Astérix en Lusitanie : saudade et éclats de rire à Lisbonne

Astérix en Lusitanie : casque ailé sur fond rouge — saudade en filigrane, rire tendre, voyage solaire.

Signé par Fabcaro et Didier Conrad, le 41e Astérix paraît le 23 octobre 2025 sous bannière Éditions Albert René. Astérix en Lusitanie, album-voyage lumineux vers la Lusitanie, ancêtre du Portugal, où la saudade irrigue gags et emballements. Astérix et Obélix y volent au secours d’un maître garum dans une affaire visant César, entre calçadas, azulejos et fado : une virée qui promet rire, dépaysement et continuité assumée.

Astérix en Lusitanie : un album-voyage sous le soleil de la Lusitanie

Fabcaro au scénario et Didier Conrad au dessin referment la porte de L’Iris blanc pour l’ouvrir sur un rivage plus méridional : la Lusitanie, matrice antique du Portugal. Le 23 octobre 2025, le 41e album d’Astérix arrive en librairie sous l’égide des Éditions Albert René. Il revendique l’élan d’un carnet de route, l’entrain d’une comédie d’aventure et un fil musical discret : la saudade, cet art délicat de la mélancolie qui sourit. On la respire à chaque page, comme un parfum persistant, sans jamais que le récit ne sombre dans la plainte.

Une intrigue à l’ancienne, huilée au garum et aux jeux de langue

Dès l’aube, un messager venu de l’ouest franchit la palissade du village. Il a connu la force de la potion magique et sait où chercher du secours. À l’horizon, des falaises atlantiques, des ports au pavé blanc, des toits d’ocre battus de vent. Nos Gaulois embarquent et atteignent la Lusitanie. Ensuite, ils se glissent dans le dédale des ruelles escarpées, visibles à Lisbonne.L’intrigue s’embraye sur un malentendu d’Empire : sauver un producteur de garum, cette sauce de poisson très prisée au monde romain, soudain accusé d’avoir empoisonné César. Les bagarres éclatent et les légionnaires sont emportés. Par ailleurs, les spécialités locales s’invitent à table. De plus, la rencontre avec l’auguste rival se déroule avec panache.

Les auteurs jouent à front renversé. Le comique de répétition naît d’une tristesse joyeuse, d’une nostalgie qui devient gag. Le mot « saudade » revient, mais jamais comme un cliché plaqué : il sert de ressort, d’aimant à quiproquos, d’excuse élégante pour un silence, un soupir, une chanson. L’album n’invente pas la recette, il la dose avec soin : un zeste d’autodérision, des calembours où la mer se prononce en syllabes chantantes, des Romains qui trébuchent sur les calçadas de pierre.

Fabcaro et Conrad, la continuité sans l’ennui

C’est le deuxième scénario de Fabcaro pour la série régulière après 2023. Sa plume, qui aime les décalages de registre, s’accorde à la mécanique goscinnyenne : avancer à pas légers, piquer avec des pointes brèves, laisser la charge comique au dessin. Didier Conrad, quant à lui, poursuit sa ligne claire nerveuse et ses foules animées. En outre, ses trognes expressives et son goût pour les panoramiques invitent au voyage. Leur duo ne cherche pas à réinventer l’icône ; il la réactive par touches, comme on ravive un motif d’azulejos au soleil.

Le pari du Portugal n’allait pas de soi. La géographie d’Astérix a déjà fait escale aux quatre vents, mais pas ici. L’équipe a choisi une destination encore inexplorée. Le lecteur retrouve ce frisson des albums de route : promesses de découvertes et liturgie des stéréotypes bousculés. La Lusitanie répond à la Gaule : même résistance à Rome, même mémoire de défaites glorieuses. Dans le dossier historique fourni par l’éditeur, on rappelle Viriate face à César, écho discret à Vercingétorix. Ces parallèles, le livre les laisse en arrière-plan ; ils infusent sans peser.

