Crise politique en France : la démission de Sébastien Lecornu ouvre une zone grise

Démission acceptée par Emmanuel Macron. Lecornu quitte Matignon moins d’un mois après sa nomination. Le pays entre en zone grise. Dissolution ou minorité ?

Démission du Premier ministre Sébastien Lecornu le 6 octobre 2025 : un mois après sa nomination, l’exécutif entre en zone grise. Faute de majorité et renonçant au 49.3, l’exécutif se retrouve face à un Parlement éclaté. RN pousse à la dissolution de l’Assemblée nationale, LFI réclame l’examen de la destitution d’Emmanuel Macron (art. 68) ; CAC 40 en baisse de plus de 2 %, marchés en repli. Quelles issues et quels coûts pour l’État et le budget ?

Les faits du jour : une démission éclair à Matignon

Moins d’un mois après sa nomination, Sébastien Lecornu, Premier ministre depuis le 9 septembre 2025, a présenté sa démission ce lundi 6 octobre 2025, acceptée dans la foulée par Emmanuel Macron, président de la République. L’annonce intervient au lendemain d’une présentation partielle de l’équipe gouvernementale, très critiquée pour sa continuité. À Matignon, le chef du gouvernement sortant a expliqué l’« impossibilité de gouverner sans majorité et sans 49.3 ». Toutefois, il assume une ligne de renoncement au 49.3 qu’il présentait comme une « rupture ».

Au même moment, les oppositions se mettent en ordre de bataille : Rassemblement national (RN) pour une dissolution de l’Assemblée nationale et un « retour aux urnes » ; La France insoumise (LFI) pour l’examen immédiat de la destitution d’Emmanuel Macron (art. 68). Sur les marchés, la journée est chahutée : CAC 40 en baisse de plus de 2 %. De plus, les banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole) décrochent. Par ailleurs, l’euro est en baisse face au dollar.

À Matignon, 'on ne gouverne pas sans majorité'. RN réclame la dissolution, LFI l’examen de la destitution (art. 68). Trois portes pour l’Élysée. Le temps presse.
À Matignon, ‘on ne gouverne pas sans majorité’. RN réclame la dissolution, LFI l’examen de la destitution (art. 68). Trois portes pour l’Élysée. Le temps presse.

Pourquoi l’édifice a cédé si vite

Dans son récit, Sébastien Lecornu évoque un Parlement fragmenté, des refus de compromis et la décision de tourner la page du 49.3 comme autant de verrous. En clair, sans majorité et sans outil constitutionnel pour forcer l’adoption d’un budget, la machine s’est grippée. De plus, elle est confrontée à des partenaires qui « jouent perso ». Les signaux sont venus de partout : LR rechigne, RN veut retourner au suffrage, la gauche pousse à la destitution présidentielle.

Le timing a fait le reste : à peine la liste des ministres esquissée le 5 octobre, les frondes ont prospéré. Bruno Retailleau et François-Xavier Bellamy ont réévalué la participation de LR, dénonçant l’absence de « rupture ». À 10 H 45 environ, l’aveu d’échec tombe : « on ne peut pas être Premier ministre lorsque les conditions ne sont pas remplies », résume Lecornu.

La bataille des camps : dissolution, destitution, recomposition

RN presse Emmanuel Macron de rendre la parole au pays. Jordan Bardella et Marine Le Pen plaident la dissolution comme « seule issue sage » pour sortir de l’entre-deux. LFI, par la voix de Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, réclame l’examen immédiat de la destitution au titre de l’article 68 de la Constitution, estimant que le « chaos » vient de l’Élysée.

Au centre et à droite, LR entretient l’ambiguïté : participation conditionnelle, menace de retrait, et un discours sur la « responsabilité » budgétaire. Les écologistes et les socialistes demandent des garanties sur le climat social et les comptes publics.

