Casting, clash et révélations : comment Catherine Barma façonne la télé française depuis 40 ans

Barma cultive l'effacement pour mieux observer. Son autorité silencieuse tient autant du regard que des décisions. Elle capte l’instant, devine les aspérités d’un futur talent, sans jamais s’imposer à l’image.

Femme de l’ombre, reine du casting et pionnière des formats qui bousculent, Catherine Barma façonne la télévision française depuis quarante ans. Derrière chaque star des talk-shows, une intuition, une exigence et des choix radicaux. De Thierry Ardisson qui vient de nous quitter à Laurent Ruquier, d’Éric Zemmour à Mory Sacko, elle a propulsé les figures majeures du PAF. Mais qui est vraiment celle que le grand public connaît si peu ? Pourtant, elle a modelé l’audace télévisuelle à la française. Ce parcours singulier se distingue par des paris risqués. Par ailleurs, il est jalonné d’anecdotes inédites. De plus, un flair unique permet de révéler les voix qui comptent.

Une faiseuse de rois discrète

Catherine Barma voit le jour à Nice, en 1945. Sa maison est une ruche artistique. Son père, Claude Barma, invente la télévision de l’après-guerre. Il signe Belphégor et la première adaptation télé de Maigret. L’enfance de Catherine, c’est une salle de montage, des décors en carton, un ballet de techniciens. Dès ses 17 ans, elle s’imprègne du métier, d’abord comme scripte, puis assistante sur les plateaux. Chaque jour, elle observe, apprend et s’impose peu à peu dans un monde masculin.

Barma cultive l'effacement pour mieux observer. Son autorité silencieuse tient autant du regard que des décisions. Elle capte l’instant, devine les aspérités d’un futur talent, sans jamais s’imposer à l’image
Barma cultive l’effacement pour mieux observer. Son autorité silencieuse tient autant du regard que des décisions. Elle capte l’instant, devine les aspérités d’un futur talent, sans jamais s’imposer à l’image

Elle refuse de vivre dans l’ombre d’un nom. Rapidement, elle trace sa voie : indépendante, intransigeante, souvent en décalage avec l’esprit de clan du milieu. Elle prend son envol avec France 2 puis France 3. Un jour de 1985, elle croise la route d’un publicitaire atypique : Thierry Ardisson. Son humour noir, sa nervosité, son allure décalée déconcertent tout le monde.

Lors d’un premier casting pour Scoop à la Une, Ardisson panique. Il lit ses fiches à voix basse. Le silence tombe. Tout le monde pense que c’est fini. Barma, elle, demande une seconde chance. “Il avait quelque chose, une fêlure, une façon d’être à côté.” Finalement, Ardisson deviendra l’homme en noir et la voix rebelle de la télé, grâce à l’insistance de la dame.

L’œil qui déniche les tempéraments singuliers

Barma ne cherche pas des têtes d’affiche, mais des « tempéraments ». Elle repère l’énergie, l’insolence ou l’intelligence chez ceux qui passeront ses castings. Pour elle, la personnalité prime sur le formatage. Elle préfère un regard franc, une nervosité palpable ou un humour grinçant. Chaque nouveau projet est un laboratoire. Elle crée la surprise avec des duos atypiques, provoque des rencontres, ose le déséquilibre.

Ainsi, au début des années 1990, elle repère Laurent Ruquier dans un studio exigu. Il anime alors une émission confidentielle sur France Inter. “Il y avait chez lui une capacité à rebondir, à rire de tout, même de lui.” La flaireuse de talent le convainc de tenter la télé. Ce sera Rien à cirer, puis On a tout essayé

Une anecdote célèbre veut qu’en 2000, sur On a tout essayé, Ruquier s’effondre après la première émission : “Je ne ferai jamais d’audience, je ne suis pas fait pour ça.” Barma le rassure, le pousse à improviser davantage. Deux ans plus tard, l’émission explose les scores. “Elle a su voir en moi ce que j’ignorais moi-même”, dira Ruquier.

Des formats novateurs, des chocs assumés

Dans les années 2000, Catherine Barma révolutionne le talk-show. Elle lance On n’est pas couché, imaginant un dispositif qui pousse les invités dans leurs retranchements. Sa recette : mélanger chroniqueurs, polémistes, artistes, politiques. Dès la première saison, le plateau voit passer des figures majeures. L’ingénieuse blonde impose le duo Éric Zemmour et Éric Naulleau. “On m’a dit que c’était trop risqué. Mais je voulais du débat vrai, pas du consensus.”

Leur arrivée provoque la foudre. Les clashs, les débats musclés, mais aussi des fous rires et des confessions mémorables. Naulleau se souvient : “La première fois, Barma nous dit : ‘Vous n’êtes pas là pour plaire, mais pour réfléchir’. C’était nouveau.”

