
Au Grand Palais, le 6 octobre 2025, veille du dernier jour de la Fashion Week de Paris, Matthieu Blazy a présenté son premier défilé Chanel, Printemps-Été 2026. Scénographie cosmique, tweeds assouplis, accessoires réinventés : la maison annonce un nouveau cap sans renier l’ADN Gabrielle Chanel. Accueilli très applaudi, ce lancement vise à relancer la désirabilité après 2024, sous l’œil de Bruno Pavlovsky et d’égéries comme Nicole Kidman et Ayo Edebiri. Virginie Viard, ex-directrice Chanel, est évoquée en filigrane par la continuité des codes.
Défilé Chanel : codes réinventés, tweed, tailleurs, bijoux en orbite
À 41 ans, Matthieu Blazy signe son premier défilé Chanel, le 6 octobre 2025. La collection Printemps/Été 2026 ouvre une nouvelle ère qui revendique la continuité autant que la rupture. Dès les premières silhouettes, le vocabulaire de la maison est réécrit : tweed assoupli, tailleurs pantalons raccourcis, jupes effrangées, robes fleuries dont les pétales semblent découpés au scalpel. Les chaînes s’allongent et les camélias prennent des formes stylisées presque graphiques. De plus, les sacs métallisés ressemblent à des météorites satinées. Par ailleurs, des ras-de-cou baroques structurent l’allure. L’ensemble privilégie la ligne et le mouvement : tombés nets, tailles abaissées, manches souples, épaules franches mais non raides.

Face à l’héritage, Blazy choisit le déplacement discret plutôt que l’effet de manche : le tailleur classique passe par le prisme d’un vestiaire androgynique pantalon adouci, veste raccourcie, tandis que la petite veste cède, par endroits, la place à un blazer masculin aux bords francs. Le tweed se fait plus tactile, brossé, parfois presque pelucheux, quand les imprimés floraux s’éloignent du romantisme attendu pour verser dans l’abstraction. L’accessoire, cœur battant de Chanel, est traité comme une ponctuation : minaudières « écrasées », cuirs froissés, sautoirs en chapelets et camélias fractalisés en broches légères. On entend le message : patrimoine, oui, mais élan.
Un récit de galaxie : la scénographie qui change l’échelle
Sous la nef du Grand Palais, enfin restauré, la scénographie transforme le défilé. En effet, elle le plonge dans un cosmos de planètes lumineuses. Un podium miroir reflète les astres suspendus et démultiplie les silhouettes, la salle devient un dôme céleste. Le motif n’est pas gratuit : il parle d’un ‘chic universel’, soucieux d’ouverture et d’échelle, revendiqué par Blazy. L’effet sur la foule journalistes, clients, célébrités est immédiat : le silence au premier look, puis l’ovation finale. La mise en scène évoque une mémoire maison, celle des grands décors théâtraux de l’époque Karl Lagerfeld, sans pastiche. Elle laisse ainsi l’image d’un retour à la spectaculaire après des saisons plus feutrées.
La narration visuelle soutient la coupe : plumes en nuages sur les jupes du soir, tricots pailletés captant les halos des planètes. De plus, les chaînes vibrent au rythme des pas. L’humour affleure perruques sages, détails décalés pour rappeler que le style Chanel peut sourire tout en gardant sa tenue. Dans la nef, le son est contenu et les lumières frottent l’aluminium des accessoires. Ainsi, tout contribue à une précision qui empêche le spectaculaire de devenir tapage.
Dix looks qui fixent le cap
- Pantalon long taille baissée, chemise boutonnée lâche, ras-de-cou baroque : l’allure se fait fluide, la rigueur vient de la coupe.
- Jupe effrangée en tweed brossé, veste raccourcie et chaîne doublée : un classique mis en vibration.
- Robe fleurie découpée en pétales appliqués, camélia oversize à la taille.
- Tailleur-pantalon androgyne, veste « homme » aux bords francs, sautoir long.
- Robe en tricot pailleté « ciel profond », sac métallisé froissé porté à la main.
- Manteau tweed à poches extérieures apparentes, col bijou comme une armure douce.
- Silhouette de jour en denim sombre net, ballerines bijoutées et micro-sac à chaîne.
- Robe de cocktail plumes et soie, ankle boots vernies, choker double rang.
- Twin-set allongé à bords laissés francs, ceinture chaîne multipliée.
- Finale du soir : jupe plumes en volume, top corseté minimal, minaudière métal martelé.