Trois scénarios pour l’Élysée : nouveau Premier ministre, dissolution, démission

1) Nommer un nouveau Premier ministre. Hypothèse classique, mais le casting est contraint par l’arithmétique parlementaire. Un profil « technico-politique » pourrait tenter de bâtir une option d’un gouvernement minoritaire négocié, contraint par l’arithmétique parlementaire, en échange de concessions programmatiques (pouvoir d’achat, fiscalité, retraites, investissement vert). Risque majeur : usure accélérée et censure si les oppositions font front.

2) Dissoudre l’Assemblée nationale. L’article 12 fixe des délais stricts d’organisation du scrutin et de réunion de la nouvelle Assemblée. Politiquement, la dissolution redonnerait de l’air mais sans garantie de majorité. Risques : incertitude prolongée, coût financier du scrutin, volatilité des marchés.

3) Démission présidentielle. Techniquement possible mais très improbable : elle ouvrirait une présidentielle anticipée, avec une courte campagne, dans un pays fracturé. Coût politique incalculable, et aucun gain de stabilité assuré.

Ce que disent les textes : dissolution, destitution, 49.3

En cas de dissolution, l’article 12 de la Constitution organise la mécanique électorale (consultations, délais du scrutin, réunion de l’Assemblée). En cas de destitution, l’article 68 prévoit une procédure lourde : recevabilité, vote par les deux Assemblées à la majorité des deux tiers, puis Haute Cour. À ce niveau d’exigence, l’issue relève d’un très large consensus national, rarement réuni. Enfin, le fameux 49.3 que Lecornu a dit abandonner reste un outil encadré : il permet d’adopter un texte sans vote, sauf motion de censure adoptée.

Les marchés vacillent : CAC 40, banques et euro

La séance a pris un tour défensif : autour de 10 H 00 (CEST), le CAC 40 cède un peu plus de 2 %, tandis que les banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole) décrochent de 4 à 6 %. L’euro reflue d’environ 0,7 % contre le dollar. Les taux d’État français se tendent (spread avec l’Allemagne en hausse), traduisant un surcroît de prime de risque sur l’actif France. Ce mouvement reste intraday et pourra évoluer en clôture, mais il illustre la sensibilité des actifs domestiques à l’incertitude politique.

Au-delà du choc immédiat, le fil conducteur des investisseurs est lisible : sans horizon de budget 2026 stabilisé, sans majorité claire et sans « boîte à outils » constitutionnelle, la prévisibilité fait défaut. D’où des rotations sectorielles vers des titres défensifs et un repli des mid caps exposées au cycle domestique.

Le récit d’un lundi pas comme les autres

Matin, Paris. À Matignon, l’air est frais, les mines fermées. Devant les grilles, micros et caméras s’agglutinent. Le Premier ministre sortant s’avance quelques mots pesés, la voix sans emphase : « On ne gouverne pas sans majorité ». Dans le silence, on entend les stylos, puis les alertes des téléphones. Démission acceptée. Fin d’un chapitre éclair.

Midi. Les groupes parlementaires se répondent à distance. RN réclame le retour aux urnes. LFI insiste : il faut examiner la destitution. À droite, LR temporise, dit « assumer la rupture » mais réévalue sa présence. Sur les écrans, le CAC vacille, l’euro recule d’un pas.

Après-midi. À l’Élysée, la mécanique des noms s’ébroue. Un profil consensus ? Un technicien de finances publiques ? Un politique capable de parler à la gauche sociale comme à la droite budgétaire ? Les auditions discrètes s’enchaînent. La fenêtre de tir est courte.

Minorité négociée : méthode et lignes rouges

Gouverner en minorité n’est pas inédit sous la Vᵉ République. La méthode suppose :

  • Agendas législatifs resserrés, calibré texte par texte.
  • Périmètres de compromis clairement balisés (pouvoir d’achat, logement, santé, énergie).
  • Garants politiques identifiés dans chaque groupe pour sécuriser les votes clefs.
  • Transparence procédurale (conférences de chefs, calendrier public, bilans d’étape).