L’anecdote veut que Zemmour, mal à l’aise en télévision, veuille abandonner après une émission houleuse avec Nolwenn Leroy. La productrice insiste : “Les téléspectateurs n’aiment pas la tiédeur. L’audace paie.” Le temps lui donne raison. On n’est pas couché devient culte. Les réseaux sociaux s’enflamment à chaque polémique. La niçoise assume. Pour elle, “le clash est une manière de provoquer la pensée, pas de faire du bruit gratuit”.

La faiseuse de stars et l’alchimie des duos

Barma sait marier les talents et dénicher des équilibres inattendus. Elle fait éclore Florence Foresti, repérée dans une émission test où l’humoriste improvise sur l’actualité. la productrice l’intègre à On a tout essayé. Résultat, l’audience grimpe, Foresti devient incontournable. Même histoire avec Jérémy Ferrari sur On n’demande qu’à en rire. Elle repère la capacité à déranger, à déplacer le regard.

Son casting ne relève jamais du hasard. Chaque sélection est pensée, discutée, parfois âprement. “C’est une productrice exigeante, voire dure, mais juste”, témoigne un ancien collaborateur. Plusieurs humoristes révèlent avoir été recalés avant de revenir, mieux préparés, sous ses conseils. “Elle m’a dit un jour : ‘Le public doit sentir ce que tu ressens, sans filtre. Sinon il ne pardonne rien.’”

Concentration, précision, exigence. Barma ne sourit pas par convenance, elle attend l’instant juste. Chaque tournage est une construction millimétrée. En plateau comme en coulisses, elle scrute, tranche, ajuste. Le détail est sa marque. Son parcours parle pour elle.
Concentration, précision, exigence. Barma ne sourit pas par convenance, elle attend l’instant juste. Chaque tournage est une construction millimétrée. En plateau comme en coulisses, elle scrute, tranche, ajuste. Le détail est sa marque. Son parcours parle pour elle.

Le style Barma, entre rigueur et audace

Au fil des années, les méthodes de Catherine Barma font école. Sa société Tout sur l’écran devient un vivier de concepts originaux. Elle privilégie les plateaux vivants, le débat, l’émotion. Elle aime que la caméra traque la tension, la faille ou la complicité. “Elle sait ce que la télé attend : du vivant, du vrai, de l’imprévu.”

Une force, mais aussi une fragilité. En 2020, la rupture avec Laurent Ruquier fait la une. L’animateur quitte On n’est pas couché après quinze ans. La productrice porte l’affaire en justice. Elle remporte le procès. “C’était un couple télé. La séparation a été brutale”, résume un journaliste média. Cette affaire révèle l’envers du décor : la télé n’est pas un long fleuve tranquille. Derrière les sourires, des rapports de force et des égos. Catherine Barma le sait. Elle avance, toujours en quête de la personnalité qui fera la différence.

Des succès marquants, des paris osés

Son nom reste associé à des émissions majeures du PAF : Tout le monde en parle avec Ardisson, Panique dans l’oreillette, Cuisine ouverte avec Mory Sacko. Chacune porte sa marque : une ambiance électrique, une direction d’acteurs précise, un ton décalé. Sur Cuisine ouverte, elle mise sur le charisme du jeune chef. “Personne ne croyait qu’un cuisinier pouvait captiver le samedi soir. Elle l’a imposé.”

Anecdote de plateau : un soir, un invité de marque refuse d’entrer en cuisine. La professionnelle improvise. Elle encourage Mory Sacko à inviter le public à déguster en direct. Résultat, la séquence devient virale. “Barma aime les accidents, ils révèlent l’authenticité.”

Un héritage bien vivant

Après quarante ans, Catherine Barma est encore présente. Elle veille sur les nouveaux formats, conseille dans l’ombre, prépare de jeunes animateurs à affronter le direct. Plusieurs générations lui doivent leur carrière. Sa marque de fabrique : révéler la faille, l’intuition, le ton juste.

Aujourd’hui, alors que le PAF se cherche, beaucoup invoquent “l’école Barma”. Son sens du casting, sa capacité à sentir les époques, à mettre en lumière des tempéraments inclassables. “Barma fait confiance à l’intelligence du public. Elle refuse la facilité, même quand la pression monte.”

Le flair au service de la télévision

Catherine Barma demeure un pilier discret, mais fondamental du paysage audiovisuel français. Son travail n’a pas seulement façonné des carrières. Il a permis à la télévision de prendre des risques, de se réinventer. Par son intuition, ses paris, ses échecs parfois, elle a imposé une vision : celle d’une télévision vivante, impertinente, tournée vers l’avenir. Un héritage tangible, transmis de plateau en plateau, de génération en génération.

Cet article a été rédigé par Christian Pierre.