approche encore trop focalisée sur la responsabilisation des victimes. Elles préconisent plutôt de se concentrer sur la prévention des violences. Amélie Dubois, porte-parole de Nous Toutes, déplore qu’on enseigne aux femmes à éviter les dangers. Cependant, elle souligne qu’on n’apprend pas aux hommes à ne pas être des dangers.
Dans leur dernier rapport, ces organisations réclament un aménagement urbain féministe. Elles proposent des mesures concrètes pour améliorer la sécurité publique. Par exemple, elles suggèrent de renforcer l’éclairage public et garantir la sécurité dans les transports nocturnes. En outre, elles souhaitent développer des applications de signalement d’incidents en temps réel. De plus, elles insistent sur l’inclusion de la perspective des femmes dans tous les projets d’urbanisme.
Certaines communes, comme Grenoble ou Paris, commencent timidement à intégrer ces recommandations, en concertation avec les habitantes. Cependant, le changement culturel nécessaire reste immense.
Une dimension genrée de la sécurité
La mort d’Agathe Hilairet ravive une conscience collective : la sécurité n’est pas vécue de la même manière selon le genre. De plus, comme le rappelle Éric Fassin, sociologue à Paris VIII, "l’espace public est souvent pensé par et pour les hommes". En conséquence, le sentiment d’insécurité n’est pas une simple impression subjective, mais une expérience sociale profondément ancrée.
Historiquement, la ville a été conçue autour de modèles masculins, ignorant les besoins spécifiques des autres catégories de population. Aujourd’hui encore, l’absence de toilettes publiques sûres et de refuges d’urgence témoigne de cette inégalité structurelle. De plus, le manque d’aménagements pensés pour les femmes souligne également ce problème persistant.
La "ville genrée" n’est pas une notion théorique. Elle a des effets concrets sur les parcours, les carrières et l’autonomie des femmes.
Vers une société plus sûre ?
Face aux drames comme celui d’Agathe, la réponse ne peut être purement sécuritaire. Elle implique une remise en cause des normes sociales et une éducation à l’égalité dès le plus jeune âge. Par ailleurs, elle nécessite aussi une politique urbaine inclusive pour garantir l’égalité.
Changer les mentalités est un processus lent, mais nécessaire. Il suppose de déconstruire les stéréotypes de genre et de promouvoir le respect mutuel entre toutes les personnes. De plus, il encourage la mixité dans tous les espaces pour favoriser l’inclusion. De plus, il impose de penser l’espace public comme un lieu partagé et inclusif pour tous. Ainsi, chacun, quelle que soit son identité, peut y circuler librement et en sécurité.
Le chemin est encore long. Cependant, chaque événement tragique rappelle l’urgence de faire évoluer les politiques et les pratiques sociales. Agathe Hilairet, passionnée de course à pied, avait toute la vie devant elle. Sa disparition brutale nous oblige à poser un regard lucide sur l’état de notre société. De plus, cela souligne l’urgence de repenser la ville et ses usages.