
Publié le 1ᵉʳ novembre 2025, un sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche place Jordan Bardella en tête de la présidentielle 2027 (35–37,5 %), devant Édouard Philippe (15,5 %) et une gauche autour de 12–13 %. Réalisée en France métropolitaine les 30-31 octobre, l’enquête décrit une dynamique Rassemblement national (RN) tandis que l’appel de Marine Le Pen, prévu en janvier-février 2026 à Paris, vient déjà brouiller l’horizon.
Les chiffres, sans apparat mais avec précision
Dans l’instantané livré par l’institut Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, publié le 01/11/2025, le message est limpide. Jordan Bardella, président du RN, s’installe au sommet des intentions de vote pour le premier tour de 2027. Dans l’hypothèse principale, il atteint 35 % et jusqu’à 37,5 % selon les scénarios. Dans une configuration comparable, Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée, se situe à 34 %. Cela prouve qu’au sein du même camp, la dynamique demeure robuste. Le centre macroniste cherche, lui, son point d’équilibre. Édouard Philippe, maire du Havre et chef de Horizons, est mesuré à 15,5 % dans l’hypothèse de référence, soit – 5 points par rapport à avril. Gabriel Attal culmine à 12,5 %. Gérald Darmanin descend à 7 %. À gauche, Jean-Luc Mélenchon évolue entre 11,5 % et 13 %. Raphaël Glucksmann oscille de 11 % à 13 %. Les Républicains maintiennent une silhouette modeste avec Bruno Retailleau entre 8 % et 8,5 %, devant Xavier Bertrand à 5,5 % et Laurent Wauquiez à 3 %. Dans le camp Reconquête, Sarah Knafo approche 6,5 %, devant Éric Zemmour autour de 4,5 %.
La mécanique interne du score RN s’éclaire au regard des flux. Elabe mesure une fidélité électorale élevée, entre 77 % et 82 %, un appoint venu de l’électorat LR et divers droite proche de 26 %, et une progression chez les retraités qui pèsent environ un tiers des intentions en faveur du RN. Ce socle, combiné à une mobilisation plus stable que chez ses concurrents, suffit à creuser l’écart au premier tour.
Un pays pris entre impatience et lassitude
La photographie ne dit pas tout, elle donne la texture d’un moment politique. Depuis un an, la vie publique s’est tendue. La majorité présidentielle s’efforce de maintenir le fil des réformes. Pendant ce temps, l’opposition, de la gauche au RN, capte la colère diffuse. Dans ce contexte, Jordan Bardella s’impose comme le visage le plus lisible pour des électeurs en quête de clarté. Son avantage n’est pas seulement arithmétique. Il tient à la simplicité de l’offre qu’il incarne. De plus, il s’appuie sur la constance d’un discours répété sans scories. Enfin, il mise sur une présence médiatique calibrée. Les attritions observées chez Édouard Philippe indiquent l’essoufflement d’un centre.
En effet, il peine à mobiliser hors de son noyau dur. Cela est particulièrement vrai chez les cadres, les retraités et en Île-de-France. Là-bas, l’ancien Premier ministre recule selon l’étude. À gauche, la recomposition demeure inachevée. Jean-Luc Mélenchon reprend des couleurs. Raphaël Glucksmann stabilise un créneau réformiste européen. Les écologistes et les communistes, eux, peinent à se frayer un passage audible.
L’impression d’un pays en attente irrigue ces résultats. Le RN profite de cette attente parce qu’il l’organise autour d’un récit de protection. Le centre espère un redémarrage avec un candidat qui rassemblerait l’électorat d’Ensemble et capterait une partie de LR. La gauche cherche le point d’accord entre les cultures du mouvement social et de la social-démocratie. Rien n’est scellé, tout est posé sur la table des mois à venir.
