
Antonio Filosa n’est pas un inconnu dans le monde de l’automobile. Entré chez Fiat en 1999, il a gravi les échelons avec une constance discrète. Originaire de Naples, il fait ses débuts comme superviseur de nuit dans une usine espagnole. Cette première expérience sur le terrain forge son rapport au concret et aux réalités industrielles.

Rapidement, il prend en main des missions complexes. Il dirige l’usine de Betim au Brésil, site clé dans le déploiement mondial du groupe. Il y impose une méthode rigoureuse : simplification industrielle, rationalisation des gammes, optimisation logistique. Sous sa direction, le marché sud-américain, crucial pour Fiat, retrouve une rentabilité durable.
Son ascension attire l’attention de Sergio Marchionne, figure tutélaire de Fiat-Chrysler, artisan de leur fusion. Ce dernier le fait entrer dans le cercle fermé des managers qu’il appelle ses "kids". C’est à cette école exigeante que Filosa affine son style : rigueur analytique, sens du détail, absence de vanité et gestion fine des équilibres internes.
Une trajectoire à l’échelle du continent américain
À partir de 2016, Filosa enchaîne les postes à haute responsabilité sur le continent américain. Il passe par la direction d’Alfa Romeo et de Maserati, où il tente de redonner du souffle. En effet, ces marques sont en quête d’identité. Il prend ensuite les rênes de Fiat Chrysler en Argentine. Par la suite, il pilote la relance de Jeep en Amérique du Nord en 2023.

Le contexte est tendu : inflation galopante, baisse du pouvoir d’achat, pressions réglementaires. Pourtant, il réussit à relancer les ventes de Jeep, en retravaillant l’offre produit et en renforçant les synergies industrielles. En moins de douze mois, il devient directeur des Amériques, chapeautant toutes les marques du groupe sur le continent.
En février 2025, nouvelle étape : il est nommé directeur mondial de la qualité. Un choix stratégique. Stellantis doit faire face à des critiques récurrentes sur la fiabilité de certains modèles, notamment le 1.2 PureTech, et à la gestion tardive du scandale Takata. Filosa met en place un audit global des chaînes de production et renforce les contrôles en usine. Son approche combine technicité et pragmatisme.
Une désignation qui change la donne
En mai 2025, Antonio Filosa succède à Carlos Tavares à la direction générale de Stellantis. L’ancien PDG, pourtant salué pour ses résultats financiers, a été brutalement écarté. Son style autoritaire et ses choix stratégiques – notamment le recentrage sur les marges au détriment des volumes – ont fragilisé les positions du groupe en Amérique du Nord et cristallisé des tensions internes.
L’arrivée de Filosa marque une inflexion. À 51 ans, cet homme du sérail apparaît comme une figure de stabilité. Il incarne une forme de retour à l’équilibre après les secousses du mandat précédent. Mais cette nomination n’est pas neutre. Elle consacre une prise de pouvoir italienne sur l’ensemble de l’organigramme : aux côtés de Filosa, John Elkann, héritier de la dynastie Agnelli, préside le conseil d’administration.
Cette mainmise suscite l’inquiétude en France. En effet, la famille Peugeot et les cadres héritiers de PSA s’interrogent sur leur place. La fusion PSA-FCA de 2021 avait instauré un fragile équilibre franco-italien. Désormais, cet accord tacite semble caduc.
Un style managérial ouvert, mais exigeant
Antonio Filosa tranche par son style managérial ouvert. Loin de la verticalité brutale, il multiplie les contacts avec les partenaires sociaux, en France comme aux États-Unis. Les syndicats, comme la CFDT, saluent sa volonté de dialoguer. Il encourage la participation salariale et affiche une attention nouvelle aux conditions de travail.
Cependant, tout le monde ne partage pas cet optimisme. La CGT dénonce une continuité des logiques de rentabilité à marche forcée. Certains cadres redoutent une gestion focalisée sur les objectifs financiers au détriment de l’innovation. Filosa devra donc convaincre, au-delà des mots, que sa promesse de transformation managériale est sincère.
Des défis industriels et stratégiques immenses
Filosa prend la tête d’un groupe affaibli. En 2024, la marge opérationnelle a chuté à 5,5 %, contre 12,8 % en 2023. Le titre Stellantis a perdu plus de 50 % de sa valeur en Bourse en un an. Plusieurs modèles n’ont pas trouvé leur public. Par ailleurs, le décalage entre promesses d’électrification et réalité industrielle fragilise la crédibilité du groupe.
Le nouveau directeur général devra repositionner les marques européennes. L’avenir de Peugeot, Citroën et DS est flou. Le cas de Maserati et Lancia, au positionnement incertain, reste ouvert. Dans le même temps, Stellantis doit réussir sa transition électrique, notamment sur les segments d’entrée de gamme. De plus, ils doivent répondre aux règlements écologiques européens.
Enfin, il lui faudra regagner la confiance des marchés nord-américains. Le succès de Jeep et Ram est essentiel à la rentabilité du groupe. Filosa devra clarifier sa vision : s’agit-il de devenir un champion global de l’automobile électrique ou de consolider une position hybride entre tradition et mutation ?
Une épreuve de vérité pour le groupe Stellantis
Dans une lettre adressée aux salariés dès sa prise de fonction, Antonio Filosa écrivait : "J’ai cette entreprise dans le sang". Cette profession de foi traduit une loyauté rare dans un secteur dominé par les figures externes. Mais le temps de la loyauté ne suffira pas. Filosa devra inventer un nouveau cycle pour Stellantis, où les ambitions industrielles, l’innovation technologique et la cohésion sociale trouveront enfin un terrain d’entente.
Le succès de cette métamorphose dépendra de sa capacité à réconcilier les héritages culturels, à donner une lisibilité nouvelle aux stratégies de marques, et à faire renaître la confiance, en interne comme sur les marchés. L’homme a le profil pour y parvenir. Mais le temps presse, et les marges d’erreur sont minces.