Brouteurs et solitudes : ce que révèle l’affaire Marie-José, 82 ans

Marie-Josée, 82 ans, a été révélée par sept à huit sur TF1, suite à ses Amours controversées avec un brouteur d’Abidjan au grand dam de sa famille restees en France

Marie-José, 82 ans, a quitté sa maison normande un matin de septembre, emportant avec elle deux valises Samsonite, une photo de son chien Filou et une foi inébranlable en l’amour. Elle s’envolait pour Abidjan, ville qu’elle ne connaissait que par Google Images et les promesses enflammées de Christ, un jeune homme de 28 ans, qui l’avait séduite sur Facebook avec un français approximatif mais un cœur, disait-elle, “plus grand que l’Atlantique”.

Ainsi commence une histoire rocambolesque qui a bouleversé les chaînes d’info et passionné les débats de comptoir. Révélée par l’émission Sept à Huit, ce fait divers s’inscrit dans une tendance numérique bien connue des gendarmes du web : l’escroquerie sentimentale par brouteur.

Le fils de Marie-José, dentiste à Fécamp, a tiré la sonnette d’alarme. Il a signalé à la police l’existence d’un prédateur affectif usant de stratagèmes romantiques pour escroquer sa mère. Mais celle-ci n’en démord pas. Elle nie le danger, rejette les accusations et réclame, plus furieuse qu’éplorée : “Laissez-moi aimer !”

De nombreuses femmes seules, telles que Marie-José, souhaitent fuir le silence affectif. Elles imaginent souvent une nouvelle vie ailleurs. Cela se fait parfois au détriment du bon sens rationnel. Derrière ce regard reconnaissant se cache souvent une soif de contact, de douceur, de reconnaissance. Nos ainées n'attendent plus la passion, mais un simple échange régulier. Le brouteur le sait et prépare avec malice des messages quotidiens qu'aucun proche ne prend le temps d'écrire.
De nombreuses femmes seules, telles que Marie-José, souhaitent fuir le silence affectif. Elles imaginent souvent une nouvelle vie ailleurs. Cela se fait parfois au détriment du bon sens rationnel. Derrière ce regard reconnaissant se cache souvent une soif de contact, de douceur, de reconnaissance. Nos ainées n’attendent plus la passion, mais un simple échange régulier. Le brouteur le sait et prépare avec malice des messages quotidiens qu’aucun proche ne prend le temps d’écrire.

Le phénomène des brouteurs : une mécanique bien huilée

Dans l’univers trépidant des arnaques aux sentiments, le brouteur est roi. Le terme, apparu en Côte d’Ivoire dans le nouchi (argot urbain), désigne un « glaneur », un « cueilleur de richesses ». En pratique, c’est un virtuose du copier-coller amoureux. Il copie des discours romantiques à la virgule près, les colle dans les messageries de victimes ciblées, souvent des personnes isolées, veuves ou fragiles.

Un brouteur digne de ce nom gère jusqu’à quinze "chéries" ou "doudous" en simultané. Il jongle entre les identités : général de l’ONU, père célibataire, chirurgien en mission. Tout est bon pour attendrir. Puis viennent les étapes : panne de téléphone, grand-mère malade, besoin urgent d’argent. L’affectif devient une machine à cash.

Pour certains brouteurs, ce n'est pas un crime, mais un métier. À défaut de perspectives locales, manipuler des cœurs étrangers devient une stratégie de survie. Le désespoir alimente l'imagination la plus sournoise.
Pour certains brouteurs, ce n’est pas un crime, mais un métier. À défaut de perspectives locales, manipuler des cœurs étrangers devient une stratégie de survie. Le désespoir alimente l’imagination la plus sournoise.

En 2023, selon Cybermalveillance.gouv, les arnaques aux sentiments ont connu une explosion. +91 % par rapport à l’année précédente. L’âge moyen des victimes est de 68 ans. Et les pertes peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. En réalité, ce ne sont pas que des victimes de leur naïveté : ce sont aussi des victimes de leur solitude.

Une revanche sociale des quartiers d’Afrique de l’Ouest

Yaya Koné, anthropologue, a observé les brouteurs depuis les cybercafés d’Abobo et de Yopougon. Dans Le Journal des anthropologues, il parle d’une "réinvention du travail". Pour ces jeunes sans perspectives, le broutage est une activité économique. Le mot « bara », qui signifie « travailler », recouvre tout autant le chantier que le téléphone portable. “Si l’Europe prend nos matières premières, nous prenons leurs mamies”, ironise un ancien brouteur repenti.