Les lignes rouges concernent la fiscalité, notamment les hausses d’impôts et la contribution exceptionnelle. De plus, elles incluent les retraites et le pouvoir d’achat, surtout les indexations. Par ailleurs, elles touchent l’investissement, comme la sobriété énergétique et les infrastructures. Sans crédibilité budgétaire, la confiance parlementaire comme la confiance des marchés se dérobent.

Coûts, risques politiques… et budgétaires

Chaque scénario a son coût :

  • Nouveau Premier ministre : coût d’opportunité (temps perdu), risque de censure et d’usure rapide.
  • Dissolution : coût direct du scrutin, interrègne au moins 6 à 8 semaines, risques de cohabitation contrainte ou d’un nouveau Parlement ingouvernable.
  • Démission présidentielle : coût institutionnel majeur, campagne en pleine incertitude économique.

Sur le budget, la note d’intérêt grimpe si la trajectoire 2026 reste floue. À court terme, la priorité sera de sécuriser les dépenses essentielles telles que l’éducation, la santé et la sécurité. Par ailleurs, l’investissement de transition, incluant la rénovation énergétique, le ferroviaire et les industries bas-carbone, sera crucial. En outre, il faudra baliser une stratégie crédible de désendettement.

L’angle Ecostylia : stabilité politique, stabilité climatique

Une stabilité politique minimale conditionne la stabilité climatique de l’action publique. Sans pilotage clair, les plans de rénovation thermique rencontrent des difficultés. De même, l’accélération des mobilités propres est entravée par la valse des priorités. Par ailleurs, le verdissement de l’industrie subit ces mêmes obstacles. En outre, la planification énergétique se heurte également à ce manque de clarté. Les collectivités attendent des cadres pluriannuels stables pour engager des projets (écoles, transports, réseaux). Côté entreprises, la visibilité sur la taxonomie, les aides à la décarbonation et les marchés de capacité est un facteur d’investissement décisif.

Dans l’immédiat, la désignation d’un chef de gouvernement est cruciale. En effet, il doit être capable de verrouiller quelques jalons importants. Par exemple, le budget vert et les appels d’offres énergie sont essentiels. De même, le calendrier bâtiment nécessite une attention particulière. Ainsi, ces actions éviteraient une année blanche pour la transition.

Du ministère des Armées à Matignon, un parcours éclair. Renoncement au 49.3 et blocages partisans. Pourquoi la mécanique a lâché. Ce que révèle l’échec.
Du ministère des Armées à Matignon, un parcours éclair. Renoncement au 49.3 et blocages partisans. Pourquoi la mécanique a lâché. Ce que révèle l’échec.

Ce qui attend l’Élysée dans les prochaines heures

  • Message de stabilisation : calendrier, méthode, cap budgétaire.
  • Consultations rapides : chefs de partis, présidents d’Assemblée, partenaires sociaux.
  • Choix institutionnel : nouveau Premier ministre ou dissolution.
  • Signal aux marchés : trajectoire de dette et dépenses, horizon des réformes non conflictuelles.
Et maintenant ? Nouveau Premier ministre, retour aux urnes ou impasse budgétaire. Marchés chahutés, CAC en baisse. La transition écologique suspendue à la stabilité.
Et maintenant ? Nouveau Premier ministre, retour aux urnes ou impasse budgétaire. Marchés chahutés, CAC en baisse. La transition écologique suspendue à la stabilité.

Que redouter ?

La démission de Sébastien Lecornu clarifie moins qu’elle ne révèle : sans majorité, sans 49.3, sans pacte de gouvernement, l’exécutif bute sur l’arithmétique. Entre trois portes étroites, l’Élysée doit choisir la moins risquée pour l’État, l’économie et la transition écologique. Une chose est acquise : la stabilité coûtera cher, mais l’instabilité coûte déjà davantage.

Cet article a été rédigé par Christian Pierre.