Marine Le Pen, la bataille judiciaire en toile de fond
L’onde sondagière se déploie en parallèle d’un calendrier judiciaire singulier. Marine Le Pen a été condamnée en première instance à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. L’appel est fixé à la cour d’appel de Paris du 13/01/2026 au 12/02/2026. La principale intéressée conteste la sanction. Par conséquent, elle cherche à obtenir l’annulation ou l’aménagement de la peine. Cette peine la frapperait dès à présent. Rien ne dit aujourd’hui si l’arrêt attendu à l’été 2026 confirmera ou infirmera l’inéligibilité. L’affaire pèse déjà sur la dramaturgie de 2027. Les chiffres d’Elabe montrent néanmoins que, même sans elle, le RN dispose d’un candidat de rechange prêt à l’épreuve.

Cette concomitance contraint les autres forces à jouer sur deux registres. D’un côté, la politique tout court, avec ses affrontements idéologiques et ses calculs d’alliances. De l’autre, le droit et la temporalité des juridictions, qui imposent leurs délais et leurs prudences. Il est important de rappeler que l’enquête d’opinion n’est ni une prophétie ni un verdict. En effet, c’est un thermomètre dont la lecture exige sang-froid.
Le centre à la recherche d’un second souffle
La baisse d’Édouard Philippe se lit à la lumière d’un fait têtu. L’ancien chef du gouvernement agrège moins bien qu’au printemps les électeurs de la majorité. De plus, il rassemble également moins ceux issus de la droite traditionnelle. Chez les premiers, la déperdition atteint huit points. Chez les seconds, la perte grimpe à seize points. Le – 5 enregistré en six mois signale un problème d’offre politique. Le style sobre et municipal qu’affectionne le maire du Havre rassure, il ne galvanise pas. Gabriel Attal, pourtant plus visible, convertit peu dans l’électorat de droite. Gérald Darmanin s’érode chez les siens. Tout concourt à rendre la deuxième place plus incertaine que la première.
À l’intérieur même du centre, une tension sourd entre l’aspiration à une dissidence capable d’imprimer un récit. Par ailleurs, il y a la volonté de continuité qui assume le legs quinquennal. Le futur prétendant devra trancher ce débat et rassembler les appuis territoriaux. Ensuite, il devra clarifier les priorités. Surtout, il devra reconstituer un bloc de retraités qui, pour l’heure, s’oriente vers le RN.
La gauche entre deux fidélités
La gauche court toujours deux lièvres. Le premier, celui d’une union électorale. Le second, celui d’une identité. Jean-Luc Mélenchon grignote des points au sein de l’électorat de la NFP et réactive une part de sa base. Raphaël Glucksmann consolide un espace social-démocrate européen qui séduit une fraction des électeurs Ensemble. Mais l’un et l’autre s’embarrassent d’une difficulté chronique. La première place semble hors d’atteinte à court terme. La qualification pour le second tour exigera une alchimie entre mobilisation du noyau militant. De plus, il faudra une capacité à parler au-delà des frontières partisanes. De plus, la répartition des voix entre socialistes, insoumis, écologistes et communistes peut être un atout de respiration. Cependant, elle pourrait aussi constituer une entrave dans ce contexte. Tout se jouera sur la cohérence du récit, la crédibilité budgétaire, l’Europe, l’écologie concrète, la sécurité au quotidien.
Au-delà des scores, la fabrique des intentions
Un sondage n’est pas une urne. Elabe rappelle que les résultats sont calculés sur les inscrits déclarant vouloir voter. L’échantillon compte 1 501 personnes, dont 1 396 inscrites, interrogées en ligne les 30 et 31 octobre 2025. La marge d’erreur maximale atteint environ 3,1 points. Cinq hypothèses ont été testées, croisant des candidats du PS/Place publique, du camp présidentiel, de LR, du RN et de Reconquête ; ces combinaisons expliquent les fourchettes observées. Cette enveloppe statistique oblige à la modestie. Un score mesuré à 35 % peut se situer entre 32 % et 38 %.La variation mensuelle dépend de l’offre et du cadre où la question est posée. De plus, la formulation des hypothèses, ainsi que la présence ou l’absence de certains noms influencent ce phénomène. Par ailleurs, la saturation médiatique à un moment donné joue un rôle important. L’effet d’entraînement pour le favori et l’effet de rattrapage pour l’outsider influent également en silence.
