
Chuchotée, relayée, amplifiée : l’étrange rumeur transphobe ciblant Brigitte Macron illustre les mécanismes insidieux de la désinformation moderne. Décryptage détaillé et mordant d’une affaire aux accents délirants.
La relaxe en appel : entre soulagement et perplexité
L’infox est devenue virale jusqu’aux États-Unis. Brigitte Macron serait en réalité une femme transgenre. C’est ce qu’ont soutenu deux femmes en propageant cette fausse rumeur. Les deux prévenues, Natacha Rey et Amandine Roy, ont été relaxées jeudi 10 juillet 2025 par la cour d’appel de Paris concernant les 18 articles mis en cause par la Première dame et son frère.
Un passage sur un détournement de mineur relevait de la loi sur la presse. Toutefois, la cour a aussi relaxé pour bonne foi.
« Je vais voir avec mes clients ce que nous allons faire, mais bien évidemment, nous ne sommes pas d’accord » avec ce jugement, a insisté Me Jean Ennochi, avocat de Brigitte Macron. « Natacha Rey, pourchassée, persécutée, condamnée. Mais finalement Natacha Rey relaxée », s’est félicité de son côté Me François Danglehant, avocat de Rey.
Cette décision pose question sans remettre en cause la justice. Où placer désormais la frontière entre liberté d’expression et désinformation manifeste ?

Condamnées en première instance
En septembre 2024, Rey et Roy avaient été reconnues coupables et condamnées à 500 euros d’amende avec sursis, ainsi qu’à verser 13 000 euros au total à Brigitte Macron et son frère, Jean-Michel Trogneux. Au cœur du procès se trouve une vidéo de plus de quatre heures, diffusée en janvier 2022. Elle affirme sans preuves que la Première dame serait son frère Jean-Michel, devenu femme.
Naissance et propagation d’une rumeur persistante
La rumeur naît dans l’ombre et prospère rapidement sur les réseaux depuis leur arrivée à l’Élysée. Dès 2021, la théorie bancale mais sensationnelle prend racine grâce à une vidéo longue et confuse postée sur la chaîne YouTube de Roy. L’affirmation grotesque repose sur un mélange approximatif de généalogies, de photos floues et d’allusions médicales invérifiables.

Cependant, malgré son absurdité évidente, elle se diffuse à une vitesse fulgurante. Elle est portée par des communautés avides de scandale et fascinées par les théories du complot. Ce phénomène n’est pas isolé. Plusieurs femmes politiques ou publiques ont été victimes de rumeurs similaires. Parmi elles, l’ex-Première dame américaine Michelle Obama, l’ex-vice-présidente américaine Kamala Harris, l’ancienne Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, et même la chanteuse américaine Lady Gaga ou encore Sheila… Toutes ont été ciblées par des campagnes visant à discréditer leur image à travers la transphobie.
Le rôle central des réseaux sociaux et relais médiatiques
Des comptes marginaux et influenceurs sulfureux sur X, YouTube et Facebook s’emparent de cette théorie. La rumeur dépasse vite le cadre conspirationniste français pour atteindre des médias américains proches de l’extrême droite, notamment relayée par Candace Owens, influente figure trumpiste. Un livre, Becoming Brigitte, signé par le journaliste d’extrême droite Xavier Poussard, amplifie encore l’ampleur de cette désinformation outre-Atlantique.
Cette propagation révèle les mécanismes précis de la désinformation contemporaine : un public fasciné par l’extravagance et une tendance croissante à remettre en cause la réalité officielle.
Transphobie et hostilité politique : les motivations derrière la rumeur
Pourquoi cibler précisément Brigitte Macron ? Derrière cette campagne insidieuse se cache une hostilité politique évidente envers le couple présidentiel, mêlée à des fantasmes réactionnaires. Ces accusations, souvent dirigées contre les femmes puissantes, exploitent l’anxiété sociale liée au genre. Elles servent également des agendas politiques précis.
La transphobie ici se mue en arme politique : accuser la Première dame d’une dissimulation d’identité renforce les préjugés et fragilise par ricochet Emmanuel Macron.
Les protagonistes : entre auto-proclamations et condamnations
Natacha Rey, « journaliste indépendante autodidacte », et Amandine Roy, « médium », se trouvent soudain propulsées au centre d’un scandale national. Leur vidéo attire rapidement l’attention et déclenche une polémique intense qui oblige Brigitte Macron à réagir publiquement.
Une tradition historique : de l’affaire Markovic à Amanda Lear
L’usage de rumeurs pour discréditer des figures publiques n’est pas nouveau. L’affaire Markovic, qui avait visé dans les années 1960 Georges Pompidou, reste emblématique. Le couple présidentiel avait été accusé sans preuve de participer à des soirées libertines pour affaiblir politiquement Pompidou.

Dans un registre différent, Amanda Lear, chanteuse et animatrice TV emblématique des années 70-90, a elle-même été victime d’une rumeur persistante concernant son identité de genre. Cependant, contrairement à d’autres, Lear a choisi d’exploiter cette ambiguïté à des fins médiatiques. Son mystère soigneusement entretenu devient sa marque de fabrique. Dans le documentaire de Patrick Jeudy pour Arte, Appelez-moi Mademoiselle, sorti en 2022, Lear brouille volontairement les pistes. Malgré des années d’investigation, personne n’a pu lever définitivement ce mystère. Lear, provocatrice et subtile, a même ironiquement chanté sur cette ambiguïté dans La Rumeur, se moquant ouvertement de l’obsession populaire autour de son identité.
La désinformation, outil politique et phénomène médiatique
Le cas Macron souligne combien l’espace numérique favorise la propagation de fausses informations, susceptibles de troubler le débat public. La transphobie devient ainsi un vecteur idéologique inquiétant et puissant.
Le dilemme reste entier : jusqu’où doit aller la lutte contre la désinformation sans compromettre la liberté d’expression ?
Rumeur transphobe, symptôme d’un climat délétère
L’affaire autour de Brigitte Macron révèle les excès d’une époque marquée par la défiance envers les élites. En outre, elle illustre la confusion informationnelle actuelle. La frontière entre réel et fantasme reste floue. La Première dame rejoint la liste des victimes de campagnes virales. Dans ces campagnes, le genre devient prétexte à la haine et à l’exclusion.