
À 28 ans, Benjamin Voisin endosse Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus réalisé par François Ozon, en salles le 29 octobre 2025. Présenté à la Mostra de Venise, ce drame en noir et blanc, adaptation de L’Étranger d’Albert Camus, tourné à Tanger pour recréer l’Alger de 1938, interroge notre présent : « ne joue pas, sois ». Entre minimalisme d’acteur et modernité camusienne, un portrait d’un homme qui refuse de tricher.
Ce que l’actualité dit : un film, une date, un pari
Sous un ciel bleu franc, Benjamin Voisin, 28 ans, avance au bord d’une ligne invisible : celle où la jeunesse touche aux classiques. En cette sortie nationale du 29 octobre 2025, L’Étranger de François Ozon arrive en salles, après la Mostra de Venise 2025. Le film L’Étranger, inspiré de Camus, est tourné en noir et blanc. Il confie à l’acteur le rôle de Meursault. Ce personnage est une silhouette lucide et rétive au mensonge. Un pari d’époque : revisiter Albert Camus sans forcer le trait, en assumant le vertige moral du récit.
Un acteur d’aujourd’hui, un César, une trajectoire

Révélé par Été 85, passé par Illusions perdues, Benjamin Voisin a bâti une carrière rapide mais patiente. César du meilleur espoir masculin 2022, il s’impose par une présence qui refuse l’esbroufe. Ni vedette distante ni « jeune premier », il cherche les zones de friction : le doute, l’élan, la fragilité. Dans les entretiens récents, il parle d’une épreuve initiatique : devenir Meursault pour mieux comprendre ce refus intime de la comédie sociale. Rien de démonstratif : un visage, des silences, une marche au soleil.
D’Ozon à Camus : fidélité et décalage
François Ozon aborde L’Étranger avec un principe simple : ne pas mettre l’œuvre « au goût du jour », mais rendre sa modernité visible. La mise en scène privilégie l’ellipses, la clarté brutale des cadres, la distance. Les plans semblent attendre que Meursault respire, puis se dérobe. Ozon ne cherche pas la surinterprétation philosophique, il restitue une expérience. Le procès n’est pas un discours, c’est un théâtre de regards. Face à cela, Meursault se tient à la lettre, à la vérité nue de ce qu’il éprouve ou n’éprouve pas.
Une adaptation pensée comme présence
À l’écran, Meursault demeure un homme qui refuse de jouer. Sa passivité active marcher, fumer, aimer, tirer ne raconte pas une morale, mais un rapport au monde. Le film installe un rythme minéral : pas de psychologie appuyée, une économie de gestes, des mots retenus. Cette esthétique de l’intervalle laisse surgir la violence des faits. La mer et le ciel forment un cadre implacable, l’éblouissement fait partie du récit, comme une matière à penser.
Noir et blanc : la lumière comme jugement
Le noir et blanc inscrit l’histoire dans une temporalité suspendue. Il arrache l’Algérie des années 1930 à l’iconographie exotique pour la ramener à des contrastes : blancs brûlés, ombres denses, visages comme des pierres. La lumière devient une instance de jugement. Dans la chaleur, le moindre mouvement paraît irréversible. Ce choix formel ne muséifie pas le roman, il l’expose littéralement. L’« étrangeté » n’est pas un concept : c’est ce que la caméra enregistre.
Tanger, une Alger reconstituée
Le tournage s’est tenu à Tanger (Maroc), recréant l’Alger de 1938. La topographie, les volumes, les murs blanchis participent de cette illusion concrète : retrouver une ville sans la mimer. La mer proche, les terrasses, la rumeur des rues composent les données sensibles du film. On y reconnaît une Méditerranée traversée de vents, de poussière, de lumière qui claque. Ce décor n’est pas décoratif : il fabrique la vérité des gestes et des choix.