Il faut aussi compter l’ombre portée de la non-réponse, qui n’est jamais neutre. Les électeurs les plus sûrs d’eux répondent volontiers. Les autres se taisent ou hésitent. Les sondeurs corrigent, redressent, pondèrent, mais l’incertitude demeure. Le chiffre n’est pas un roc, c’est une plage où la marée des événements imprime des rides. L’élection elle-même s’éloigne encore. D’ici 2027, les trajectoires individuelles, les crises imprévues, les alliances tour à tour nouées et dénouées, feront mentir plus d’une projection.

Bardella, portrait du premier de cordée
L’ascension de Jordan Bardella s’explique par une alchimie que le RN cultive depuis des années. Elle combine la normalisation progressive d’un discours devenu familier et la discipline de parti. Elle intègre également une communication centrée sur un homme jeune, familier des codes des plateformes et des chaînes d’information. Ce fil narratif, brossé depuis les européennes de 2019, a rencontré la fatigue d’un pays exposé aux chocs successifs. Bardella ne promet pas l’ivresse, il promet l’ordre, la fermeté, la protection. En face, ses adversaires cherchent encore la musique qui ferait vibrer autre chose qu’un électorat déjà convaincu. Quand la bataille se concentre sur la lisibilité de l’offre, l’avantage va au plus simple. En effet, cela se produit face à une offre encore indécise.
Le paradoxe est là. Plus Marine Le Pen est empêtrée dans la procédure d’appel, plus Bardella se dresse comme recours plausible et autonome. L’étude d’Elabe indique que, à variables constantes, l’écart entre eux demeure mince. Cela signifie que le vote RN est devenu transférable d’une figure à l’autre. $1
Vignette. Sur les plateaux d’information, ses interventions sont brèves et répétées. En effet, elles s’alignent sur des formats télévisuels favorisant les messages simples. Sur les réseaux, des extraits ciselés prolongent cette visibilité et stabilisent un noyau d’adhésion. Cette mécanique médiatique ne dit pas le vote, mais elle oriente l’attention et, souvent, la disponibilité à l’intention.
Ce que ces chiffres ne disent pas, mais suggèrent
L’hypothèse d’un second tour oppose des imaginaires plutôt que des noms. Un bloc RN, fort d’un noyau dur mobilisé, arriverait en tête presque mécaniquement. Reste la coalition d’en face. Elle pourrait naître d’un centre revigoré et d’une gauche lucide sur l’arithmétique. Ou éclater en rivalités qui s’annulent. Les prochains mois révéleront si Édouard Philippe regagne du soutien auprès des électeurs Ensemble et des modérés LR. De plus, on verra s’il réussit à se repositionner parmi les cadres et chez les retraités, deux milieux cruciaux. Ils diront aussi si Mélenchon et Glucksmann cessent de se neutraliser.
Dans ce paysage, la vigilance s’impose sur un point. Lorsque le candidat est en tête, il capte davantage l’attention. Par conséquent, il subit la « spirale du favori ». Celle-ci se compose d’enquêtes, d’angles critiques et de contre-offensives. Rien n’entame davantage une dynamique que le sentiment d’inéluctable. À l’inverse, rien ne réveille mieux une opposition que la perspective d’un duel annoncé. Le pays n’en est pas là. Il écoute, jauge, teste. Les sondages ne tranchent pas, ils éclairent.
Instantané politique, prudence requise
Un sondage n’est jamais plus qu’un instant. Celui-ci raconte une France fracturée, lassée des explications sans débouché, prête à confier la première marche à Jordan Bardella. Le camp présidentiel cherche sa voix. La gauche hésite entre deux récits. Marine Le Pen attend son appel. La démocratie, elle, réclame que l’on garde la mesure des chiffres et la prudence des mots. Le reste appartiendra au tumulte des mois, aux campagnes qui surprennent, aux citoyens qui décident. Et à cette part d’imprévu sans laquelle une élection ne serait qu’une addition.