Les secrets du long règne de Delphine Ernotte sur France Télévisions

Delphine Ernotte Cunci, figure centrale du paysage audiovisuel, à la tête de France Télévisions depuis 2015

Delphine Ernotte Cunci, née en 1966 à Bayonne, incarne une trajectoire singulière dans le paysage médiatique français. Issue d’une famille de médecins basques, elle entre à l’École centrale Paris et en sort diplômée en 1989. Ainsi débute un parcours à la fois technique et stratégique, entamé chez France Télécom, futur Orange.

Durant vingt-six ans, elle gravit les échelons d’un univers où les femmes demeurent rares. Elle progresse de l’analyse financière à la direction commerciale. Ensuite, elle devient responsable d’Orange France sous Stéphane Richard. Elle y affronte les secousses du plan "Next", dont les conséquences sociales laissent une empreinte profonde. Elle parle alors d’un "mélange de culpabilité et de déni".

Une nomination controversée à la tête de France Télévisions

En avril 2015, le CSA la nomme à la présidence de France Télévisions, devenant la première femme à ce poste. Cependant, cette nomination suscite de vives critiques. Plusieurs syndicats contestent la procédure, évoquant un climat de connivence. Des soupçons de plagiat, d’appuis politiques et d’irrégularités planent, sans que la justice ne retienne de charges.

Une femme de dossiers, mais aussi de scène. Posée, le regard franc, Delphine Ernotte Cunci cultive une autorité calme. Peu savent qu’elle a déjà mis en scène une pièce écrite par son mari, le comédien Marc Ernotte. Elle puise dans le théâtre une sensibilité qu’elle transpose dans sa direction, entre construction rationnelle et intuition artistique.
Une femme de dossiers, mais aussi de scène. Posée, le regard franc, Delphine Ernotte Cunci cultive une autorité calme. Peu savent qu’elle a déjà mis en scène une pièce écrite par son mari, le comédien Marc Ernotte. Elle puise dans le théâtre une sensibilité qu’elle transpose dans sa direction, entre construction rationnelle et intuition artistique.

Malgré les oppositions, elle prend ses fonctions en août 2015. Dès le début, elle affirme une ligne claire : moderniser le service public et rétablir la confiance. Le remplacement de David Pujadas, la création de franceinfo ou la fusion des réseaux régionaux dans Ici illustrent cette volonté de rupture.

Une stratégie numérique volontariste

Son ambition assumée est de transformer france.tv en carrefour numérique. Elle restructure les équipes autour de deux pôles : premium et créatif, afin d’adapter les contenus aux usages contemporains. Cependant, elle reconnaît que la bascule vers le numérique reste inachevée.

Les contraintes budgétaires la poussent à rationaliser. Elle prône une production moins coûteuse et renégocie les conventions collectives. De plus, son deuxième mandat, débuté en 2020, met l’accent sur la diversité et l’ancrage européen. Elle est élue présidente de l’Union européenne de radio-télévision, une première pour une femme.

Une dirigeante clivante

Dès 2015, elle déclare : "On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans". La phrase provoque un tollé. Elle est accusée de discrimination, tandis que certains présentateurs historiques, comme Julien Lepers ou Patrick Sébastien, quittent l’antenne.

Son engagement féministe est revendiqué. Elle a mis en place le réseau Innov’Elles chez Orange, puis appliqué une politique volontariste de parité à l’antenne chez France Télévisions. La diversité devient même un critère de performance pour certains cadres, déclenchant d’autres polémiques, notamment autour du financement public.

Une stratège résiliente et connectée

Déterminée face aux tempêtes, Ernotte porte le symbole d’une résilience stratégique. Après les motions de défiance et les critiques éditoriales, elle poursuit sa mue de l’audiovisuel public. Une posture droite, à l’image de sa vision : verticale, discutée, mais constante
Déterminée face aux tempêtes, Ernotte porte le symbole d’une résilience stratégique. Après les motions de défiance et les critiques éditoriales, elle poursuit sa mue de l’audiovisuel public. Une posture droite, à l’image de sa vision : verticale, discutée, mais constante

Si Delphine Ernotte Cunci se présente comme "une patronne d’entreprise et rien d’autre", son réseau est dense. Elle est présidente de CentraleSupélec, siège au Centquatre et à l’École nationale supérieure de la photographie. Elle est aussi membre du club Le Siècle.

Sa sœur, Marie-Christine Lemardeley, est adjointe à la mairie de Paris. Son mari, le comédien Marc Ernotte, l’initie à la création littéraire. Elle mettra en scène Sceptick, pièce de son époux. Elle affiche peu sa vie privée, mais revendique son héritage populaire, entre cheminots et médecins.

Une transformation, mais à quel prix ?

Sous sa direction, France Télévisions a créé Okoo, Lumni et réformé ses réseaux. Mais le projet de holding public, associant Radio France et l’INA, suscite grèves et méfiance. Les syndicats y voient une perte d’identité, accentuée par une réduction nette de 1 000 emplois en dix ans.

Les critiques persistent, sur les audiences, les choix éditoriaux ou le style de gouvernance. En 2017, une motion de défiance est votée à 84 %. Toutefois, elle poursuit sa mue, au prix d’une autorité affirmée.

Quinze ans pour redéfinir le service public

En mai 2025, Delphine Ernotte Cunci obtient un troisième mandat. Un fait inédit dans l’histoire de France Télévisions. Elle pourrait, à terme, présider la future holding de l’audiovisuel public.

Cette longévité témoigne d’une résilience hors norme, mais interroge sur la concentration du pouvoir. Dans un paysage médiatique bouleversé, elle incarne à la fois la continuité et la rupture. Le visage d’une mutation profonde, même si tous ne s’y reconnaissent pas.