Lisbonne en vignettes : pavés, guitares et bleus intenses

Le lecteur avance comme au petit matin dans l’odeur de sel. Les calçadas scintillent, un chat traverse en biais, une corde grince sur un mât. Au détour d’un plan large, une façade tendue d’azulejos déroule ses carrés bleus. Dans une taverne, la salle s’apaise. Une voix s’élève, frêle et souveraine, elle emporte tout. Fado, souffle de la ville, chant qui serre la gorge et libère. Obélix se tait, une seconde. Astérix écoute. La bulle, pour une fois, n’a pas besoin de mots.

Le jour, la clameur mène au marché. Des morues sèchent au vent, promesse de bacalhau servi au dîner. Les Gaulois goûtent, comparent, exagèrent, rient de leur propre témérité : la mer déferle dans leur assiette, mais la potion veille. Le soir, l’ombre descend sur les collines et les fenêtres s’allument. Par ailleurs, une guitare s’accorde tandis qu’un combattant romain glisse et dévale une rue pavée. L’image suivante le montre calé dans une caisse de sardines. On a lu cent fois ce genre de culbute, on rit quand même, car le décor change la musique.

Astérix en Lusitanie : Astérix, Obélix et Idéfix filent vers l’ouest — calçadas, azulejos, fado, un maître du garum à soustraire à César.
Astérix en Lusitanie : Astérix, Obélix et Idéfix filent vers l’ouest — calçadas, azulejos, fado, un maître du garum à soustraire à César.

La saudade comme fil comique, un équilibre tenu

La saudade peut tout, sauf se réduire. Les auteurs l’emploient comme on convoque un thème musical : retours, variations, contretemps. Tantôt elle nimbe une scène de douceur, tantôt elle fuel le pastiche. On pense aux vieux albums de voyage où les clichés étaient assumés, surlignés, retournés contre eux-mêmes. Ici, l’intention demeure. L’album ne prétend pas à l’ethnographie. Il feuillette des signes immédiatement lisibles, en joue ouvertement, et les déplace par le rire. Le lecteur francophone s’y retrouve sans guide, le lecteur portugais y reconnaîtra des clins d’œil montés en épingle. La frontière entre bienveillance et facilité se traverse d’un pas. Fabcaro s’en sort par la métalangue, ces apartés qui dégonflent l’emphase, et par des scènes où l’émotion prend la main.

Une industrie culturelle à l’heure du grand tirage

5 millions d’exemplaires annoncés dans le monde, 19 langues et 25 pays environ, avec 2 millions destinés au marché francophone : la machine Astérix garde ses épaules d’athlète. Chaque parution rejoue le même ballet : secrets bien gardés, communication au cordeau, capsules vidéo où Astérix et Obélix miment l’embargo, premières planches dévoilées au compte-gouttes. L’éditeur orchestre une impatience souriante. On retrouve des interviews feintes, des fausses confidences à valeur d’amuse-gueule. La bande dessinée sait ici parler le langage du présent, entre nostalgie et stratégie d’événement.

Sur le versant coulisses, l’éditeur a affûté un « making-of » sous embargo : capsules où Fabcaro et Didier Conrad glissent des indices codés, extraits muets de planches, calendrier d’accès pour les rédactions, envois sous chaperonnage aux libraires prescripteurs. La mise en scène compte presque autant que l’annonce : elle installe, semaine après semaine, l’idée d’un album de voyage vers le Portugal antique.

Dans ce dispositif, le duo FabcaroConrad se prête au jeu. Ils disent la lumière qu’ils voulaient, la chaleur, l’envie d’un album ensoleillé. Ils disent aussi la liberté conquise : signer la série la plus célèbre de France oblige, mais permet l’audace des chemins de traverse. La Lusitanie devient alors le support d’un récit qui respecte les invariants et prend quelques libertés de rythme. En effet, c’est comme une marche qui ralentit pour mieux entendre un chant.

Les échos et les fidélités

Les lecteurs reconnaîtront des silhouettes déjà croisées. Un ancien esclave aperçu dans Le Domaine des dieux revient en figure charnière. La continuité ne se proclame pas, elle sème des traces. Les mordus goûtent l’ingénierie subtile de ces ponts tracés d’un album à l’autre. Dans la foule, les Romains se ressemblent tous et chacun a sa mimique. Les tenanciers de taverne ont la moustache avec autorité. Les Marins sont loquaces au départ et silencieux à l’arrivée. Idéfix, qui comprend la musique, se perche près des guitares quand la voix s’élève.

