
À 61 ans, Brad Pitt revient au premier plan avec F1, film d’action réalisé par Joseph Kosinski, qui signe aussi Top Gun: Maverick. Il y incarne Sonny Hayes, un ancien champion de Formule 1 sur le déclin, rappelé pour encadrer une jeune recrue. Ce scénario de rédemption sportive rappelle les grandes figures tragiques du cinéma américain. Il offre surtout un écho troublant à la trajectoire intime et publique de Pitt.
Depuis son divorce ultra-médiatisé avec Angelina Jolie en 2016, l’acteur a connu une véritable traversée du désert. Entre accusations de violences domestiques, dépendances avouées et dépression latente, Brad Pitt s’est retiré peu à peu du tumulte hollywoodien. Dans plusieurs interviews, il a décrit avec pudeur le chaos qu’il portait en lui. Il a rejoint les Alcooliques Anonymes, cherchant, selon ses mots, un "espace sans jugement". Cet acte de vulnérabilité assumé marque un tournant dans son rapport au monde.

Une star aux prises avec l’oubli de soi
Dans le podcast Armchair Expert, Pitt livre un témoignage rare sur ses années de brouillard. Il y évoque la solitude, la perte de repères et le besoin de "se réveiller de soi-même". Derrière le sourire calibré et les apparitions glamour, se cache un homme fêlé par les épreuves. Loin du narcissisme, son propos dégage une forme d’humilité poignante. À ses yeux, la chute a été un passage nécessaire.
Son combat reste méconnu du grand public. Brad Pitt souffre de prosopagnosie, un trouble neurologique qui empêche de reconnaître les visages. Il en parle avec franchise. Ce déficit explique son attitude réservée, souvent mal interprétée comme de l’arrogance. Ce handicap invisible agit comme une métaphore : comment être une icône mondiale quand on peine à identifier les traits de ceux qui vous entourent ?

Une filmographie exigeante et courageuse
Derrière le mythe, il y a un artisan. Découvert dans Thelma et Louise en 1991, Brad Pitt refuse de se laisser enfermer dans le rôle de beau gosse. Il enchaîne les choix atypiques : Kalifornia, Légende d’automne, Seven. Puis viennent des collaborations majeures avec David Fincher, dont le sulfureux Fight Club, film culte qui explore la virilité toxique et la désintégration de soi. Il y incarne Tyler Durden, alter ego fantasmatique et nihiliste d’un narrateur paumé. Ce personnage résonne avec l’homme qu’il deviendra : complexe, divisé, imprévisible.
Il alterne blockbusters (Troie, World War Z) et propositions d’auteur (Babel, L’Assassinat de Jesse James). En 2011, il brille dans The Tree of Life de Terrence Malick, méditation mystique sur la filiation et le passage du temps. Ce film confirme sa volonté de se défaire des clichés hollywoodiens. En 2020, il obtient l’Oscar du meilleur second rôle pour Once Upon a Time… in Hollywood, de Tarantino, où il campe un cascadeur vieillissant. La reconnaissance suprême, dans un rôle de crépuscule.

Un producteur en quête de sens
Loin d’être qu’un simple acteur, Pitt est aussi un producteur influent. Sa société Plan B Entertainment est à l’origine de films engagés comme 12 Years a Slave, Moonlight, The Big Short ou Blonde. Il soutient des cinéastes audacieux, souvent en marge des studios. Ce rôle dans l’ombre montre une volonté de peser autrement sur le cinéma. En effet, il vise à promouvoir des récits qui comptent.
F1 s’inscrit dans cette logique. Plus qu’un simple film de course, il met en scène un corps vieillissant. Ce corps est confronté à la vitesse, au risque et à la peur. Pitt conduit lui-même les monoplaces, après une préparation physique intense. Le tournage, réalisé sur de vrais circuits de Formule 1, restitue avec véracité le vertige du sport automobile. Il décrit le virage de l’Eau rouge à Spa comme une "décharge pure d’adrénaline".

La métamorphose d’un homme
Le rôle de Sonny Hayes, pilote brisé en quête de rédemption, fonctionne comme un miroir. Brad Pitt y explore ses blessures, son passé, ses regrets. Ce n’est pas un hasard si ce film marque son retour en tête d’affiche. Il sort d’une période de repli, marquée par des conflits juridiques encore en cours avec Angelina Jolie. Ces conflits concernent notamment la garde de leurs enfants et leur vignoble commun.
Dans cette fiction, il ne cherche pas à briller. Il cherche à ressentir, à partager, à éprouver. C’est peut-être sa performance la plus honnête, la plus nue. Il incarne la fatigue, le doute, mais aussi une forme de foi en l’effort.
Un apaisement discret
Aujourd’hui, Brad Pitt partage sa vie avec Inès de Ramon, joaillière franco-espagnole. Leur relation reste discrète. Il continue à produire, à investir dans des domaines variés : architecture, design, vin. Il possède le domaine de Château Miraval en Provence, haut lieu de création musicale et vinicole.
Mais surtout, il semble avoir trouvé une voie intérieure. Il ne court plus après la gloire. Il court après une forme de vérité. Comme un pilote dans la pénombre d’un virage serré, il tient le cap. Non plus pour impressionner, mais pour rester vivant.
Brad Pitt ou l’art du contre-pied
Dans un paysage où beaucoup de stars s’essoufflent, Brad Pitt continue à surprendre. Il brouille les pistes, alterne les genres, évite la redite. Il n’a jamais cessé de questionner son image. Il reste un acteur à part, qui fait rimer masculinité avec fragilité, succès avec doutes, mémoire avec oubli.
Et si F1 n’est pas son chef-d’œuvre, il en est le symbole : un film de métamorphose, d’énergie et de silences. À l’image de celui qui l’interprète.