Avec un smartphone ou quelques pièces pour le cybercafé, de jeunes hommes deviennent de redoutables stratèges. Ils exploitent ces outils pour développer des compétences impressionnantes en stratégie numérique. Ils alternent jusqu'à quinze conversations amoureuses par jour. La misère numérique des uns répond à la misère affective des autres. Enfin tant qu'il y a des espèces...
Avec un smartphone ou quelques pièces pour le cybercafé, de jeunes hommes deviennent de redoutables stratèges. Ils exploitent ces outils pour développer des compétences impressionnantes en stratégie numérique. Ils alternent jusqu’à quinze conversations amoureuses par jour. La misère numérique des uns répond à la misère affective des autres. Enfin tant qu’il y a des espèces…

Cette logique est celle d’une revenge fantasy économique. Le Nord est riche, le Sud pauvre. Le Nord est vieux, le Sud jeune. Le brouteur renverse l’ordre établi. Il ne vend rien, il "fait tomber amoureux". Et pour certains, cela suffit à moraliser leur geste.

Il y a ici une sociologie du désœuvrement. Des jeunes formés au numérique mais sans emploi. Une jeunesse urbaine, connectée, inspirée par les clips de rap français et les comptes TikTok. Ils ne font pas la guerre, ils font de l’"affect-warfare".

L’enquête judiciaire : une réponse tardive mais nécessaire

Alertée par la médiatisation de l’affaire, la justice française a réagi. Le parquet de Rouen a rouvert l’enquête pour abus de faiblesse. Une mesure rare dans ce type de dossier. Mais que faire lorsque la victime refuse son statut de victime ? Marie-José a déclaré : “Je ne suis pas une imbécile, je suis amoureuse !”

La police de Seine-Maritime collabore avec Interpol et la police ivoirienne. Mais les obstacles sont nombreux. Les plateformes protègent mal les victimes. Les transferts d’argent via Western Union sont difficilement traçables. L’opération Jackal, lancée par Interpol, a permis plusieurs arrestations. Mais à chaque tête coupée, dix autres poussent.

Activistes et pièges à brouteurs

Pour combler le vide institutionnel, certains activistes s’engagent. Le youtubeur Méta-Brouteur répond aux messages des escrocs et pousse leur logique jusqu’à l’absurde. Ensuite, il les expose dans des vidéos éducatives pour sensibiliser son audience. D’autres, comme Victor Baissait ou Sandoz, mènent de véritables contre-enquêtes en ligne.

Des associations comme AVESE accompagnent les victimes. Elles proposent des groupes de parole, du soutien psychologique et des conseils juridiques. Car la blessure est profonde : ce n’est pas qu’une perte financière, c’est une trahison du cœur.

 Et pourtant, au milieu des soupçons et des marchés de dupes, certains couples mixtes déjouent les préjugés. Ils rient, construisent, durent. Leur force : un amour à égalité, un projet sincère, souvent né d'un échange culturel profond plutôt que d'une illusion marchande.
Et pourtant, au milieu des soupçons et des marchés de dupes, certains couples mixtes déjouent les préjugés. Ils rient, construisent, durent. Leur force : un amour à égalité, un projet sincère, souvent né d’un échange culturel profond plutôt que d’une illusion marchande.

Fractures affectives et sociétés déconnectées

Cette affaire met en lumière deux fractures. La fracture numérique, d’abord. Une génération mal formée aux dangers du web, encore marquée par une confiance instinctive. La fracture affective, ensuite. Car au fond, pourquoi Marie-José s’est-elle envolée pour Abidjan ? Par besoin d’exotisme ? Non. Par besoin d’être regardée comme une femme, encore, à 82 ans.

La société occidentale vieillit mais isole. Elle pousse ses anciens dans des EHPAD aseptisés et déserte leurs imaginaires amoureux. Le web, lui, n’a pas de barrières d’âge. Il promet à toutes et tous une seconde chance.

Aimer, malgré tout

L’histoire de Marie-José est une farce douce-amère. Un vaudeville du XXIème siècle avec modem et transferts Western Union. C’est aussi une alerte sociale. Nous devons mieux prévenir, éduquer, accompagner. Mais surtout, nous devons réapprendre à entourer nos aînés.

Les brouteurs ne prospèrent pas dans le vide. Ils profitent de nos démissions collectives. La lutte contre cette criminalité passe aussi par un changement de regard sur la vieillesse, l’amour tardif, et la place de chacun dans une société hyperconnectée.

Marie-José veut aimer. Et c’est cela qui nous concerne tous. Car au fond, brouteurs ou pas, nous cherchons tous une chose : ne pas vieillir seuls.

PS : Toutes les photos sont illustratives… toute ressemblance serait fortuite

Cet article a été rédigé par Émilie Schwartz.