Sur la table, le garum occupe son versant documentaire. Inutile d’étaler des dissertations pour rappeler qu’il fut, dans le monde romain, un condiment aussi répandu que disputé. Les vignettes suffisent : amphores, entrepôts, odeurs qui montent, visages partagés entre plaisir et recul. Le lecteur souhaitant approfondir ce pan gourmand de l’album peut consulter des sources savantes. Ainsi, il comprendra la fabrication de cette sauce de poisson au long repos.

Ce que raconte vraiment le voyage

Le livre ne se contente pas de changer de décor. Il questionne la tristesse et le désir, cette façon de tenir ensemble le manque et la promesse. La saudade fait passerelle entre une Gaule fantasmée et une Lusitanie rêvée. Elle questionne la mémoire et le temps qui passe rapidement. De plus, elle explore l’attachement aux lieux que l’on quitte et choisit. Dans les bulles, le mot revient comme un refrain. Chacun en reçoit une version intimement personnelle. Astérix l’entend comme un rappel aux devoirs. Obélix y détecte la promesse d’un repas. César, lui, n’a que l’Empire en tête ; le reste lui échappe.

Ces pages permettent de renouer avec la veine des albums exotiques. En effet, ces albums ont fait grandir la série. Loin de tout cynisme, Astérix en Lusitanie assume le plaisir de la caricature tendre. Le trait ne vise pas, il accueille. Le rire y reste une politesse. La musique du fado n’est pas détournée, elle est citée, petite révérence de papier. Les azulejos n’ornent pas seulement les murs, ils carrelent la mémoire du lecteur, lui rappellent les motifs bleus de ses propres voyages.

Une réception déjà sous tension amie

À peine les premiers exemplaires sortis des cartons, les regards s’affrontent avec courtoisie. Les enthousiastes saluent la coulée des gags, la franchise du soleil, l’allégresse d’un album-voyage qui ne prétend à rien d’autre qu’à l’hospitalité. Les réserves s’expriment ailleurs, redoutant une collection de clichés. Le débat est ancien, il sera encore vif demain. La vérité se joue dans la mesure : la série vit de ses codes et de leur déstabilisation ponctuelle. Ici, l’équilibre paraît tenu, souvent au plus juste, parfois en terrain connu.

Les tout premiers retours de librairie montrent le plaisir de reconnaissance et l’appétit de nouveauté. En effet, la typographie du rire, connue, retrouve un tempo plus musical. De plus, les scènes lisboètes donnent de l’allure aux classiques baffes romaines. À l’inverse, quelques lecteurs regrettent une prudence sur le plan sensible ; ils auraient souhaité que la saudade, si centrale, prenne un tour plus mélancolique encore. Le livre choisit la lumière.

Astérix en Lusitanie : au musée Grévin, la légende continue — duo Fabcaro-Conrad, souffle de voyage, 41e épisode solaire.
Astérix en Lusitanie : au musée Grévin, la légende continue — duo Fabcaro-Conrad, souffle de voyage, 41e épisode solaire.

Le soleil et la mémoire

Astérix en Lusitanie ne bouleverse pas l’architecture de la maison Astérix. Il l’ouvre toutefois en grand à un vent venu d’ouest. Il donne envie de reprendre la mer et d’écouter encore une voix au détour d’un quartier en pente. Par ailleurs, il invite à laisser la saudade poser sa main sur l’épaule sans la retenir. La série y gagne un souffle de voyage, un bleu plus intense, une tendresse dans le trait. On sait les Gaulois prompts à la castagne. Ici, on se rappelle qu’ils savent aussi écouter. Dans cet album de voyage au Portugal antique, Fabcaro et Didier Conrad signent un épisode qui préfère l’éclat au manifeste et le chant à la démonstration : une belle aventure de papier.

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Cet article a été rédigé par Pierre-Antoine Tsady.