La direction d’acteur : « Ne joue pas, sois »
La méthode demeure minimaliste. François Ozon aurait répété la consigne : « Ne joue pas, sois. » Rien d’ostentatoire, mais une discipline : isoler l’acteur, priver le plateau de bavardages, installer le silence avant « moteur ». Benjamin Voisin évoque des semaines d’immersion : marcher seul, relire le texte, apprendre à ne pas remplir ce que la scène ne réclame pas. Le corps devient métronome, le temps du plan, une promesse d’énigme.
Un rôle écrasant, une interprétation au fil du doute
Incarner Meursault, c’est résister à l’emphase. L’acteur refuse la crispation « stoïque » et cherche l’opacité humaine. Le visage n’explique rien, mais tient. La tristesse, la peur, le désir passent sans démonstration. Dans la scène du procès, la parole ne rachète pas ; elle accuse. Cette retenue construit une intensité rare : ne pas commenter sa propre présence, laisser venir l’événement.
Venise, l’épreuve du public
À la Mostra de Venise 2025, l’accueil a salué la radicalité calme du film. En compétition, L’Étranger s’est imposé comme une proposition d’acteur autant qu’un geste de mise en scène. Loin des effets de manche, Ozon et Voisin défendent un cinéma de la perception. Le pari est lisible : ne pas expliquer Camus, l’exposer au regard d’aujourd’hui.
Camus, la question coloniale et l’angle mort
Revenir à Camus en 2025, c’est affronter un débat vif : l’Algérie coloniale, l’« impensé » des voix arabes, la justice au prisme d’un ordre. Le film n’élude pas ce contexte, mais il le désigne par ses cadres. Il le fait aussi par la distribution et l’espace social du procès. Sans plaidoirie didactique, la mise en scène laisse entendre ce qui manque et ce qui pèse. Cette tension fidélité au texte, regard critique d’aujourd’hui donne sa portée à l’adaptation.
Le présent d’un classique
L’Étranger n’est pas un monument, c’est un risque. L’équipe choisit l’exactitude des gestes : une cigarette, une marche à midi, un tir qui fend le temps. Benjamin Voisin accepte de se dessaisir : moins « jouer » que laisser arriver. François Ozon filme contre la rhétorique : plans coupants, ellipses nettes, silences qui statuent. Ce présent donné à Camus explique la pertinence du projet : un classique qui respire.
Réception et circulation
La sortie française au 29 octobre 2025 ouvre une circulation large : salles de centre-ville, circuits nationaux, événements universitaires, ciné-clubs. Le public « lycée » côtoie les lecteurs de toujours. La durée (environ 2 heures) maintient un tempo sans gras, la photo privilégie les hauts contrastes, la bande originale avance par rétentions. L’ensemble compose un film hospitalier, mais exigeant.
Portrait en bleu : le travail plutôt que le rôle
Hors caméra, Benjamin Voisin parle méthode : écouter, relire, s’absenter un peu, puis revenir. Il n’érige pas Meursault en totem de carrière, il y voit un outil : apprendre à éclairer moins pour montrer mieux. Le bleu ciel, mer, nuit revient comme une note discrète, un état. Il cadre l’acteur sans l’attacher. La suite sera théâtre, cinéma, peut-être retours chez des cinéastes de caractère.
Ce que ce film change

Pour François Ozon, c’est une pierre supplémentaire dans une filmographie très écrite : un classique confronté à une éthique du cadre. Pour Benjamin Voisin, c’est un baptême : porter un rôle ingrat sans séductions faciles et en faire une présence. Pour le public, c’est la preuve qu’un roman lu à 17 ans peut trouer la surface du cinéma. Cela se produit en 2025, sans slogans.
Pourquoi maintenant ?
Parce qu’un classique n’est pas une relique. Puisque l’étrangeté le refus de mentir, la peur d’expliquer nous parle d’un monde saturé. Ce monde est rempli d’images et d’avis. L’Étranger au cinéma en 2025, c’est poser la question sans la refermer : qu’est-ce qu’un homme qui ne joue pas ? C’est aussi redonner au regard sa responsabilité.