
Baby, film d’auteur brésilien, s’ouvre sur un fracas silencieux. Wellington, 18 ans, quitte un centre de détention pour mineurs. Il retrouve la rue vide de promesses. Ses parents ont disparu et la ville immense devient un théâtre d’errance. Très vite, il croise le regard de Ronaldo, trente-six ans, figure ambiguë au cœur tendre. Ainsi commence une histoire d’amour, de corps et de lutte, ancrée dans la réalité sociale.
Le réalisateur Marcelo Caetano, figure montante du cinéma d’auteur brésilien, orchestre cette rencontre comme un ballet de contradictions. Il privilégie les gestes, plus éloquents que les mots, pour évoquer la peur, le désir et l’abandon. Sa caméra suit Wellington dans les rues de São Paulo, ville tentaculaire et parfois indifférente. À travers ce poème urbain, Baby rappelle la complexité de l’existence dans les périphéries.

Marcelo Caetano : un cinéma libre et engagé
Marcelo Caetano, né à Belo Horizonte en 1982, s’est affirmé parmi les voix montantes du cinéma alternatif au Brésil. Après Corpo Elétrico en 2017, Baby prolonge une veine réaliste et politique, tout en misant sur la sensualité. Il tourne dans les rues, sans décors fermés, valorisant une approche à mi-chemin entre la fiction et le documentaire.
Ce film répond aux années Bolsonaro, marquées par des coupes massives dans le financement du cinéma dit LGBTQI+. Il aura fallu sept ans pour porter Baby à l’écran, avec détermination. Caetano critique l’emprise des modèles familiaux traditionnels. Il prône des familles choisies, fondées sur l’amour et la solidarité, une thématique récurrente dans le cinéma brésilien contemporain.

Filmer São Paulo revient à braquer le projecteur sur celles et ceux que l’État néglige : sans-abri, travailleurs du sexe, communautés voguing. Chaque plan embrasse la ville et sa frénésie. "Les couleurs font une orgie" confie Caetano. Le rouge, en numérique, se fait éclatant, symbole d’une passion urgente et d’une violence latente.
João Pedro Mariano : l’innocence de Baby
Le rôle de Wellington, surnommé "Baby", est confié à João Pedro Mariano, 21 ans. Pour son premier grand rôle, il s’est immergé dans le centre-ville de São Paulo. Il a exploré les saunas et cinémas pornos afin de saisir la réalité clandestine qui nourrit le film. Il incarne un jeune homme brusquement confronté à l’âge adulte, portant l’espoir d’une renaissance.
Sa candeur déroute et séduit. Malgré l’abandon, la prostitution et la violence, Baby cherche encore un foyer. Il veut croire qu’un amour sincère peut éclore au milieu du chaos qu’est son existence. Quand il joue à la console avec le fils de Ronaldo, il n’est plus escort ni délinquant, mais un enfant qui rêve d’être tout simplement accepté.

Ricardo Teodoro : un mentor ambigu
Face à lui, Ricardo Teodoro interprète Ronaldo, plus âgé, plus dur. Ancien danseur, acteur débutant, il prête à ce personnage une force musculaire apparente. Derrière ce masque, on perçoit une vulnérabilité profonde. Ronaldo s’invente une virilité exagérée comme rempart contre les agressions du quotidien.
Le lien entre Baby et Ronaldo va au-delà d’une romance. Il interroge les rapports de pouvoir, de dépendance et de transaction. Qui sauve qui ? Qui manipule l’autre ? Le récit ne tranche pas. Il invite plutôt à contempler la complexité de cette relation, miroir des contradictions de la société brésilienne.

Un ton singulier et une place dans le cinéma d’auteur
A la fin des années 1950, le prolifique Brésil a connu le cinema Novo, proche de la Nouvelle Vague française. Porté par Glauber Rocha, Nelson Pereira dos Santos et Carlos Diegues, il mêle engagement politique, réalisme social et liberté formelle. Son credo : un cinéma pauvre en moyens, mais riche en idées.
Baby lui s’inscrit dans la lignée d’un cinéma brésilien plus audacieux qui émerge depuis les années 1980, quand des auteurs comme Geraldo de Barros et Ana Carolina Soares se heurtaient déjà à la censure. Aujourd’hui, cette mouvance gagne en reconnaissance internationale. Des réalisateurs explorent souvent les thèmes de la marginalité, de l’identité et du désir, comme Caetano le fait si bien ici.
Le cinéaste s’inspire aussi du réalisme social. À l’instar de Walter Salles ou Hector Babenco, il examine les fissures d’un Brésil aux inégalités criantes. Sa perspective dessine clairement un portrait inédit d’une jeunesse en quête de repères. Baby donne un visage et une voix à ceux qui demeurent invisibles dans les médias dominants.

Accueil critique et impact international
Présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2024, Baby a conquis les observateurs. Des critiques ont salué son intensité et sa justesse, soulignant la poésie visuelle qui enveloppe cette chronique de l’errance. Les spectateurs ont été sensibles à l’humanité des acteurs.Le film éclaire aussi sans voyeurisme la réalité des marginalisés d’un Brésil cru.
Au-delà des frontières, des distributeurs en Europe et en Amérique latine s’intéressent à ce film engagé. Sur les réseaux sociaux, l’enthousiasme est palpable. Des extraits circulent, suscitant débats et prises de conscience. Des universités envisageraient des colloques pour étudier l’œuvre de Marcelo Caetano, un des visages du renouveau du cinéma brésilien.
Un drame social et une ode à la dignité
Baby mêle drame social, mélo amoureux et chronique urbaine et sociale . Le rythme, volontairement lent, souligne la tension qui habite chaque scène. Caetano revendique l’influence de Wong Kar-wai, Almodóvar et Claire Denis, cinéastes reconnus pour leur approche sensorielle des émotions. À son tour, le cinéaste fait de la nuit brésilienne un terrain d’exploration, où se croisent fêtes clandestines et misères.
Sous la grisaille des éclairages urbains, Baby et Ronaldo se débattent avec leurs doutes, leurs élans, leur quête identitaire. Les silences, lourds de sens, parlent davantage que de longs discours. Baby invite à voir la dignité partout, même là où elle semble brisée par la précarité.
Sorti le 19 mars 2025, Baby dure 1 H 47. Il est diffusé dans divers pays, dont le Brésil, la France et les Pays-Bas, atteignant un public varié. Dans une actualité cinématographique souvent dominée par les blockbusters, ce film d’auteur réaffirme la force d’un cinéma libre. À travers son regard sur la marginalité et l’amour, il offre un message d’espoir. La vitalité créatrice de la scène brésilienne reste en pleine effervescence.