Ces dix moments résument la méthode Blazy : alléger, déplacer, re-matérialiser. Le vêtement prime, l’ornement suit.
People et diplomatie d’image : Kidman, Edebiri et la nouvelle grammaire des égéries
La front row disait beaucoup de la stratégie : Nicole Kidman est devenue nouvelle ambassadrice de la maison, retour symbolique plus de vingt ans après son film pour N° 5. Son apparition chemise blanche impeccable, jean large, flap bag bordeaux donnait le ton d’un luxe décontracté qui n’abdique pas l’allure. Ayo Edebiri, actrice américaine très suivie, présente en première ligne, incarne une jeune garde dont la fantaisie contrôlée répond à la nouvelle silhouette. Au-delà de la photo souvenir, Chanel organise une diplomatie d’images : un héritage vivant (Kidman) et une voix montante (Edebiri), afin de circuler entre générations et territoires culturels.
Le casting des invités Marion Cotillard, Penélope Cruz, Anna Wintour et d’autres amies de la maison témoigne de la volonté de rassembler plutôt que de trancher dans l’organigramme Chanel. À la manière d’un film choral, la soirée assemble des figures phares d’hier et d’aujourd’hui pour signifier que le reset stylistique n’est pas une rupture de contrat avec le public, mais une reformulation.
Le storytelling du show : héritage, modernité, mesure
Blazy raconte Gabrielle Chanel sans répéter son alphabet. Ainsi, le pantalon, l’aisance, la liberté de mouvement sont réinjectés dans un projet visuel. De plus, ce cœur historique où la mesure est la première audace se révèle avec élégance. En renonçant aux surenchères faciles, la proposition devient plus légible : on voit la ligne, on lit la main. Les plumassiers, brodeurs, tisseurs de tweed sont mis en avant par la coupe, non dissimulés sous l’effet.
La scénographie cosmique pousse l’idée : Chanel se définit non par une nostalgie figée mais par une universalité ce ‘chic universel’ revendiqué dans les coulisses. Dans un moment où la mode reconquiert ses grandes salles, le Grand Palais devient une caisse de résonance. En effet, il sert à une maison qui assume son rôle de spectacle culturel autant que d’industrie.
Décryptage business : pourquoi ce virage compte

Côté chiffres, Chanel sort d’un ralentissement 2024 revenus 18,7 Md $ (− 4,3 %), résultat opérationnel − 30 % — assorti d’investissements records (1,755 Md $ de capex, + 43 %) d’après les résultats 2024 publiés par Chanel. Cette stratégie de long terme vise à capter le commerce de destination et consolider l’expérience boutique. Par ailleurs, elle soutient l’écosystème créatif, ce qui explique une partie de la pression sur la rentabilité. Dans ce cadre, la nomination de Blazy répond à une double nécessité : réenclencher la désirabilité auprès des clientes historiques et conquérir des publics plus jeunes, sans céder au bruit des tendances.
Pour Bruno Pavlovsky, président des activités Mode, l’enjeu est clair : continuité du savoir-faire et énergie nouvelle. Le choix d’un styliste Chanel, habitué aux matériaux et aux volumes plutôt qu’au logospeak intempestif peut créer, à moyen terme, une différenciation dans un marché saturé d’images. Le retour au Grand Palais, où Chanel est grand mécène, envoie aussi un signal de puissance culturelle : la marque investit dans des lieux et des récits qui excèdent la sphère commerciale et ancrent sa légitimité.
Enfin, le positionnement prix déjà élevé appelle une valeur perçue à l’avenant. En montrant des gestes de couture sur le prêt-à-porter, en réinventant la quincaillerie, en soignant les sacs (la catégorie la plus observée), Blazy donne des justifications visibles à l’aspiration et au tarif. Si la réponse des marchés clés (Chine continentale, États-Unis) reste à suivre, la réception critique est encourageante. De plus, la réaction du public laisse espérer un rebond d’image rapide, préalable à tout redressement commercial.
Et maintenant ?
La saison Printemps/Été 2026 installe une plateforme : silhouettes allégées, accessoires re-pensés, scénographie signifiante. Les prochaines étapes croisière, Métiers d’art, haute couture diront si la proposition se déploie en profondeur. Mais l’‘acte I’ a posé ses coordonnées : héritage assumé, audace mesurée, universel comme horizon. Chez Chanel, le reset ne gomme pas : il ré-inscrit.